La littérature sous caféine


mercredi 22 mars 2023

La poésie pour dire l'effroi

C’est assez rare, les écrivains qui rendent compte du travail manuel – soit ils ne le pratiquent pas et s’en désintéressent, soit ils rechignent à en parler vraiment. Les œuvres qui s’y collent prennent alors une valeur particulière, comme le formidable « A la ligne » (La Table ronde, 2019). Joseph Ponthus y propose une poésie libre à même de rendre le vécu, la difficulté et même l’horreur. Ses pages sur le travail en abattoir ont quelque chose d’hallucinant, et le narrateur fait bien d’évoquer le film saisissant de Georges Franju, « Le sang des bêtes » (1949), qui n’a rien à envier à David Lynch en termes de mystère et d’effroi.

« Autant de cuves que de déchets
Des morceaux que je parviens pas à identifier
Les mâchoires
Les cornes
Les pieds avant
Les pieds arrière
Parfois des oreilles douces et poilues avec encore l’anneau d’identification de l’animal
D’autres parties du corps dégoulinantes que je préfère ne pas savoir mais qui sont du ruminant
Sans doute les différentes panses
Et les mamelles » (page 128)


mardi 21 mars 2023

Quand les philosophes jouent aux billes

Dans la bibliothèque de la famille – pourtant peu susceptible de voter à l’extrême gauche – trônait en bonne place un livre de Simone de Beauvoir qu’on oublie toujours de citer parce qu’il fait tache à côté des splendides « Deuxième sexe » et « Mémoires d’une jeune fille rangée », un éloge en règle de Mao : « La longue marche » (Gallimard, 1957). Ouverture d’esprit d’une famille moins conservatrice qu’il n’y paraissait ? Véritable emprise sur l’époque d’une caste de penseurs radicaux ?

A ce propos, en lisant « Maos » de Morgan Sportès (Grasset, 2006), j’ai trouvé ce que je cherchais, quelques intuitions sur ce qui a nourri pendant si longtemps la puissance des réseaux maoïstes dans la vie intellectuelle française. L’intrigue policière est l’occasion de jolis développements sur les jeux politiques de l’époque et la psychologie profonde de certains milieux révolutionnaires.

« Les films de la période militante de Marin Karmitz et Jean-Luc Godard, « Coup pour coup », « Tout va bien », dénonçant les syndicalistes jaunes et appelant à la liquidation des patrons, les vieux numéros des « Temps modernes » où, dans des interviews délirantes, Michel Foucault et autres, plutôt astucieux dans leurs ouvrages universitaires, s’abaissaient à enfiler les syntagmes infects de la langue de bois marxistes-léninistes, sans parler de clowns intellectuels plus insignifiants. On eût dit qu’avec le gauchisme ces légions de professeurs Tournesol, lassés des bibliothèques et des chaires universitaires, eussent cherché chez les maos, et dans les médias, un second souffle, une jouvence, une nouvelle jeunesse, comme des adultes se mettant à quatre pattes au milieu d’écoliers, pour retrouver avec eux les plaisirs du jeu de billes ? » (Maos, p 150)