La littérature sous caféine


Bégaudeau, volontiers volontaire



Il y a plusieurs manières de parler des établissements dits sensibles, et plus généralement de ce qu'on appelle "les problèmes de banlieue" : soit on montre le bon côté des choses, soit on noircit le tableau, soit on essaye de rester le plus neutre possible, relevant simplement des faits.

François Bégaudeau, dont le succès soit dit en passant force le respect (plus de 200 000 exemplaires vendus de son Entre les Murs, et cette Palme d'Or à Cannes 2008 pour le film tiré du livre...), a choisi de combiner deux postures : il annonce d'une part s'en tenir au réel, et faire un relevé clinique de certaines situations, de certains discours ("Juste documenter la quotidienneté laborieuse", écrit-il en 4ème de couverture), d'autre part il enrobe le tout dans une série de commentaires délibérément optimistes, considérant (à juste titre d'ailleurs) que ces populations dites "sensibles" ne forment pas une pâte humaine différente des autres et qu'elles dégagent une énergie, une volonté de s'en sortir dont il faut apprendre à tirer le meilleur parti.

Un professeur s'exprimant dans son livre :

"J'en ai marre de ces guignols, j'peux plus les voir, j'veux plus les voir. Ils m'ont fait un souk j'en peux plus, j'peux plus les supporter, j'peux plus, j'peux plus, ça sait rien du tout et ça te regarde comme si t'étais une chaise dès qu'tu veux leur apprendre quelque chose, mais qu'il y restent dans leur merde, qu'ils y restent, moi j'irai pas les rechercher, j'ai fait c'que j'avais à faire, j'ai essayé de les tirer mais ils veulent pas, c'est tout, y'a rien à faire, putain j'peux plus les voir..." (p 200)



Par rapport à cette vision volontariste, un juste milieu pourrait être représenté par l'excellent article du Nouvel Observateur du 15 Mai 2008 dans lequel un jeune professeur témoignait de son expérience dans un collège de Clichy-sous-Bois. Pour le coup, le principe de neutralité y était vraiment tenu, puisque l'article décrivait le travail des professeurs, mais relevait également un certain nombre d'impasses, de désespoirs, et de perspectives pour le moins sordides.

"Le 14 avril dernier, une enseignante a surgi dans la salle des profs pour nous annoncer qu'il y avait eu une explosion et que les élèves fuyaient hors du collège. Nous sommes sortis pour les encadrer, sans même réfléchir au danger. Il faut dire qu'avec le temps, on devient moins impressionnable. Un mois plus tôt, nous enterrions un ancien élève tué d'un coup de couteau dans Clichy. Devant le portail, les cailloux volaient. L'un d'eux a atterri sur le plexus d'un collègue. Deux nouvelles explosions ont eu lieu entre 10h30 et 12h30, puis d'autres encore à 14 heures. Huit bombes à l'acide chlorhydriques en tout. (...)"

"Le lendemain, l'inspecteur d'académie déclairait que l'incident ne représentait pas un "danger grave et imminent" ! Ultime provocation d'une administration coupée de la réalité et qui nous répond que Louise-Michel n'est pas le seul collège à connaître ce type de violences. (...) Un renoncement complet ! Nous sommes totalement abandonnés."

"A Louise-Michel, les WC sont ouverts et fermés à clé par les surveillants, depuis le viol d'une collégienne. Certains de nos gamins sont des repris de justice, d'autres finiront à Sciences-Po. Impossible de dresser le portrait type de l'élève de banlieue, si ce n'est qu'il est souvent un peu perdu, et qu'il n'a pas le même capital social et culturel que la plupart des autres petits Français."

La vision noire, alarmiste, pourrait être représentée par Alain Finkielkraut, auquel Bégaudeau aime d'ailleurs s'affronter sur le terrain des idées (cf ICI). Avec Azima la Rouge, pour ma part, je m'étais placé sur le terrain de la fiction pure, m'extrayant de toute vision idéologique pour tirer de la situation un parti romanesque : ne jugeant pas les faits, ne tirant aucune conclusion, mais m'inspirant d'événements réels pour en extraire une matière sombre et belle - un peu comme le font les auteurs de polars. Au final il y a quelques pages que je regrette un peu, car elles ont pu être mal interprétées, mais il y a toujours le risque, quand on aborde un sujet aussi délicat que celui-ci, d'être rejeté malgré soi dans un camp ou dans l'autre.

