La littérature sous caféine


mercredi 25 juillet 2007

Les synonymes de Colette (Colette/Sacha Guitry/Oscar Wilde)



Dans un recueil d’aphorismes de Sacha Guitry, Toute réflexion faite (des aphorismes qui valent d’ailleurs bien souvent ceux d’Oscar Wilde), je tombe sur celui-ci :

« Colette.
Elle préfère les synonymes – et c’est bien ce qui rend sa phrase si jolie
. »

Je ne sais pas dans quelle mesure il s’agit d’une pique, mais en inconditionnel de notre gironde auteur, je me suis précipité sur le premier volume de Colette dans ma bibliothèque pour essayer de trouver un passage qui pourrait correspondre.

Or je suis tombé sur une page remarquable, qui, par sa relative sobriété, semble contredire le bon Sacha :

« Mes amis véritables m’ont toujours donné cette preuve suprême d’attachement : une aversion spontanée pour l’homme que j’aimais. « Et s’il disparaît encore, celui-là, que de soins pour nous, quel travail pour l’aider, elle, à reprendre son aplomb… »
Au fond, ils ne se sont jamais tellement plaints – bien au contraire – ceux qui m’ont vue leur revenir tout échauffée de lutte, léchant mes plaies, comptant mes fautes de tactique, partiale que c’en est un plaisir, chargeant de crimes l’ennemi qui me défit, puis le blanchissant sans mesure, puis serrant en secret ses lettres et ses portraits : « Il était charmant… J’aurais dû… Je n’aurais pas dû… » Puis la raison venait, et l’apaisement que je n’aime pas, et mon silence, trop tard courtois, trop tard réservé, qui est, je crois bien, le pire moment… Ainsi va la routine de souffrir, comme va l’habitude de la maladresse amoureuse, comme va le devoir d’empoisonner, innocemment, toute vie à deux
… »

(Colette, La Naissance du jour)

Le genre de page à vous attacher toute une vie à un auteur.

Même si je ne me reconnais pas dans cette formule : « L’apaisement que je n’aime pas… » Mais doit-on forcément aimer un auteur pour se reconnaître en lui ?

En fait le défaut de Colette me semble moins consister dans son goût pour les synonymes, que dans sa recherche du terme rare (ce qui n’est pas exactement la même chose), des associations surprenantes ou des métaphores exagérément végétales. Y avait-il par exemple besoin, dans cette description du corps d’un homme, de parler de « bois brûlé » ?

« Elle vit, comme elle l’avait vu tant de fois, noir au-dessus d’elle, faunesques et barbu, ce grand corps brun exhalant une odeur connue d’ambre et de bois brûlé… » (Colette, L’Ingénue Libertine)

lundi 23 juillet 2007

Frisson d'érotisme horrifique (Octave Mirbeau)



En horreur (et en érotisme) la littérature semble pouvoir aller beaucoup plus loin que le cinéma, tout simplement parce que les mots, quoi qu’ils décrivent, heurtent moins que les images (et parce que les images restent toujours à la traîne par rapport à l’imagination).

Et puis la littérature permet sans doute un degré plus pur encore de fantasme, comme avec cette scène étonnante, piochée dans un recueil intitulé Les Vertus du Vice (Gilles Verlant, Albin Michel) :

« On ne permet pas aux étrangers d’assister à ce supplice qui, d’ailleurs, est très rare aujourd’hui… Mais nous avions donné de l’argent au gardien qui nous dissimula, derrière un paravent… Annie et moi, nous avons tout vu… Le fou – il n’avait pas l’air fou – était étendu sur une table très basse, les membres et le corps liés par de solides cordes… la bouche bâillonnée… de façon à ce qu’il ne pût faire un mouvement, ni pousser un cri… Une femme, pas belle, pas jeune, au masque grave, entièrement vêtue de noir, le bras nu cerclé d’un large anneau d’or, vint s’agenouiller auprès du fou… Elle empoigna sa verge… et elle officia… Oh ! chéri !... chéri !... si tu avais vu !... Cela dura quatre heures… quatre heures, pense !... quatre heures de caresses effroyables et savantes, pendant lesquelles la main de la femme ne se ralentit pas une minute, pendant lesquelles son visage demeura froid et morne !... Le patient expira dans un jet de sang qui éclaboussa toute la face tourmenteuse… » (Octave Mirbeau, le Jardin des Supplices)