La littérature sous caféine


L'"Intranquillité" d'Alain Finkielkraut


Badiou Finkielkraut débat (part1) par antek666

Dans un article intitulé La guerre des respects (lui-même intégré dans un dossier « Sommes-nous encore un Nous ? » publié dans le numéro de novembre 2011 du magazine Causeur), Alain Finkielkraut cite Autoportrait du professeur pour illustrer la disparition, dans l’école d’aujourd’hui, de ce qu’il appelle l’aidos – mot grec signifie « réserve » ou « pudeur » et correspondant assez bien à ce que Kant appelait lui-même la « restriction de l’estime de soi-même », permettant à l’enfant de se rendre disponible à l’écoute et à l’apprentissage.

Dans le passage cité, je décris ce que représente « perdre une classe », c’est-à-dire se laisser déborder par trente élèves qui se lèvent, s’agitent et poussent des cris. Expérience assez rude, je dois l’admettre, et dont j’explique qu’elle a remis en cause beaucoup de mes a priori sur l’enseignement. Alain Finkielkraut, lui, tire de ce genre de descriptions des conclusions radicales sur la démission de l’institution : « Ces jeunes dont elle ne sait que faire et sur lesquels elle n’a pas de prise, c’est elle qui, dans un grand élan démocratique, les a dispensés d’aidos, en les accueillant comme des « jeunes », c’est-à-dire comme sujets déjà constitués, comme des personnes de plein droit, des individus à part entière, et en choisissant de composer avec la culture de leur classe d’âge. »

Je ne suis pas toujours d’accord avec Alain Finkielkraut – il attribue par exemple dans ce dossier l’effondrement de l’aidos à l’avènement d’une société plus radicalement démocratique ; les facteurs sociaux me semblent devoir être pris davantage en compte, et notamment la spectaculaire et récente confrontation, sur le sol français, de populations que séparent de grands gouffres économiques et culturels. Mais il est indéniable que dans la sphère des penseurs médiatiques (BHL, Badiou, Onfray…) il est l’un des rares dont la sincérité, l’honnêteté et même l’élégance (celle qui consiste à ne pas avoir recours, ou le moins possible, à la censure et à l’intimidation ; celle qui consiste aussi à tenir compte, autant que faire se peut, de la pensée d’autrui, par exemple en invitant ses adversaires dans le cadre de sa propre émission radiophonique) forcent le respect.

Il y a même quelque chose de touchant dans l’inquiétude perpétuelle dont Finkielkraut fait preuve – et que je partage assez souvent –, une inquiétude relevant à mon avis précisément de cet aidos ou de cette modestie dont il nous parle. Une modestie qui me semble d’ailleurs infiniment précieuse sur une scène médiatique où règnent plutôt l’arrogance et le manque de scrupule. Je ne connais pas beaucoup d’intellectuels réalisant cet exercice d’équilibre, encore une fois, consistant à affirmer des idées fortes tout en tenant compte des arguments de l’adversaire, des arguments provoquant pourtant chez Finki, comme le surnomment certains de ses admirateurs, de manifestes accès d’impatience.

Pour le dire autrement, je suis finalement moins sensible à la pensée de Finkielkraut (en dépit de ses questionnements, souvent courageux, sur certaines évolutions de notre société) qu’à la forme de ses prises de parole, son ethos (pour employer un mot prétentieux), ou encore son dispositif rhétorique - sans parler de la grande qualité littéraire de ses écrits, dont le dossier en question est un bon exemple. On pourrait employer à son égard le beau mot d’« intranquillité » (titre célèbre d’un livre de Pessoa), l’« intranquille » pouvant désigner l’opposé du « salaud » tel que le définit Sartre, c’est-à-dire un homme pétri de certitudes, convaincu de son bon droit et se cherchant des excuses pour définir son action, pourtant de mauvaise foi.

(Cela dit, est-il jamais possible d’échapper à cette position de « salaud » quand on prend position ? Les pires salauds ne sont-ils pas, aujourd’hui, certains de ceux qui dénoncent les salauds d’en face pour mieux se gargariser de leurs propres convictions ?)

COMMENTAIRES

1. Le mardi 17 janvier 2012 à 09:13, par Ariane

Je suis pas toujours d'accord avec Finkielkraut, quoiqu'assez souvent, je l'avoue. Mais, il n'est pas prétentieux comme BHL et autres Onfray et Sollers, je trouve qu'il a toujours l'intelligence de laisser parler les autres, pour une véritable discussion, un échange d'idées tout en osant livrer son opinion avec clarté, fermeté mais sans tyrannie. Enfin, je n'oublie pas que c'est lui qui m'a permis de découvrir la pensée de Lévinas dans son livre La sagesse de l'amour. Or Lévinas, nous invite aussi à la bienveillance, à la tolérance et au sens de la responsabilité vis à vis de l'autre. Certes, le monde est peu gouverné par ces principes mais essayer de les appliquer c'est peut-être, modestement, améliorer un peu le monde, autour de nous et ce, sans faire preuve d'angélisme. Merci pour ce billet !

