lundi 7 mai 2012
Entretien express avec Carole Zalberg
Par admin, lundi 7 mai 2012 à 13:32 :: Entretiens express
Suzan, américaine, se rend à l’enterrement d’une femme que son père a aimée lors de la libération de Paris. Deux voix se mêlent alors pour déployer l’histoire de deux familles juives essaimant à partir de la Pologne vers la France, les Etats-Unis, l’Afrique du Sud en fonction des terribles aléas politiques du 20ème siècle.
Ce beau roman de Carole Zalberg, A défaut d’Amérique (Actes Sud, 2012), construit par courts chapitres comme autant de monologues à la fois précisément romanesques et lyriques, offre d’émouvantes scènes de famille et de puissants croquis de ressentis politiques, comme dans cet extrait du dernier chapitre, lorsque Suzan évoque son rapport à Israël – pays dans lequel elle choisira finalement de ne pas aller vivre :
« Elle entretient avec Israël un rapport ambigu, douloureux, même, a toujours évité d’en discuter y compris, dans la mesure du possible, avec ses parents. Elle a souvent envié leurs convictions, cette position solide des persécutés qui consiste à s’estimer dans son droit, à justifier, du coup, tous les moyens, et de bonne foi. Il lui est arrivé de leur demander pourquoi ils n’avaient jamais souhaité émigrer vers cette terre qu’ils considéraient comme leur. Leur intérêt ? Ici, c’est Israël sans les guerres, plaisantait son père. Ce qui, au fond, choquait Suzan, la mettait mal à l’aise. Elle trouvait vaguement malhonnête de défendre, au nom d’un peuple auquel on dit appartenir, la nécessité et la légitimité d’un pays où on n’a pas le cran d’aller vivre. Alors elle se taisait. Et pourtant le lien est là, qui se réveille dès qu’il est question de l’Etat juif dans les médias ou les conversations. Tout ce qu’elle éprouve à ce sujet, fierté, honte, découragement ou colère forme un brouet indigeste, une vase au fond de sa conscience. » (A défaut d’Amérique, page 209)
Trois questions rapides à l’auteur :
Quelle est la part biographique, la part fantasmée dans l'histoire de ces quelques familles ?
Disons que je suis partie de la part totalement fantasmée, inventée, bâtie, pour arriver, assez naturellement à la part plus autobiographique. C’est comme si l’écriture d’“A défaut d’Amérique” m’avait irrésistiblement entraînée sur les traces de ma propre histoire familiale. Par ailleurs, il y a un certain nombre de femmes marquantes dans mon entourage ou ma lignée et je crois qu’elles imprègnent, parfois à mon insu, mon imaginaire.
Quels sont les écrivains auxquels tu as éventuellement pensé en écrivant ce roman ?
Aucun en particulier. Jamais, en écrivant, en fait. Mais bien sûr je suis forgée, en tant que personne et en tant qu’écrivain, par mes lectures. Et comme celles-ci sont très éclectiques, il est difficile de déterminer quel écrivain en particulier influence quel texte. “A défaut d’Amérique” penche sans doute plus du côté de mes lectures sud-américaines, américaines ou russes que françaises. Et encore, c’est vrai pour le côté fresque, pour l’onirisme et un certain lyrisme assumé, mais pas pour la phrase qu’à aucun moment je n’ai voulu lâcher au profit du récit.
Que peux-tu me dire sur la structure particulière du roman, fondée sur une série de courts chapitres ?
Cette construction s’est imposée très vite. Le roman s’est vraiment écrit comme ça, dans cette succession de chapitres brefs, oui, qui étaient pour moi comme des marches. Chaque chapitre enclenchait en quelque sorte le suivant et ainsi jusqu’au bout, jusqu’à l’apaisement et l’horizontalité finale.
Merci Carole !