La littérature sous caféine


Un peu de noir à la Houellebecq, un peu de blanc à la Teilhard



1) En attendant la parution du nouveau roman de Houellebecq, chez Flammarion, en cette rentrée littéraire 2010 (je n’en connais pas encore le titre), j’ai plusieurs fois débattu sur les talents comique de Michel avec des amis. « On ne dira jamais assez que c’est un écrivain drôle. – Drôle ? Tu plaisantes ? Il est sordide ! – Ce qu’il écrit est sombre, voire cynique, mais ça me fait rire. C’est tellement appuyé que, mécaniquement, je suis hilare. – La preuve qu’il n’est pas drôle, c’est que son personnage de comique dans la Possibilité d’une Ile est incapable d’en sortir une bonne. Ses blagues sont affligeantes, et même tristes. Je n’arrive pas à savoir si Houellebecq s’est vraiment cru bon dans ces passages-là. – Ils m’ont bluffé, moi, les passages dont tu parles ! Je les ai trouvés parfaitement maîtrisés. – C’est impossible, tu dis n’importe quoi. Je te l’accorde, les interventions télévisées de Michel sont drôles… Mais c’est un comique involontaire, et je suis sûr que Houellebecq ne plaisante pas du tout. Il se prend très au sérieux. C’est un personnage sinistre, tout simplement. Sincèrement dépressif, et toujours au premier degré. – Je n’en suis pas sûr. Un noir si noir, un humour si grossièrement humoristique, il y entre forcément une part d’exagération… »

Ce qui me frappe de plus en plus, en outre, dans l’œuvre de Houellebecq, ce sont les passages qu’on pourrait affilier à la tradition des moralistes français du XVIIème. Comme La Bruyère ou La Rochefoucauld, Houellebecq dresse un impitoyable tableau des mœurs, souvent ridicules et cruels, de ses contemporains, et plus généralement du genre humain. Mais c’est avec un désespoir accentué, des jugements plus implacables qu’il reprend le flambeau des classiques. Un certain relâchement dans l’expression lui permet d’exprimer un mépris, un dégoût parfois surprenants.

« La seule chance de survie, lorsqu’on est sincèrement épris, consiste à le dissimuler à la femme qu’on aime, à feindre en toutes circonstances un léger détachement. Quelle tristesse, dans cette simple constatation ! Quelle accusation contre l’homme !... Il ne m’était cependant jamais venu à l’esprit de contester cette loi, ni d’envisager de m’y soustraire : l’amour rend faible, et le plus faible des deux est opprimé, torturé et finalement tué par l’autre, qui de son côté opprime, torture et tue sans penser à mal, sans même en éprouver de plaisir, avec une complètement indifférence ; voilà ce que les hommes, ordinairement, appellent l’amour. » (La possibilité d’une île, Fayard, page 188)

Ou encore, page 208 : « Le rêve de tous les hommes c’est de rencontrer des petites salopes innocentes, mais prêtes à toutes les dépravations – ce que sont, à peu près, toutes les adolescentes. Ensuite peu à peu les femmes s’assagissent, condamnant ainsi les hommes à rester éternellement jaloux de leur passé dépravé de petite salope. Refuser de faire quelque chose parce qu’on l’a déjà fait, parce qu’on a déjà vécu l’expérience, conduit rapidement à une destruction, pour soi-même comme pour les autres, de toute raison de vivre comme de tout futur possible, et vous plonge dans un ennui pesant qui finit par se transformer en une amertume atroce, accompagnée de haine et de rancœur à l’égard de ceux qui appartiennent encore à la vie. »

2) Ce cynisme, ce désespoir ne rendent que plus savoureuses les pages de littérature résolument optimistes, comme celles du petit livre de Pierre Teilhard de Chardin, Sur le bonheur / Sur l’amour (Points/Seuil), que je viens de terminer. Le philosophe jésuite (ou devrait-on dire « sage » ?) se propose entre autres d’y établir quelques principes sur le bonheur, possible si l’Homme entreprend d’accompagner le mouvement même du monde, qui est un long chemin vers « toujours plus de conscience pour toujours plus de complexité –, comme si la complication grandissante des organismes avait pour effet d’approfondir le centre de leur être. » (page 20)