COMMENTAIRES

1. Le jeudi 19 juin 2008 à 21:59, par bad you

quel petit prétentieux ce bégaudeau. tout, ses manières, ses mots, ses phrases, puent la posture

2. Le samedi 21 juin 2008 à 02:04, par Dahlia

Promis, cet été je lis Entre les murs pour cracher dessus en connaissance de cause. Ceci dit, en le feuilletant et en lisant qq passages à haute voix avec ma meilleire amie il y a peu en librairie, on s'est déjà payé une sacrée tranche de rigolade: pour qqn qui a été prof de français, c'est ahurissant d'écrire un truc aussi bourré de fautes de syntaxe, de mal-dits, de "j'ai pas de style mais j'essaie de faire comme si"...

3. Le samedi 21 juin 2008 à 10:46, par vince

c'est vrai que c'est hallucinant qu'aucun journaliste, par exemple chez telerama, qui bave littéralement devant ce mec, n'ait noté ces affreuses scories de style

4. Le samedi 21 juin 2008 à 19:21, par Marco

Boum! 3 commentaires, 3 descentes réglementaires de Bégaudeau. C'est curieux, une grande partie de la presse s'extasie (à tort), mais à l'inverse, sur le net, en tout cas dans les blogs "littéraires", c'est à qui crachera le plus fort. Bon ben pas d'accord, les amis: "Entre les murs" est tout ce que vous voulez, mais pas nul ni baclé. (le "personnage" Bégaudeau dans les médias est haïssable d'arrogance et dégouline de clichés, ça je ne le discute pas). De quelles fautes de syntaxe est-il question? Je voudrais bien un exemple. Et pourquoi dit-on qu'il n'a pas de style? J'ai lu le livre de près, je ne comprends pas ce type de critique, vraiment. Il y a un parti pris très net dans son roman: adapter la langue même du narrateur aux situations de communication avec les "jeunes", se laisser contaminer par l'oralité, abolir la distance des discours pour mieux faire ressortir celle des comportements... On peut trouver ça démago, agaçant, artificiel... mais pas maladroit! C'est quand même un texte maîtrisé de bout en bout.

5. Le dimanche 22 juin 2008 à 01:14, par vince

je t'accorde qu'en fait dans "entre les murs", il y a peu d'effets de style : forcément, il s'efface (ou tente de s'effacer) derrière les discours des éleves et des profs (profs pour lesquels il éprouve manifestement une forme de défiance).
C'est plus frappant dans ses deux livres suivants : Une année en France et son bouquin sur Aubenas, ridicules de prétention dégoulinante
Mais la 4ème de couv, comme le signalait pat, est un bon exemple du style dont il est capable :
"Ne rien dire, ne pas s'envoler dans le commentaire, rester à la confluence du savoir et de l'ignorance, au pied du mur. Montrer comment c'est, comment ça se passe, comment ça marche, comment ça ne marche pas. Diviser les dicours par des faits, les idées par des gestes. Juste documenter la quotidienneté laborieuse."
Désolé, mais si ça c'est pas du pensum littéraire, de la grosse soupe de mec qui veut bien vous faire comprendre que lui il pense, et que lui il écrit...

6. Le dimanche 22 juin 2008 à 09:54, par Marco

Ok ok, il y a de la posture, constamment, surtout dans ses romans suivants (on atteint les sommets de l'horreur avec celui sur Aubenas _ la pauvre), mais dans "Entre les murs", derrière l'artifice il y a encore de la vitalité et de l'ironie parfois bien venue, non?... bon, ce n'est pas grave, en fait :)

7. Le dimanche 22 juin 2008 à 11:42, par pat

marco, tu es à la fois un intervenant et un arbitre parfaits pour ce genre de mini-joute ! comment ne pas toujours être d'accord avec toi ? :-)

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