La littérature sous caféine


Du coq à l’âne (Leroy, Alabama Song, Goncourt 2007 / Littell, Les Bienveillantes, Concourt 2006)



Un reproche qu’on peut difficilement faire au Goncourt, c’est de couronner des auteurs dont les écritures se ressembleraient (si ce n’est, toutefois, un certain académisme ?) : auntant le lauréat 2006, Littell avec ses Bienveillantes, misait sur l’épreuve de force, le souffle, l’ampleur, l’exhaustivité, pour décrire l’épopée de son tortionnaire SS, autant Gilles Leroy, dans Alabama Song (Mercure de France, Goncourt 2007), dressant le portrait de Zelda, la femme de Scott Fitzgerald, a recours au fragment, à la touche, à la variation poétique.

Son livre se veut à mi-chemin de l’œuvre biographique et du roman : les épisodes clés du destin de cette femme, sombrant avec son mari dans l’alcool et de folie, sont mentionnés, mais intercalés avec d’autres que l'auteur crée de toutes pièces. Cela nous donne une mosaïque joliment dessinée, élégante comme les personnages qu’elle décrit, par pointes précises et délicates, auxquelles il manque cependant peut-être un certain souffle.

« Scott, bourré, pisse dans le lavabo. Parfois à côté. On trouve au matin des gouttelettes d’urine séchées sur le carrelage, et des coulures jaunes sur la faïence. Est-ce que je vis dans un zoo ? Est-ce que la gloire est là pour cacher le zoo ? C’était pourtant notre accord – du moins l’étions-nous promis -, tout s’autoriser à l’intérieur de la plus grande propreté. Je crois bien que je suis en train de perdre mon mari. L’homme délicat, si tatillon naguère et doté d’un odorat soupçonneux, s’accommode aujourd’hui des bras de n’importe quelle grognasse à l’encolure cernée de gris. Il ne sent même plus sa propre haleine, fétide, irrespirable. Il s’habitue à baisser. Epouse la pente. La précède, qui sait ? » (p96)

Souffle qui ne manque pas à l’impressionnant Bienveillantes, de Jonathan Littell : j’en ai repris ma lecture, que j’avais laissée à la page 450, et que j’ai poussée jusqu’à la 600ème. Le narrateur a quitté la France, après avoir commis quelques crimes supplémentaires, et pris la direction d’Auschwitz. Je suis toujours estomaqué par la fluidité de cette œuvre, pourtant massive, par la beauté de nombreuses pages, et par son incroyable liberté de ton.

Je persiste à croire que certains passages, tirés hors de leur contexte romanesque, vaudraient à l’auteur des poursuites judiciaires, et de sévères inimitiés dans le monde intellectuel. Que pensez-vous par exemple de la digression qui suit ? Je n’ose même pas réfléchir à ce que nous suggère l’auteur, de peur de mettre les pieds dans des débats sulfureux, qui me dépasseraient sans doute…

C’est un Nazi qui s’exprime – il fait paradoxalement l’éloge des Juifs :

« Les Juifs son les premiers vrais nationaux-socialistes, depuis près de six mille ans déjà, depuis que Moïse leur a donné une Loi pour les séparer à jamais des autres peuples. Toutes nos grandes idées viennent des Juifs, et nous devons avoir la lucidité de le reconnaître : la Terre comme promesse et comme accomplissement, la notion du peuple choisi entre tous, les concept de la pureté du sang. C’est pour cela que les Grecs, abâtardis, démocrates, voyageurs, cosmopolites, les haïssaient tant, et c’est pour cela qu’ils ont d’abord essayé de les détruire, puis, par le biais de Paul, de corrompre leur religion de l’intérieur, en la détachant du sol et du sang, en la rendant catholique, c’est-à-dire universelle, en supprimant toutes les lois qui servaient de barrière pour maintenir la pureté du sang juif : les interdits alimentaires, la circoncision. Et c’est donc pour cela que les Juifs sont, de tous nos ennemis, les pires de tous, les plus dangereux ; les seuls qui valent vraiment la peine d’être haïs. Ce sont nos seuls vrais concurrents, en fait. Nos seuls rivaux sérieux. Les Russes sont faibles, une horde privée de centre malgré les tentatives de ce Géorgien arrogant de leur imposer un « national-communisme ». » (p420)

COMMENTAIRES

1. Le lundi 26 novembre 2007 à 10:49, par mils

: ouah ! nouveau systeme de commentaires ! le blog s'améliore, pat !