« Pour être pleinement soi et vivant, l’Homme doit : 1. Se centrer sur soi ; 2. Se décentrer sur « l’autre » ; 3. Sur surcentrer sur un plus grand que soi. » (page 21) J’aime beaucoup cette idée de « surcentration », cette image d’un soi que l’on cale, en quelque sorte, sur le centre même du monde en évolution vers un état de plus grande clarté, de plus grande conscience de lui-même. Ce genre de typologie des centres d’intérêts de l’être humain peut paraître simpliste, et même assez naïve, mais elle me plaît et je vais garder en mémoire cette précieuse notion de « surcentration. » Elle a le mérite de préciser une intuition que j’avais depuis longtemps sur l’intérêt d’épouser le mouvement du monde pour être heureux (il y a de belles pages de Montaigne là-dessus). Décidément très utile pour la tonicité de l’esprit, une séance de spiritualité béate après le kärcher moral à la Houellebecq…

COMMENTAIRES

1. Le lundi 14 juin 2010 à 13:40, par Pierre du club des poètes

Houellebecq possède l'humour noir des plus grands. L'humour noir, contrairement à l'humour tout court, n'a pas de sourire peint en rouge sur son visage !
Il tord directement l'esprit du lecteur.

2. Le lundi 14 juin 2010 à 17:42, par aymeric

bien vu ! je n'en connais d'ailleurs pas bcp d'autres, qui me tordent directement l'esprit comme ça...

3. Le lundi 14 juin 2010 à 21:36, par martin

j'aime beaucoup quand il dit: "Euuuuuuuuuuuuuuuh... Non !!"

4. Le mardi 15 juin 2010 à 07:27, par manue

Houellebecq, comique, peut etre. c'est un point de vue. un opinion, et comme on dit "un opinion, c'est comme un trou du cus" on en a tous un.

le point de vue de Houellebecq est tout aussi valide que celui de Chardin. a la difference que chaque opinion, chaque point de vue, nous renvoie de bien differentes images. l'une evoque le degout permanent, le cynisme, l'innutilite de tout. pour un houellebecq il semble que les choses soient fixes, c'est comme ca, un point c'est tout. bref, un houellebecq s'emmerde dans une realite lugubre. une analize des moeurs modernes, oui, peut etre, mais une analize si centree sur son propre nombril, qu'elle en devient toute toute petite. un peu comme une analize freudienne, toute toute petite, face a un sujet si immense qu'est l'etre humain humaine pataugeant dans le temps qui passe.

Les propos de Chardin ne me semblent ni naifs, ni simplistes. bien a l'oppose. ce recentrage est bien un des points essentiels de nombreuses practices pour le bien etre. il n'est pas simple de realiser que notre perception du monde, est bien notre creation personelle. plus de blame envers l'autre dans ce systeme.
dans les systemes a la Chardin, ou l'on revient a la source, c'est a dire sur soi meme, le monde n'est pas, plutot il est en devenir, de par nos actions/pensees. je trouve cela bien moins naif et simpliste que les certitudes depressives a la houellebecq.
houellebecq ferme les portes au bonheur qu'un Chardin ouvre avec confiance.
houellebecq confonds son ennuie personel, avec la realite de tous. en plus, c'est a la mode. et les gens bien parlant, meme quand ils crachent sur tout, ose rarement laisser la mode du jour ou elle appartient souvent, c'est a dire dans l'oublie. meme une mauvaise pub est une pub.
le seul livre que j'ai lue de houellebecq, et cela me suffit pour cerner le character, c'est triste parce que plat et ennuyeux. comme une espece de pauvrete de l'ame, n'ayant qu'une paire de lunettes, alors qu'il y a tant de couleures. c'est de la complaisance dans le malheur. c'est bien de voir ce malheur, d'en etre conscient, mais de se rouler dedans, cela devient vite lassant. bref, un houellebecq me distraira le long de quelques paragraphes, le temps d'une curiosite intellectuelle, alors qu'un Chardin me suivra le long de mon chemin, meme si je le trompe parfois avec des idees glaugues et faciles a la houellebecq. chaque fois, que je rentre en france, lisant les derniers intellos, je me dis que decidement, beaucoup s'emmerde, a la houellebecq, avec des jolis mots pour decorer tant bien que mal, ce vide interieur a laquelle toute introspection menera, inevitablement.
mais voila, ce vide, qui peut amener tristesse et houellebecquery, ce vide, c'est de la seulement que l'on peut planter des graines dans les jardins a la Chardin.
dommage que le travail sur soi a la chardin soit considere comme naif par beaucoup. alors qu'une fois que tous les houellebecq sont lus, il ne reste plus que les chardins pour nous aider a mettre un pied devant l'autre, meme quand ca fait mal, parce quon peut aussi accepter les verites tres partielles a la sauce houellebecq.
si tu veux rire, au cas ou il ne t'as pas encore amuser, lit un peu de UG krishnamurti (y'en a 2, pas le jiddu, qui est tout aussi geniale d'ailleurs), mais The Old Barking Dog, comme il se nomme lui meme est encore plus radical que le houellebecq qui semble un debutant dans le malheur face a un UG.
houellebecq, meme si degoute par ce qu'il appelle "l'amour", il en parle comme de quelque chose qui semble exister. alors qu'un UG va encore plus loin. Y'a pas d'amour, y'a qu'un echange de biens (intellectuels, materiaux), un point c'est tout, le reste n'etant que romantisation et echapatoir sentimentaux.

