La littérature sous caféine


lundi 15 octobre 2007

Cancre et premier de la classe, même combat (Daniel Pennac et son Chagrin d'Ecole)



Rentrée Littéraire 2007 (9)

Dans son dernier livre, Chagrin d’école (Gallimard, Renaudot 2007), Daniel Pennac revient sur ses années de cancre, les souffrances qu’il y a ressenties, et le rôle qu’elles ont tenu dans son choix, plus tard, de devenir professeur. « En ce qui me concerne, statistiquement, j’étais programmé pour être un élève sans problème. Famille bourgeoise cultivée, aimante, parents unis, frères réussissant leurs études… Et moi ? Un cancre étalon ! Pourquoi ? Mystère… », explique-t-il dans une interview à Elle.

« Le cancre que j’étais m’a toujours dit : « Tu es devenu prof grâce à moi ! » Et il a raison, ce salopard. Grâce à lui, je connais la douleur de ne pas comprendre et j’ai pu agir sur ses effets. »

Difficile de savoir ce qui nous pousse exactement à devenir prof… Je ne me sens pas moins attentif que Pennac à la douleur de ne pas comprendre, chez l’élève, et pourtant je n’ai jamais été cancre – j’ai même toujours trusté les premières places, du moins jusqu’au bac (cela dit sans me vanter : je n’en suis pas fier aujourd’hui, car cela ne m’a pas rendu particulièrement heureux. Cela ne m'a pas aidé non plus pour me choisir une vie les années suivantes. Mes bons résultats m’ont empêché, dans une certaine mesure, d’y voir clair dans ce qui me plaisait vraiment).

Alors, quid de l’envie d’être prof ? Si je mets de côté ces vacances qui me permettent de donner un coup de bourre aux manuscrits, il y a sûrement le plaisir brut de la connaissance partagée, c’est-à-dire la de connaissance créant de la chaleur et du lien. Si Pennac a guéri ses blessures de cancre en devenant professeur, je guéris peut-être une certaine pratique solitaire de la connaissance, une pratique douloureuse, celle du bon élève qui trime en silence parce qu’il n’a pas le choix.

(Cela dit, plus je disserte là-dessus, moins les raisons que j’avance ne me paraissent bien crédibles… )

lundi 17 septembre 2007

3 livres précieux (Bégaudeau, Da Silva, Martin)

Rentrée littéraire 2007 (5)

1) Dans le court et joli Hoffmann à Tokyo, de Didier Da Silva (Naïve, août 2007), le canevas romanesque est réduit au minimum pour laisser place à de brefs aperçus sur la ville. L’écriture précieuse y consiste en une alternance de tournures grammaticales vieillies et d’autres plus familières. Les descriptions de Tokyo privilégient tour à tour une approche pointilliste, par petites touches précises, et une approche impressionniste, par sensations vagues.

Jugez plutôt :

« L’avait frappé, en y mettant le pied, que tout semblait converger là. La circularité des lieux n’est pas seule en cause, le grand carrefour de Shibuya – le square n’en occupe qu’une dixième partie, d’ailleurs excentrée – ne propose rien de moins, dirait-on, que d’occulter le reste du monde. Il paraît peu probable, par exemple, qu’au-delà de cette arène de hauts immeubles high-tech se maintienne la vaste blague qu’on connaît sous le nom d’Europe. Il n’y croit plus. » (p16)

2) Dans Fin de l’histoire (Verticales, août 2007), la préciosité de François Bégaudeau consiste dans la même alternance de deux registres, mais il pousse le bouchon beaucoup plus loin : à la fois dans le jargonnant, pour s’en moquer, et dans le style oral, pour s’en moquer aussi. Le propos du livre n’est pas inintéressant – montrer, entre autres, ce qu’a de révolutionnaire la manière dont Florence Aubenas a pris la parole lors de la conférence de presse à son retour de captivité -, et le style foisonnant de Bégaudeau cherche à renforcer l’argumentation en la rendant plus vivante, et plus sarcastique.

Le problème est que la démonstration, je trouve, y perd en clarté. Bégaudeau s’exprime très bien lors des interviews, on en vient à regretter qu’il ne mette pas son intelligence et son talent discursif au service du texte lui-même.

