Un souvenir particulier me lie à cette figure éminente de la littérature française, tout juste décédée. Au début des années 2000, j’officiais de manière très approximative au Bureau du Livre de Tokyo, intégré au service culturel de l’Ambassade de France. Jeune homme un peu perdu, davantage porté vers les livres et l’écriture que vers l’organisation de conférences et de le démarchages de traducteurs, j’ai été chargé d’organiser la venue au Japon, pendant une dizaines de jours, de ce Michel Butor dont je n’avais pas lu grand-chose mais qui me paraissait sympathique avec sa grande barbe blanche et sa salopette.

Quelques heures à peine après son arrivée, et après les inévitables approximations dans le planning causées par la maladresse qui était la mienne dans ce pays que je découvrais et à ce poste qui ne me convenait pas, Michel Butor n’a pas pu s’empêcher de me déclarer, sur un ton qui masquait mal sa colère : « Mais enfin, sur quelle planète vivez-vous ? » J’ai compris ce jour-là que les plus grands littérateurs, tous poètes qu’ils soient, n’aiment pas trop la distraction poétique quand ils la repèrent chez ceux dont dépend leur bien-être.