2. Le mardi 17 janvier 2012 à 13:08, par aymeric

tu utilises le mot de tyrannie, c'est le même qu'utilisait jourde dans un pamphlet resté fameux - je ne suis pas fan, du reste, de ce petit livre ("Déjeuner chez Tyrannie"), mais j'aime bien le mot de tyran, je le trouve particulièrement seyant pour un certain nombre de figures audiovisuelles, et je m'étonnerai toujours, moins de l'existence de ces tyrans, que du fait qu'ils soient en fin de compte si bien acceptés, si appréciés, même, des programmateurs... (c'est sans doute excitant pour les auditeurs/telespectateurs de sentir passer le vent de l'effroi au passage de certaines voix...)

3. Le mardi 17 janvier 2012 à 15:30, par Ariane

e pamphlet n'était pas un chef-d'oeuvre mais en effet sur certains points, c'était bien vu. Cela fait partie de ces petits textes de circonstance qui dans 100 ans ne seront lus que des spécialistes.
Il y a des tyrans en audiovisuels et dans la presse écrite, mais je crois qu'en effet le grand public a besoin de ces tyrans, ce sont pour eux des repères et parfois une source de distractions quand ces tyrans ont le sens du spectacle, Au XIXe ils officiaient dans la presse écrite aujourd'hui, davantage à la télévision mais le principe reste le même. Ce qui est regrettable, c'est que ces tyrans écrasent souvent ceux qui ont le verbe moins haut mais souvent plus de réflexion et de tolérance.

4. Le mardi 17 janvier 2012 à 19:49, par aymeric

oui, c'est exactement ça, il faut avoir le "verbe haut". Et ca se comprend, en meme temps : il faut bien assurer le spectacle. C'est regrettable malgré tout qu'on confonde si souvent "verbe haut" et "verbe juste". je me demande parfois si le terrorisme intellectuel n'est pas une spécialité bien française - ou en tout cas si cette forme spécifique d'intervention ne trouve un terreau particulièrement favorable en france

5. Le mardi 17 janvier 2012 à 21:19, par Ariane

En effet, on confond verbe haut et verbe juste, généralement à tort. Je ne connais pas assez les pays étrangers pour savoir si c'est une spécificité française, cela dit, au XIXe siècle en tout cas, les Français sont souvent vus par les étrangers comme des intellectuels aimant la polémique, ayant la plume acérée et capables de paroles tranchantes... Peut-être cela tient-il aussi à notre langue, une langue donnant naissance à un esprit particulier.

6. Le mercredi 18 janvier 2012 à 11:40, par aymeric

langue de clarté rhétorique ?
Je me demande également s'il n'y pas, en France, encore, quelques lourds dossiers politiques qui enveniment souvent les débats, des cadavres dans les placards et des traumatismes mal digérés (liés à cette fameuse "période la plus sombre de notre histoire") qui interdisent bien souvent la discussion. C'est assez pénible, je trouve, l'absence de sérénité palpable sur des dossiers qui datent pourtant de plusieurs décennies...

7. Le mercredi 18 janvier 2012 à 22:02, par Ariane

Les Français se posent à la fois comme des donneurs de leçons de morale et de politique (cela a commencé avec les Lumières), tout en ressassant les fautes du passé, en entretenant un sentiment de culpabilité, au lieu d'arriver à prendre un peu de recul non pour oublier mais mieux avancer.

8. Le jeudi 19 janvier 2012 à 13:48, par aymeric

oui, c'est ça : manque de recul sur eux-mêmes, et manque de recul sur les autres... (et en disant cela, on participe à l'esprit de dénigrement ! :) )

9. Le lundi 23 janvier 2012 à 21:02, par Marco

Bel article, mister Pat. Ah, Finki... Dommage qu'il fasse autant de raccourcis dès qu'il part dans son trip de déclinologue, mais esprit fin, c'est un fait.
(et bonne année à toi! soit dit en passant)

10. Le lundi 23 janvier 2012 à 21:32, par aymeric

belle année à toi! tu ne blogues plus ?
la déclinologie, c'est à la fois triste et puis ça se comprend, parfois : après tout, ca existe bien, les pays qui déclinent - je pense à la Grèce, à l'Italie qui ont connu des passés plus que glorieux :)

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