La littérature sous caféine


jeudi 14 février 2008

N'avons-nous d'amour véritable que pour nos enfants ? (Alexandre Lacroix, De la supériorité des femmes)



Il y a peut-être cinq ans, Alexandre Lacroix, maintenant rédacteur en chef du magazine à succès Philosophie Magazine, me disait : "C'est marrant, tu écris surtout sur les rapports hommes-femmes... Moi, ce n'est pas quelque chose qui m'obsède." Aujourd'hui, c'est un roman qu'il publie chez Flammarion, De la supériorité des femmes ("Et de leurs conséquences tragiques", précise le bandeau), explicitement consacré à la chose - plus précisément, la séparation difficile entre le narrateur et une dénommée Mathilde, quelques années après la naissance de leur fils. A croire qu'on en revienne toujours, à son corps défendant, à ces questions relatives au couple, à l'amour, à la sexualité...

"Il y a un côté commercial dans l'amour. L'acte sexuel ressemble à une négociation. Le but ? Atteindre un record qui ne lève aucune des deux parties. D'ailleurs, cette dimension se révèle progressivement. Les accords tarifaires arrivent assez tard dans l'évolution d'un couple. Si je te suce, tu vas en faire autant. Si tu te prêtes au 69 - que tu n'apprécies pas -, tu pourras en échange me griffer. Si tu jouis la première, tu me laisses finir quand même. Si je te lècge les orteils, tu m'autorises à te fourrer trois doigts dans la chatte. Si tu avales mon sperme, je te ferai ensuite un long câlin immobile et tendre. Chaque couple aguerri possède ses conventions tacites, son jeu subtil de poids et de mesures." (p79)

Dans ce roman cru, volontiers provocant, parfois désinvolte, et à propos duquel la presse est partagée (Le Figaro a dit de lui qu'il "bandait mou", mais le Nouvel Obs s'est avoué séduit), ce sont les pages consacrées au rapport du narrateur avec son fils qui m'ont le plus intéressé - on y sent une tendresse qui semble avoir déserté le terrain des relations conjugales (du moins dans les pages qui nous sont données à lire...)

"J'attrape un roseau cassé pour Julien. "Tiens, ça peut te faire une épée..." Tout à coup, je perçois un vrombissement dans notre dos. Un canot à moteur, avec un couple à bord, arrive à notre hauteur. Ca y est, ils m'ont vu. Ils ont l'air étonné, pour peu qu'on puisse deviner l'expression de leurs visages malgré leur larges lunettes de soleil (ndr: le narrateur est nu). L'homme hoche le menton avec réprobation, la femme me fixe. Déjà, ils s'éloignent.
Pourquoi j'éprouve, à être surpris en flagrant délit de nudité avec mon fils, un vague sentiment d'indignité ?"
(p125)

mercredi 6 février 2008

Les outils pour le dégraissage (Modiano, Villa Triste)



Un ami lance sur le comptoir, furax, un exemplaire du dernier roman de Modiano, Le Café de la Jeunesse Perdue (Gallimard, 2007):

"C'est incroyable, ce type ! La presse lui tresse des lauriers, tout le monde crie au génie, les lecteurs se pressent par centaines de milliers, tout ça pour quoi ? Pour une prose qui sent la naphtaline, pour des histoires chiantes à mourir, pour des romans qui ne contiennent rien, rien, RIEN !... Qu'a-t-il donc de si particulier ? "

Je l'écoute d'une oreille attentive et je pense au livre que je porte justement dans la poche, un roman de Modiano sorti chez Folio, Villa Triste, dont je me souviens de l'adaptation cinématographique avec l'impayable Marielle. En ce moment je me consacre corps et âme au "dégraissage" d'un roman (d'où les relatives friches de ce blog depuis quelques jours...), c'est-à-dire à l'élimination des paragraphes longuets, des phrases inutiles. Il est d'ailleurs toujours difficile, dans cette phase d'écriture, de trouver le juste milieu entre style et fluidité, clarté et densité. Comment proposer des textes à la fois plein d'allant, et pourtant relativement écrits ?

Pour cela j'essaye toujours de m'inspirer de belles plumes, et celle de Modiano fait parfaitement l'affaire dans Villa Triste: l'intrigue s'épuise assez vite, mais la description de cette atmosphère étrange et chic, sur un lac près de la Suisse, avec des personnages en fuite ou en recherche d'eux-même, est un plaisir.

"Elle marchait vers notre table, une écharpe verte en mousseline nouée autour du cou. Elle me souriait et ne me quittait pas des yeux. Quelque chose se dilatait du côté gauche de ma poitrine, et j'ai décidé que ce jour était le plus beau jour de ma vie." (p31)