Badiou contre la dépression sarkozyste
Par admin, samedi 14 juin 2008 à 22:38 :: Essais / Philo / Témoignages :: #395 :: rss
Succès de librairie pour l'opuscule du philosophe Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ? (Lignes, janv 2008).
Ce texte singulier consiste moins, finalement, en un pamphlet contre celui que l'auteur appelle "l'homme aux rats" (clin d'oeil à la légende de cet homme qui attirait les rats par le son de sa flûte, et référence au fait que les rats quittent le navire socialiste pour aller à la soupe), qu'en une attaque en règle de notre démocratie - pure et simple imposture qui permettrait au système capitalistico-militaire de s'auto-valider (Badiou parle du "fétichisme parlementaire", qui nous donne l'illusion que l'Assemblée puisse nous représenter...)
Sarkozy à cet égard serait le plus parfait représentant d'un certain "transcendantal pétainiste", c'est-à-dire une tradition politique jouant sur la peur, et coupable de désorienter le peuple en prônant par exemple un vigoureux sentiment national, tout en faisant le jeu de forces étrangères (hier, les Nazis, aujourd'hui, les Etats-Unis).
"Je ne dis pas que l'essence des élections est répressive. Je dis qu'elles sont incorporées à une forme d'Etat, le capitalo-parlementarisme, appropriée à la maintenance de l'ordre établi, et que, par conséquent, elles ont toujours une fonction conservatrice, qui devient, en cas de troubles, une fonction répressive." (p44)
"Que les étrangers nous apprennent au moins à devenir étrangers à nous-mêmes, à nous projeter hors de nous-mêmes, assez pour ne plus être captifs de cette longue histoire occidentale et blanche qui s'achève, et dont n'avons plus rien à attendre que la stérilité et la guerre. Contre cette attente catastrophique, sécuritaire et nihiliste, saluons l'étrangeté du matin." (p 94)
Le passage le plus intéressant du livre à mon goût se situe lorsque Alain Badiou, cherchant à contrer l'état dépressif qui fait suite chez l'homme de gauche à l'élection de Sarkozy, fait appel à Lacan définissant ce qu'est une cure :
"Lacan disait que l'enjeu d'une cure c'est "d'élever l'impuissance à l'impossible." Si nous sommes dans un syndrome dont le symptôme majeur est l'impuissance avérée, alors nous pouvons élever l'impuissance à l'impossible. Mais qu'est-ce que cela veut dire ? Beaucoup de choses. Cela veut dire trouver le point réel sur lequel tenir coûte que coûte. N'être plus dans le filet vague de l'impuissance, de la nostalgie historique, de la composante dépressive, mais trouver, construire, et tenir un point réel, dont nous savons que nous allons le tenir, précisément parce que c'est un point ininscriptible dans la loi de la situation. Si vous trouvez un point, de pensée et d'agir, ininscriptible dans la situation, déclaré par l'opinion dominante unanime à la fois (et contradictoirement...) absolument déplorable et tout à fait impraticable, mais dont vous déclarez vous-mêmes que vous allez le tenir coûte que coûte, alors vous êtes en état d'élever l'impuissance à l'impossible." (p46)
J'ai du mal à savoir que penser de ces propos (écrits par ailleurs dans un style proche de celui de Lacan, par exemple dans ce genre de phrase, p100 : "Le courage (...) s'origine d'une conversion héroïque...") : je trouve l'intuition psychologique de Lacan plutôt séduisante, à première vue (même si j'aurais tendance, pour me sortir d'un état qui tend à la dépression, à chercher le contact avec le réel le plus immédiat, plutôt qu'un quelconque "impossible"...). Mais je reconnais qu'il me serait difficile, en bon progressiste-réformiste, de clamer haut et fort la nécessité de chercher des voies impraticables...
COMMENTAIRES
1. Le dimanche 15 juin 2008 à 18:33, par mattD
2. Le mardi 17 juin 2008 à 14:00, par vince
3. Le mardi 17 juin 2008 à 22:02, par tatal
4. Le mercredi 18 juin 2008 à 10:09, par mattD
5. Le jeudi 19 juin 2008 à 13:07, par Dahlia
6. Le jeudi 17 février 2011 à 13:43, par esnault
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