le bonheur est un choix. il n'est ni simpliste ni naif, c'est un choix, c'est tout. un choix tres dur, bien plus compliques que les peurs et degouts faciles face a la vie.
c'est peut etre pour cela d'ailleurs que tant se roule dans la tristesse. c'est a la mode dans bien des coins du monde, alors que le bonheur semble si con.
bien sur, on pourrait faire la meme analyse du bonheur. c'est qu'un point de vue, tout aussi vide que le malheur. de l'autopersuasion, tout, mais surtout ne pas embracer le vide que le mouvement du monde peut inspirer. ce mouvement du monde, l'embracer, cest oser epouser l'impermanence, la petite soeur du temps, et ca c'est dure de ne pas avoir de convictions, puisque tout change.

mais bon, on se fais moins chier heureux que malheureux. alors vive le bonheur, vive ces messieurs et mesdames qui osent dire oui a la vie, meme malgre une certaine pourriture apparente. cette pourriture, si l'on peut s'en nourir sans la laisser nous pourir a notre tour, devient engrais, tres nescessaire.
et merci aux houellebecqs du monde, pour me rappeler que meme si je peux voir a travers les memes lunettes qu'eux, ben, y'a d'autres lunettes beaucoup plus interressantes/benefiques au long terme, bien que presque amusante pour une fraction de seconde a se rouler dans la m....

comme mon ami nepalais me dit, sans avoir jamais lue un livre: "dit merci aux abrutis, pour te rappeler ce que tu ne veux pas faire"

5. Le mardi 15 juin 2010 à 16:47, par aymeric

ah, l'info vient de tomber: le nouveau houllebecq s'appellera "la carte et le territoire"!

6. Le mardi 15 juin 2010 à 17:08, par aymeric

tiens, je ne connais pas krishnamurti... Je note !
D'accord avec toi sur la question du choix: nul doute que le bonheur soit un choix, réclamant certaines prises de risque ou certains compromis (encore que bcp fassent tout ce qu'il leur est possible pour atteindre le bonheur, sans jamais l'atteindre)
J'en connais qui ont très consciemment sacrifié leur bonheur sur l'autel d'idéaux qu'ils estimaient plus élevés

quant à la question de l'ennui, ca n'est pas évident: s'ennuie-t-on moins quand on est heureux ? pas si sûr... Peut etre l'ennui est-il une forme raffiné de bonheur... Apres tout, j'aimerais bien avoir l'occasion, plus souvent, de m'ennuyer !!

7. Le mercredi 30 juin 2010 à 08:15, par manue

tout a fait d'accord. on confond bien souvent ennui et bonheur. surtout dans des societes dans lesquelles on se shootent a coup de stimulus permanents.
combien de fois on a l'impression de se faire chier a mourir, et regardant derriere avec un peu de recul, on se dis comment c'etait bien et tranquille.
shooter aux stimuli, le bonheur devient un reve innaccessible.
bonheur a ne pas confondre avec une recherche pour le plaisi, le plaisir bien plus pervert que le bonheur, peut etre.

ca peut etre beau ce sacrifice de bonheur personel, pour un bonheur que lon pense etre plus grand que le petit soi. attention tout de meme. combien disent sacrifier leur bonheur personel pour des "causes plus grandes", alors qu'en fait beaucoup ne font que d'etaler la merde interieur qui n'a pas etait gerer? (que ce soit ds le social, l'humanitaire etc)
est ce que cela marche de sacrifier son bonheur, pour renvoyer le malheur interieur sur ce qui nous entoure?

comme mas dit un baba ici: "le sacrifice, ca c'est une notion de catholique."

"la route de l'enfer est pavee de bonnes intentions" a ce qu'il parait?

8. Le jeudi 1 juillet 2010 à 14:50, par aymeric

C'est vrai, il m'est arrivé de trouver assez maladifs certains engagements (professionnels). La beauté, la noblesse des surcharges de travail (pour la bonne cause) cachaient mal un désespoir latent (voire la dépression pure et simple)

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