La littérature sous caféine


Faut-il épuiser la substance de ce que l'on est ? (Pierre Guyotat, Explications)



J’exprimais récemment le plaisir que j’avais eu à lire chez Stephen King l’idée qu’il y ait un nombre infini de « portes » dans l’imaginaire humain – j’aimais cette idée parce qu’il y a quelque chose d’encourageant et même d’exaltant dans cette intuition pour un auteur. Cependant je viens de lire une page du beau livre de Pierre Guyotat, Explications (dans ce long entretien avec Marianne Alphand, récemment réédité chez Léo Scheer, l’auteur revient notamment sur les principes qui régissent son œuvre et nous donne quelques précieux aperçus biographiques et philosophiques), page dans laquelle il exprime l’intuition inverse – encore qu’il ne s’agisse pas exactement de la même chose, King évoquant l’imagination lorsque Guyotat parle plutôt de la substance de l’écrivain lui-même (dans quelle mesure les deux se recoupent-elles ?) :

« Le drame, au sens théâtral, de l’artiste, c’est qu’il tire de lui-même sa matière, et il tire, il tire jusqu’au jour où il se peut qu’il n’y ait plus rien, et il le sait et il le craint tous les jours. C’est d’une certaine façon, là aussi, un rêve, un désir très fort de disparaître par extinction de matière, extinction de lumière. Toute œuvre d’ampleur produit sa naissance, sa vie et sa mort. En même temps qu’on pense et qu’on désire aller plus loin, donc perfectionner la machine, on désire y disparaître, c’est-à-dire crever avec la chose. » (Explications, page 48)

Très belle image que celle de l’artiste s’engloutissant en quelque sorte dans sa propre œuvre, se vidant complètement en elle et par conséquent disparaissant au monde. Image à la fois romantique et très moderne, dans laquelle je me reconnais finalement davantage que dans celle de King, même si elle reste moins séduisante à accepter. Disons que j’ai tendance à penser comme Guyotat, mais que j’aimerais tendre vers une conception plus proche de celle de King. Balançant entre la peur de l’épuisement de soi-même (pourtant présenté par Guyotat comme un idéal) et le rêve d’une fécondité toujours plus généreuse…

COMMENTAIRES

1. Le lundi 28 juin 2010 à 20:34, par Matthieu

Pierre Guyotat est l'un des plus grands écrivains contemporains, trop peu lu, trop peu commenté. Trop radical et détaché des modes ?

2. Le mercredi 30 juin 2010 à 08:37, par manue

c'est amusant cette pensee que l'imagination pourrait etre limitee. ja n'avais jamais meme pensee, ou comme une si faible possibilite, l'option que l'esprit pouvais avoir des limites. pour moi, ce serait l'oppse. l'esprit etant illimite dans son pouvoir creatif, comment partager ce debordement imaginatif?

je ne sais pas si je crois en un epuisement de soi meme dans l'acte creatif. l'acte creatif etant comme la boite de pandora, chaque porte, chaque fenetre ouvrant 10 nouvelles lumieres.
par contre, je peux comprendre qu'a un moment, y'a juste plus rien a dire. c'est plutot de cela que j'ai peur. non de l'epuisement, juste de l'inutilite a partager les meandres de l'esprit. a un moment, il semble qu'il y a juste plus de nescessite a ouvrir toutes ses fenetres creatives, parce que voila, c'est si facile de s'y perdre, et y'a tellement de belles choses dans la vie quotidienne.
l'imagination, qui souvent n'est qu'une forme d'echapatoir face au quotidien dur a gerer, s'echapper de notre quotidien peut il nous amener le bonheur?

la realite, stranger than fiction... carrement:)

3. Le jeudi 1 juillet 2010 à 14:52, par aymeric

Oui, je serais finalement plus enclin à croire à la richesse infinie du réel qu'à celle de l'imaginaire... on voit parfois certaines oeuvres buter sur leurs propres limites, l'auteur finissant par ressasser quelques figures déjà exploitées

4. Le dimanche 2 juin 2013 à 19:01, par adusb

en tout cas moi en 2017 je ne me fais plus avoir par l'UMP et le PS je vote Morsay adusb www.adusb.com/post/511330...

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