Exemple :

« On sent les assistants se réjouir d’avance qu’elle mette ses infos dans la cagnotte commune, normal elle est des nôtres, solidaire c’est la moindre des choses. Il va y avoir des : révélations. Et aussi des : révélations. Mais surtout des : révélations. Elle a raison, trépignent-ils, ce récit nous concerne tous, c’est patrimoine public, c’est une affaire d’Etat, une affaire de Nous, donne à chacun une part du gros gâteau d’Histoire que tu as eu pour ton Noël, donne un échantillon de Météorite qui t’est tombée dessus dans le désert, donne-nous des nouvelles du front, des nouvelles qui crachent le feu la fureur le bruit. » (p17)

Tout au long du livre, j’aurai du mal à saisir ce que Bégaudeau reproche exactement à l’Histoire… Finalement j’aurais préféré un essai, en bonne et due forme !

Ici, Bégaudeau justifie son style :



Là, Finkielkraut tempère l’enthousiasme provoqué par le retour de Florence Aubenas :



3) Troisième préciosité, celle de Lionel-Edouard Martin, dans son roman L’Homme hermétique (Arléa, août 2007) – un auteur que j’ai découvert grâce au premier numéro de la revue L’Arsenal : poète brillant et majestueux dans ses textes en prose, il perd un peu de sa grâce avec le roman, car il applique un vocabulaire assez daté à des sujets qui mériteraient sans doute moins d’élégance.

Par exemple, avec cette description d’un garçon qui écoute du rap :

« Du garçon, on ne voit pas grand-chose – on le présume jeune et garçon du fait de sa vêture et de ses formes : il marche à grands pas sur le trottoir, opacifié par un survêtement dont la capuche lui dissimule le visage, dont les poches lui dévorent les poings. »

mercredi 12 septembre 2007

Le temps qui se fracasse (Albert Camus, Le Premier Homme)



En préparant mes cours pour mes classes de seconde et de première, je redécouvre une partie de l’œuvre d’Albert Camus. Je lis devant les élèves la magnifique nouvelle L’Hôte, extraite du recueil L’Exil et le Royaume : une histoire à l’atmosphère sèche et rude, dans l’Algérie des années 50, magnifiquement écrite et tragique à souhait (le protagoniste, instituteur dans une région désertique, cherche à se comporter de la manière la plus noble possible, mais il subit malgré tout les inévitables contrecoups de la guerre qui s’annonce). Chaque fois que je lis la chute, surtout à voix haute, j’ai la gorge qui se serre.

J’en profite aussi pour découvrir un livre que je n’avais jamais lu : Le Premier homme, ce recueil de fragments, pour la plupart autobiographiques, retrouvés dans une sacoche après la mort de notre grand homme en 1960 dans un accident de voiture (trois ans après son Prix Nobel de Littérature).

Et je tombe sur des pages toutes plus somptueuses les unes que les autres, fourmillantes de détails et singulièrement émouvantes : comment ne pas être saisi, par exemple, par le récit des dernières années de la mère de Camus dans une Algérie de plus en plus violente, une femme des plus modestes qui ne savait pas lire et qui n’avait jamais vu la France, une femme dont toute l’existence n’a semblé connaître que la misère, et la douleur :

« Elle le regardait d’un curieux air indécis, comme si elle était partagée entre la foi qu’elle avait dans l’intelligence de son fils et sa certitude que la vie tout entière était faite d’un malheur contre lequel on ne pouvait rien et qu’on pouvait seulement endurer. « Tu comprends, dit-elle, je suis vieille. Je ne peux plus courir. » Le sang revenait maintenant à ses joues. Au loin, on entendait des timbres d’ambulances, pressants, rapides. Mais elle ne les entendait pas. Elle respira profondément, se calma un peu plus et sourit à son fils de son beau sourire vaillant. Elle avait grandi, comme toute sa race, dans le danger, et le danger pouvait lui serrer le cœur, elle l’endurait comme le reste. C’était lu qui ne pouvait endurer ce visage pincé d’agonisante qu’elle avait eu soudain. « Viens avec moi en France », lui dit-il, mais elle secouait la tête avec une tristesse résolue : « Oh ! non, il fait froid là-bas. Maintenant je suis trop vieille. Je veux rester chez nous. » (p89)