2. Le lundi 26 novembre 2007 à 10:50, par digger

encore une belle daube, ce goncourt ! y'a rien dans ce bouquin. C'est de la flotte. comme tu dis, mister pat, c'est des petits bouts, mais y'a rien qui les relie, ca ressemble à rien tout ca. Pouah !

3. Le lundi 26 novembre 2007 à 10:50, par marco

Pour prolonger ce que tu dis, Mister Pat, une anecdote concernant "Les Bienveillantes" (moi aussi j'en suis à la page 600, tu fais exprès de m'imiter, ou quoi?), livre fort mais qu'il ne faut décidément pas mettre entre toutes les mains: à table, une collègue a dit, s'inspirant très précisément du passage que tu cites: "il dit des choses vraiment intéressantes quand même [elle n'avait pas aimé les très nombreux détails scatologiques], Littell montre bien par exemple que les juifs, au fond, dans leur mentalité, sont comme les nazis" (sic). Autant dire que la digestion fut difficile. Des petites phrases comme celle là, malheureusement, j'en entends et j'en lis de plus en plus.

4. Le lundi 26 novembre 2007 à 10:51, par pat

c'est vrai que le livre de littell se veut assez subtil, et qu'une lecture un peu rapide peut aboutir à ce genre de remarque proprement consternante... C'en devient presque drole ! (si ce n'était tragique, au fond...) Quant aux touches scato du bouquin, je les trouve plutôt réussies ! je comptais d'ailleurs en citer une dans un prochain billet, que je trouvais assez saisissantes... (ce sera le cas de le dire)

5. Le lundi 26 novembre 2007 à 10:51, par Olympe

Bonjour ! J'ai lu Les Bienveillantes (j'ai passé la 600ème page !! J'ai trouvé la suite aussi captivante et torturée...) et je pense qu'en effet, il peut être dangereux de citer, hors contexte, les passages du livre, dont certains, comme celui-ci, sont complètement antisémites... Il ne faut pas oublier, quand on est un lecteur "averti" (ce qui n'est sûrement pas le cas de la collègue qui s'approprie les propos du narrateur) que le narrateur en question est un nazi notoire qui traverse le 3ème Reich et ses remous... J'ai trouvé certaines analyses du linguiste intéressantes... Et vous ? Merci pour ce blog !

6. Le lundi 26 novembre 2007 à 10:51, par billy

finalement, c'est une sorte de serial politic killer

7. Le samedi 19 juillet 2008 à 07:39, par Lyonel Baum

Le temps passe et les lectures approfondies du roman de J. Littell relativisent les commentaires d'Edouard Husson et de Michel Terestchenko. Jean Solchany pour la recherche historique et Florence Mercier-Leca pour la littérature , et quelques autres , de plus en plus nombreux, ne considèrent plus « Les Bienveillantes» comme un canular . Sans reprendre les propos hyperboliques de certains ( Georges Nivat , Pierre Nora et bien d'autres ) ceux qui ont lu et relu le livre énoncent les qualités de cet événement littéraire. Jamais en 60 ans , une oeuvre artistique n'a pu rendre sur ce sujet ( l'apocalypse européenne pendant la seconde guerre mondiale ) , à ce niveau d'incandescence , l'effet de Réel qui émerge de cette narration. Comme le dit Solchany c'est un roman qui réussit là où le cinéma n'a jusqu'à aujourd'hui pas totalement convaincu. Peu d'oeuvres littéraires ont contribué de manière aussi efficace au «devoir de mémoire». La fiction , le témoignage et le livre scientifique constituent 3 approches différentes et non concurrentes du nazisme et de l'extermination des juifs. Certains lecteurs ne semblent pas prêts à reconnaître la légitimité de la démarche fictionnelle, alors que cette dernière jouera à l'avenir un rôle croissant dans la prise de conscience de la monstruosité du nazisme.L'intervention des intellectuels dans le débat critique est indispensable, mais il y a des limites à l'expertise historienne. S'exprimer sur le rapport à la vérité lorsqu'il s'agit de littérature( ou de cinéma ) présuppose une grande prudence.Les historiens ne doivent pas ruiner leur crédit en souscrivant à un fondamentalisme hypercritique qui conduit à assassiner un roman qui ne mérite pas un tel traitement. « Les Bienveillantes» apparaissent comme un texte exigeant. Il sollicite diverses compétences du lecteur et pas seulement culturelles.

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