La littérature sous caféine


Non au Temps ! (Barthes et le refus de guérir)



Plusieurs fois, j'ai trouvé très pénible qu'une fille puisse me dire : "Ne t'inquiète pas, tu vas oublier... C'est vrai qu'on s'est aimé très fort, tous les deux... Mais ça passe... Tu verras... Laisse faire le temps... Tu m'oublieras, comme le reste..." (Sous-entendu : moi je t'ai déjà un peu oublié...)

Je trouvais ça révoltant... Et d'une tristesse ! Quoi, déjà si peu de romantisme après des semaines de sentimentalisme ? La même fille pouvait me dire, à quelques jours d'intervalle : "Je t'aimerai toute ma vie... Tu es celui que j'ai le plus aimé...", puis : "Je vais disparaître de ton esprit, tu vas disparaître du mien et ce sera très bien." Forcément, je ne pouvais être qu'en colère contre le personnage d'amoureuse folle qu'elle avait monté de toutes pièces.

A moins qu'on puisse concevoir des phases de sincérité successives et contradictoires... "Je t'aime absolument le jour J", puis : "Je t'oublie absolument le jour J + 1." Je le comprends, mais j'ai du mal à m'y faire. Quoi que, les années passant, effectivement... Mais alors il faudrait faire l'effort de ne plus utiliser de mots trop romantiques !

Je suis heureux de voir que Barthes éprouvait le même mouvement de répulsion contre cette sorte de fatalisme temporel. C'est avec un plaisir gourmand que je dévore ainsi les pages pourtant pathétiques de son Journal de Deuil (Seuil-Imec, en librairie depuis le 5/02/09), le journal qu'il a tenu depuis la mort de sa mère en 1977. On y découvre le constat pur et simple de la souffrance, et le refus d'en être consolé... C'est magnifique, comme à peu près toujours chez Barthes, avec ce miracle constant de l'intelligence lumineuse...

"20 mars

On dit (me dit Mme Panzera) : le Temps apaise le deuil - Non, le Temps ne fait rien passer ; il fait passer seulement l'émotivité du deuil."

"12 mai

J'oscille - dans l'obscurité - entre la constatation (mais précisément : juste ?) que je ne suis malheureux que par moments, par à-coups, d'une façon sporadique, même si ces spasmes sont rapprochés - et la conviction qu'au fond, en fait, je suis sans cesse, tout le temps, malheureux depuis la mort de mam
."

COMMENTAIRES

1. Le vendredi 20 février 2009 à 21:41, par mattD

quel romantique, ce pat !

2. Le lundi 23 février 2009 à 21:33, par louise

pénible révoltant tristesse colère : je te suis

3. Le mardi 24 février 2009 à 10:57, par pat

et puis ça passe, comme le reste ! la colère aussi disparait ! :-)

4. Le mardi 3 mars 2009 à 23:49, par Olympe

Ca fait un bail !! :)
Renoncer au romantisme d'une relation qui s'éteint, c'est vouloir qu'elle disparaisse non ? Trop facile en effet de dire que c'est le temps, alors qu'en fait, c'est l'autre qui décide de s'éloigner, d'oublier, d'effacer !
PS : j'aime Barthe quand il dit que la télé est bête !

5. Le jeudi 5 mars 2009 à 20:29, par pat

oui, tu as raison, finalement c'est une forme de politesse de dire que c'est le temps qui va faire son travail...
A propos de la télévision, peut etre qu'elle est bete, mais elle reflète assez bien l'époque ! C'est toujours drole de la regarder (à petites doses)... Claude Chabrol est un grand consommateur de divertissements télévisés, et j'ai vu que Mauriac adorait écrire aussi sur le sujet...

6. Le dimanche 22 mars 2009 à 15:37, par manue

C'est vrai, le temps n'efface rien. je le vois plutot comme le Chronos grec. il tue c'est tout, il ravage.

Alors peut etre que pour moins soufrir, il vaut mieux le regarder faire ses ravages, comme un fou, sans trop se meler de ses histoires si cruelles. Comment peut on combattre un tel monstre apres tout?

Juste en passant, un bonjour himalayan.

7. Le vendredi 5 février 2010 à 15:06, par Celine

"Les mots d'amour" de Piaf.

8. Le mardi 23 mars 2010 à 11:53, par Alice

"A moins qu'on puisse concevoir des phases de sincérité successives et contradictoires...". Bien sûr que l'on peut les concevoir! Bien sûr que l'on peut ressentir les transports les plus violents le jour N, et se réveiller le jour N+1 avec la certitude que tout est terminé, que les sentiments se sont subitement envolés et qu'il est temps de partir. Dans ce cas, que dire sinon ces phrases pragmatiques et douloureuses comme "tu m'oublieras avec le temps"?

Violent, certes, mais n'est-ce pas mieux qu'un amour qui s'effiloche, des sentiments qui s'amenuisent petit à petit, jour après jour, une relation dont on ne se rappellera que les derniers mois de malaise, de petites mesquineries quotidiennes, de non-dits?

Heureusement que l'amour n'est pas acquis ad vitam eternam, la vie serait bien morne sans incertitude, sans risques...

9. Le vendredi 26 mars 2010 à 21:42, par mattD

il y a cependant une différence entre ne plus aimer du tout du jour au lendemain et conserver de l'affection, je prefere une diminution progressive de l'amour à la succession de l'amour et de l'indifférence

10. Le lundi 29 mars 2010 à 22:45, par Alice

Je pense qu'en aucun cas, l'indifférence n'intervient. Cette indifférence feinte n'est qu'un refuge, un moyen de surmonter la culpabilité que l'on ressent lorsque l'on doit quitter quelqu'un. Une façon de nous convaincre nous-même que tout ça, cette peine que l'on cause, cette fin si brutale, ne nous affecte pas.

11. Le dimanche 4 avril 2010 à 10:06, par mattD

oui tu formules bien qch qui me parait juste
a moins que la dureté manifestée dans ce genre de situation ne soit une sorte de retour du refoulé, le grand déversoir pour toutes les rancoeurs accumulées pendant des mois ?

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