Ou l’histoire de ce narrateur venu voir à 43 ans la tombe de son père, mort en 1914 lors de la bataille de la Marne, à l’âge de 29 ans (autant de détails directement inspirés de la vie de Camus), et s’étonnant de considérer maintenant son propre père comme un enfant :

« Et le flot de tendresse et de pitié qui d’un coup vint lui emplir le cœur n’était pas le mouvement d’âme qui porte le fils vers le souvenir du père disparu, mais la compassion bouleversée qu’un homme fait ressent devant l’enfant injustement assassiné – quelque chose ici n’était pas dans l’ordre naturel et, à vrai dire, il n’y avait pas d’ordre mais seulement folie et chaos là où le fils était plus âgé que le père. La suite du temps lui-même se fracassait autour de lui immobile, entre ces tombes qu’il ne voyait plus, et les années cessaient de s’ordonner suivant ce grand fleuve qui coule vers sa fin. » (p35)

J’ai quelques années devant moi avant d’éprouver sans doute le même sentiment : mon propre père est mort à l’âge de 47 ans, ça me laisse donc une quinzaine d’années avant que le temps ne se « fracasse autour de moi immobile »…

samedi 8 septembre 2007

La littérature "In your face"



La bloggueuse Wrath vient de publier une nouvelle de ma plume, L’Enfant liquide, dans sa revue on-line Sans Soirée (lire ICI la nouvelle, + les commentaires des internautes). J’aime bien le qualificatif qu’elle utilise pour décrire la nouvelle : c’est de la littérature « In your face », d’après-elle, et nul doute que j’aie souvent voulu, plus ou moins consciemment, saisir l’attention du lecteur par un thème particulièrement dur, ou par des histoires qui tournaient autour de la notion de traumatisme.

En tant que lecteur, j’ai d’ailleurs été longtemps fasciné par les romans (souvent américains) qui exploraient l’extrême violence, ou l’extrême sexualité. Je pense au saisissant Livre de Jérémie, de J.T. Leroy, ou aux livres de Kathy Acker.

J’essaye d’ailleurs de me détacher de ce type de littérature, en faisant l’effort d’imaginer des histoires plus douces, ou de dénicher des romans plus tendres. A cet égard, celui que je suis en train de finir, et qui se passe au Japon, se veut moins in your face que les précédents – même si, et cela me paraît maintenant une fatalité dans la construction d’un roman, les quelques scènes clés du livre sont fondées sur des sortes de points critiques très proches, justement, de traumatismes (et qu’est-ce que la littérature, finalement, si ce n’est la gestion des traumatismes, plus ou moins décelables, qui ponctuent nos existences ?)

(Photo : Les Grands Moulins de Pantin (friches industrielles le long du canal de l'Ourcq, que j'ai découvertes ce week-end à vélo...)

jeudi 6 septembre 2007

Exceller dans la description de la misère (Olivier Adam, A l’abri de rien)



Rentrée littéraire 2007 (4)

Un collègue au lycée, qui me paraît être un grand lecteur (il arbore notamment un William T. Vollmann dans la salle des profs), me voit avec le dernier Olivier Adam à la main, A l’abri de rien (Editions de l’Olivier, août 2007).

« Tu lis ce truc ? C’est de la littérature moyenne, y’a rien dedans, pas de style, qualité médiocre, formatée pour un cinéma médiocre… » (Référence à l’adaptation ciné de Je vais bien, ne t’en fais pas).

Jusqu’à maintenant, je trouvais pourtant qu’Adam réussissait un véritable exercice d’équilibriste : l’exigence littéraire d’une part, le souci du grand public de l’autre. Il était d’ailleurs l’un des très rares, me semblait-il, à réaliser ce grand écart. Le recueil de nouvelles Passer l’hiver, notamment, m’avait fait forte impression : tension des intrigues, épaisseur humaine, émotions palpables, avec juste ce qu’il faut d’effets de style.

