La littérature sous caféine


Debussy a-t-il défini ce qui pourrait être "un art français de la musique" ?


Prélude à l'après-midi d'un faune de Debussy par... par BMMC

Comme souvent dans les livres d’Ariane Charton, le destin des personnages se déroule avec une sorte de tranquille et comique assurance. Ils évoluent dans un monde parfois mystérieux, ou même franchement inquiétant, mais réservant des moments d’une drôlerie inattendue, drôlerie dont les personnages ne sont pas conscients mais dont le lecteur perçoit, lui, toute l’ironie, tout le grotesque.

Dans Le roman d’Hortense j’avais senti, déjà, le côté vaguement ridicule de ces hommes fréquentés par Hortense Allart (impression très personnelle, cependant, car l'auteur avait été surpris par mes remarques...). Dans la biographie de Debussy qu’Ariane Charton vient de publier (Debussy, chez Folio Bio), j’ai trouvé aussi qu’il y avait matière à sourire à certains épisodes de la vie de Debussy. Par exemple, ces rencontres inabouties avec le compositeur Liszt que le jeune Claude admirait pourtant :

« Le 8, Debussy et Vidal interprétèrent devant Liszt sa Faust-Symphonie transcrite pour deux pianos. Le compositeur hongrois s’endormit pendant l’exécution. Même si, en 1915, Debussy rendit hommage à l’art de Liszt utilisant la pédale comme une respiration, on ne peut pas dire que ces rencontres marquèrent le jeune compositeur. » (Debussy, page 61)

Au-delà de l’atmosphère délicieuse et distinguée des milieux artiste et des salons parisiens, le livre aborde plusieurs aspects passionnants de la vie de Debussy.

Son rapport à la critique, tout d’abord. Tout au long du livre Ariane Charton égrène de nombreux extraits d’articles, des critiques parfois élogieuses de l’œuvre de Debussy mais souvent dubitatives ou franchement hostiles, et c’est une manière originale pour le lecteur de suivre l’évolution de la carrière du compositeur. Serait-ce une fatalité, chez les artistes de talent, de devoir affronter ces tombereaux de critiques, cette violence verbale quasi-perpétuelle ? Debussy semble avoir eu la force ou l’intelligence pratique, en tout cas, d’apprendre à les ignorer.

Un critique écrivait par exemple en 1903 :

« Tout se perd et rien ne se crée dans la musique de M. Debussy… Un tel art est malsain et néfaste… Cette musique nous dissout parce qu’elle est en elle-même la dissolution… Elle contient des germes non pas de vie et de progrès, mais de décadence et de mort. »

Belle et terrible critique, au demeurant, non pas forcément dénuée de raison, mais reprochant à la musique de Debussy ce qu’on peut précisément aimer en elle. Autre aspect à m’avoir intrigué : le souci de Debussy d’inscrire son œuvre dans une certaine tradition française. Je sais combien ce genre de considération peut paraître aujourd’hui daté – la variété des productions nationales, la richesse des influences croisées, l’émergence d’une véritable scène artistique mondiale –, pourtant les réflexions de Debussy en la matière m’ont semblé particulièrement éclairantes. Attentif à trouver un juste milieu entre l’art pompier des Allemands et l’art trop lyrique des Italiens, il fait l’éloge d’une manière toute française d’écrire la musique. Qu’en aurait pensé Nietzsche, par exemple, lui qui aspirait précisément à quitter les brumes mythologiques du Nord pour se tourner vers les partitions solaires d’un Bizet ?

« Deux ans plus tard, il redonnera une définition de la musique française, principalement en opposition avec l’allemande : « C’est la clarté, l’élégance, la déclaration simple et naturelle. » Sa chronique dans Gil Blas lui sert de tribune pour mettre en valeur le patrimoine musical français dont il se sent l’héritier :

« Nous avions pourtant une pure tradition française dans l’œuvre de Rameau, faite de tendresse délicate et charmante, d’accents justes, de déclamation rigoureuse dans le récit, sans cette affectation à la profondeur allemande. (…) »

« Couperin, Rameau, voilà de vrais Français ! Cet animal de Gluck a tout gâté. A-t-il été assez ennuyeux ! Assez pédant ! Assez boursouflé ! Son succès me paraît inconcevable. Et on l’a pris pour modèle, on a voulu l’imiter ! (…) Je ne connais qu’un autre musicien aussi insupportable que lui, c’est Wagner !
» » (page 205)

Un art français de la musique qu’il ne me paraît d’ailleurs pas absurde de distinguer parfois en littérature – il m’est arrivé d’en parler ici-même. Il m’a toujours semblé qu’il y avait en effet une manière très française d’écrire des romans (manière dont je ne prends vraiment conscience qu’aujourd’hui et dont je perçois les mérites comme les limites), une manière assez économe, soucieuse de mesure, de belle langue et de spiritualité.

Une manière qui perdure quelque peu en ce début de 21ème siècle puisqu’en dépit, encore une fois, d’une certaine homogénéisation mondiale des inspirations, il persiste quelques tendances – que l’on pense simplement au volume moyen des romans américains, visant le plus souvent la puissance narrative et l’imagination débordante lorsque les Français – et peut-être plus généralement les Européens – parient davantage sur le regard juste et l’œuvre économe.

Quoi que le 19ème français ait été, sur le plan littéraire, également celui des ambitions prométhéennes…

COMMENTAIRES

1. Le dimanche 25 mars 2012 à 19:40, par Je Me Moi

Le roman français aurait donc renoncé, dédaigné, le baroque (si florissant dans le roman américain).

Eh bien, alors. Place au roman québécois — américain et de langue française; il y a de la place, enfin.

2. Le lundi 26 mars 2012 à 19:49, par aymeric

tiens, je ne connais rien au roman québécois, cela dit en passant !... :)

3. Le vendredi 30 mars 2012 à 14:45, par Je Me Moi

Je peux vous faciliter les choses: Réjean Ducharme est chez Gallimard (le Nez Qui Voque, L'Avalée des avalés, l'Hiver de force...), Gaston Miron (poète), est dans la collection "Poésie" de Gallimard maintenant (L'homme rapaillé). Allez voir du côté d'Hubert Aquin aussi (Prochain Épisode, Leméac). Trois grosses pointures ici.

4. Le vendredi 30 mars 2012 à 15:19, par aymeric

super, je note ! un nouveau continent littéraire à découvrir... (chaque jours de nouveaux...)

5. Le mardi 21 mai 2013 à 11:01, par forever21 prom dresses

301 Moved Permanently I was recommended this website by my cousin. I'm not sure whether this post is written by him as no one else know such detailed about my difficulty. You are incredible! Thanks! your article about 301 Moved Permanently Best Regards Agata Cind

6. Le lundi 27 mai 2013 à 19:55, par cheap jordans

I really wanted to post a simple message to express gratitude to you for those unique tactics you are writing on this website. My particularly long internet look up has now been compensated with really good points to share with my pals. I 'd admit that most of us site visitors are undoubtedly blessed to exist in a superb community with many brilliant individuals with great pointers. I feel quite lucky to have come across the web pages and look forward to plenty of more amazing moments reading here. Thanks once more for everything.

Ajouter un commentaire

Les commentaires pour ce billet sont fermés.