La littérature sous caféine


mardi 30 janvier 2024

Littérature du troisième âge

L'évolution démographique nous promet une belle flambée de fictions sur le thème du troisième âge. Nous y avons déjà droit au cinéma - je pense au somptueux "Amour" de Haneke et à quelques comédies moins inspirées. En littérature, j'ai la surprise de réaliser que le genre existe depuis longtemps : le journaliste et romancier René Fallet nous a gratifiés dans les année 50 d'une série de romans croquant avec truculence les mésaventures de vieillards bourrus. Mœurs campagnardes, langage salé, gouaille... Ça nous a donné la fameuse "Soupe aux choux", plus tard incarnée par De Funès, mais aussi l'étonnant "Vieux de la vieille" que jouera Gabin. Le plus surprenant dans ces romans, c'est qu'ils sont finalement très ciselés, sacrifiant à un art très français de la densité.

"Rapidement, maître et domestiques n'eurent plus un regard pour les hardis voyageurs. Des vieux, on savait trop comment c'était fabriqué. Inutile surtout de les pousser à parler, ils radotent, ne s'arrêtent plus, racontent des histoires embrouillées, encombrées de défunts à chaque phrase."

vendredi 26 janvier 2024

Les Goncourt de la décennie

Dans "La plus secrète mémoire des hommes" (Mbougarr Sarr, Goncourt 2022) il y a du mysticisme, du sexe, de la violence, une satire du monde de l'édition, des portraits de femmes, des paysages urbains, des tragédies familiales, des réflexions sur les identités africaines et européennes, le tout serti dans une vaste structure en forme d'enquête métaphysique, politique et littéraire, explicitement inspirée de Bolano. "Les Bienveillantes" était le meilleur Goncourt des années 2000, "Nos enfants après eux" le meilleur des années 2010, il y a fort à parier que nous tenons ici le meilleur des année 2020.

"C'est à cause de tout ça, de toute cette médiocrité promue et primée, que nous méritons de mourir. Tous : journalistes, critiques, lecteurs, éditeurs, écrivains, société, tous. Que ferait Elimane aujourd'hui ? Il tuerait tout le monde. Puis il se tuerait lui-même. Je te le redis: tout ça n'est qu'une comédie. Une sinistre comédie." (p 308)

lundi 15 janvier 2024

Les taquins

La famille des romanciers taquins s’agrandit, taclant notre époque et ses dérives woke, mais pas seulement : sa mélancolie s’explique aussi par la déception que lui inspirent les milieux conservateurs et réactionnaires. C’est que la modernité est passée par là, et sa force corrodante. L’ironie tient lieu de morale. On dirait le goguenard Flaubert perdu chez Houellebecq.

Après Patrice Jean revenu de tout, Bruno Lafourcade corrosif sur l’Education nationale, Marin de Viry cinglant sur le tourisme et l’entreprise, Abel Quentin lucide sur la cancel culture, voici Fabrice Châtelain s’attaquant dans son deuxième roman, « Le mâle du siècle » (Intervalles, 2023) aux modes virilistes et à ceux qui s’en alarment. Les scènes de satire s’enchaînent avec efficacité, personne n’en sort indemne, surtout pas le pauvre héros, peinant par exemple à se faire ici une opinion sur la grande distribution :

« Son honnêteté intellectuelle prenant le dessus, il considéra qu’il valait tout de même mieux avoir le choix entre deux cent soixante biscuits chocolatés s’étalant sur des rayons interminables dans un hypermarché bondé que de se retrouver dans l’impossibilité de se procurer une bouteille de lait dans une épicerie, même si celle-ci était tenue par un type avec qui on pouvait parler de la pluie et du beau temps. »

lundi 8 janvier 2024

Milady, symétrique de Monte Cristo

A ma relecture des « Trois Mousquetaires », j’ai été déçu par la description du siège de La Rochelle. En revanche, j’ai été sidéré par le personnage de Milady, qui me paraît la figure inversée de Monte Cristo : elle n’est plus le génie du bien mais le génie du mal, consumée par une envie d’en découdre qui lui insuffle des moyens extraordinaires. Comme le Comte, elle est emprisonnée. Comme le Comte, elle s’en sort par des moyens sophistiqués qui confèrent aux chapitres en question, clou de la deuxième moitié du roman, une intensité particulière.

C’est dire comme j’attends avec impatience la sortie du deuxième volet au cinéma. Rendra-t-il vraiment justice à ces chapitres ? Sans parler de la mort de Milady elle-même… Moment bref mais marquant la clôture d’une belle montée de tension.

Quoi qu’il en soit, je suis heureux que vive le leg d’Alexandre Dumas. Je viens d’ailleurs de visiter sa maison d’enfance à deux pas de la Cité internationale de la langue française. Pas de trace de Milady dans cette modeste demeure, mais de beaux cartons sur les trois Alexandre de la famille, figures aussi romanesques que les personnages issus de leur infernale imagination