Falaises renouvelait avec succès l’exercice, en l’étendant au format roman.

Adam tente une nouvelle fois le coup, mais il me semble qu’il perde un peu de sa force. Un peu comme Dan Chaon, jeune auteur américain, avait perdu de la puissance quand il était passé de son excellent recueil de nouvelles Parmi les Disparus (Albin Michel, 2004), au plus languissant roman Le Livre de Jonas (Albin Michel, 2006).

Avec A l’abri de rien, Olivier Adam tient un thème en or : cette histoire de jeune mère de famille qui tente de sauver sa propre vie en aidant des réfugiés kosovars est parfaitement dans l’air du temps. Mais elle sent légèrement la redite : on retrouve les mêmes personnages miséreux, les mêmes atmosphères d’alcool et de désespoir que dans les précédents opus. L’ensemble se lit bien, avec de belles pages tristes et d’autres assez saisissantes (notamment les quelques scènes de violence). Parfois le style lorgne méchamment vers Céline, lorsqu’il s’agit de dire la crasse et la pauvreté :

« Alors ces gamins quand je les regardais, ça me sautait à la gueule leur jeunesse et la mienne qui était bel et bien morte. » (p50)

En citant le passage suivant, j’adresse un clin d’œil à un ami dentiste :

« Des médecins pour les soigner gratis on en trouve toujours, elle avait dit, mais le problème c’est les dentistes. Ces gens-là ont un porte-monnaie à la place du cœur. De toute façon c’est impossible autrement. Pourquoi consacrer une vie à regarder dans la bouche des gens si c’est pas pour le pognon ? » (p111)

lundi 27 août 2007

Colique et devinette (Eric Reinhardt, Cendrillon)



Rentrée littéraire 2007 (1)

Dans Cendrillon, le 4ème roman d’Eric Reinhardt (Stock, août 2007, 578 pages), vous trouverez des pages qui vous rappelleront :

- Christine Angot pour l’atmosphère d’autofiction (en plus feutré, en plus neutre) (l’un des 4 personnages principaux correspond au narrateur, et semble se confondre avec l’auteur).

- Fraternité de Marc Weitzman (Denoël, 2006) pour le constat sombre sur notre société contemporaine (Fraternité faisait fort dans le cynisme et la noirceur).

- Les Corrections de Franzen pour l’ampleur du projet et le portrait de ces grandes familles en déliquescence (ce qui donne lieu à de longues et cruelles scènes de comique grotesque).

- Le Bûcher des Vanités de Tom Wolfe pour les aperçus sur le monde de la finance (en moins documenté cependant, et en moins réaliste).

- Houellebecq pour les scènes de pitoyables amours adolescentes.

Et je clos ce billet par une devinette : essayez de trouver qui se cache derrière le double portrait de la page 33 :

« … un philosophe marxiste de premier plan, mondialement connu, auteur de nombreux livres, professeur à temps partiel dans une université de Californie, père d’une actrice célèbre et à la mode. Actrice célèbre et à la mode ? Voilà qui pique au vif votre curiosité. Vous allez sans doute me réclamer son nom. Malheureusement, public hétéroclite, amis hongrois, amis du Tyrol et de l’Himalaya, je doute que cette actrice vous soit connue. Elle ne doit sa notoriété qu’au mécanisme d’une connivence de caste, d’une bienveillance de son milieu si influent. En plus d’être fille de philosophe, elle avait réalité la prouesse d’être sortie première de deux écoles prestigieuses de la République, l’une : dans le domaine des lettres, l’autre : dans le domaine des arts dramatiques, les deux : fabriquant des élites. Cette actrice dans un film suisse, un film bulgare ou Yougoslave, hollywoodien ? Irréductiblement parisienne, endémique de la bourgeoisie intellectuelle de gauche, invariable, monotone comme la pluie, totalement inexportable, il est à craindre qu’elle ne franchira jamais les frontières de la France. »

mercredi 25 juillet 2007

Les synonymes de Colette (Colette/Sacha Guitry/Oscar Wilde)



Dans un recueil d’aphorismes de Sacha Guitry, Toute réflexion faite (des aphorismes qui valent d’ailleurs bien souvent ceux d’Oscar Wilde), je tombe sur celui-ci :

« Colette.
Elle préfère les synonymes – et c’est bien ce qui rend sa phrase si jolie
. »

Je ne sais pas dans quelle mesure il s’agit d’une pique, mais en inconditionnel de notre gironde auteur, je me suis précipité sur le premier volume de Colette dans ma bibliothèque pour essayer de trouver un passage qui pourrait correspondre.

Or je suis tombé sur une page remarquable, qui, par sa relative sobriété, semble contredire le bon Sacha :

« Mes amis véritables m’ont toujours donné cette preuve suprême d’attachement : une aversion spontanée pour l’homme que j’aimais. « Et s’il disparaît encore, celui-là, que de soins pour nous, quel travail pour l’aider, elle, à reprendre son aplomb… »
Au fond, ils ne se sont jamais tellement plaints – bien au contraire – ceux qui m’ont vue leur revenir tout échauffée de lutte, léchant mes plaies, comptant mes fautes de tactique, partiale que c’en est un plaisir, chargeant de crimes l’ennemi qui me défit, puis le blanchissant sans mesure, puis serrant en secret ses lettres et ses portraits : « Il était charmant… J’aurais dû… Je n’aurais pas dû… » Puis la raison venait, et l’apaisement que je n’aime pas, et mon silence, trop tard courtois, trop tard réservé, qui est, je crois bien, le pire moment… Ainsi va la routine de souffrir, comme va l’habitude de la maladresse amoureuse, comme va le devoir d’empoisonner, innocemment, toute vie à deux
… »

(Colette, La Naissance du jour)

Le genre de page à vous attacher toute une vie à un auteur.

Même si je ne me reconnais pas dans cette formule : « L’apaisement que je n’aime pas… » Mais doit-on forcément aimer un auteur pour se reconnaître en lui ?

En fait le défaut de Colette me semble moins consister dans son goût pour les synonymes, que dans sa recherche du terme rare (ce qui n’est pas exactement la même chose), des associations surprenantes ou des métaphores exagérément végétales. Y avait-il par exemple besoin, dans cette description du corps d’un homme, de parler de « bois brûlé » ?

« Elle vit, comme elle l’avait vu tant de fois, noir au-dessus d’elle, faunesques et barbu, ce grand corps brun exhalant une odeur connue d’ambre et de bois brûlé… » (Colette, L’Ingénue Libertine)

lundi 23 juillet 2007

Frisson d'érotisme horrifique (Octave Mirbeau)



En horreur (et en érotisme) la littérature semble pouvoir aller beaucoup plus loin que le cinéma, tout simplement parce que les mots, quoi qu’ils décrivent, heurtent moins que les images (et parce que les images restent toujours à la traîne par rapport à l’imagination).

Et puis la littérature permet sans doute un degré plus pur encore de fantasme, comme avec cette scène étonnante, piochée dans un recueil intitulé Les Vertus du Vice (Gilles Verlant, Albin Michel) :

« On ne permet pas aux étrangers d’assister à ce supplice qui, d’ailleurs, est très rare aujourd’hui… Mais nous avions donné de l’argent au gardien qui nous dissimula, derrière un paravent… Annie et moi, nous avons tout vu… Le fou – il n’avait pas l’air fou – était étendu sur une table très basse, les membres et le corps liés par de solides cordes… la bouche bâillonnée… de façon à ce qu’il ne pût faire un mouvement, ni pousser un cri… Une femme, pas belle, pas jeune, au masque grave, entièrement vêtue de noir, le bras nu cerclé d’un large anneau d’or, vint s’agenouiller auprès du fou… Elle empoigna sa verge… et elle officia… Oh ! chéri !... chéri !... si tu avais vu !... Cela dura quatre heures… quatre heures, pense !... quatre heures de caresses effroyables et savantes, pendant lesquelles la main de la femme ne se ralentit pas une minute, pendant lesquelles son visage demeura froid et morne !... Le patient expira dans un jet de sang qui éclaboussa toute la face tourmenteuse… » (Octave Mirbeau, le Jardin des Supplices)