La littérature sous caféine


lundi 3 octobre 2022

Je donnerais toute la poésie...

Je donnerais toute la poésie du 19ème pour un sonnet de Baudelaire, et toute celle du 20ème pour une page de Breton, tant sa phrase presque noire de densité me foudroie. Et c’est dans ses moments drôles qu’il me donne le plus envie de le rejoindre.

« Mais, pour moi, descendre vraiment dans les bas-fonds de l’esprit, là où il n’est plus question que la nuit tombe et se relève (c’est donc le jour ?) c’est revenir rue Fontaine, au « Théâtre des Deux-Masques » qui depuis lors a fait place à un cabaret. Bravant mon peu de goût pour les planches, j’y suis allé jadis, sur la foi que la pièce qu’on y jouait ne pouvait être mauvaise, tant la critique se montrait acharnée contre elle, allant jusqu’à en réclamer l’interdiction. » (Nadja)

mercredi 28 septembre 2022

Le rêve, la poésie...

Je ne me remets jamais tout à fait des livres d’André Breton, ce magnétiseur.

« Le seul mot de liberté est tout ce qui m’exalte encore. Je le crois propre à entretenir, indéfiniment, le vieux fanatisme humain. Il répond sans doute à ma seule aspiration légitime. Parmi tant de disgrâces dont nous héritons, il faut bien reconnaître que la plus grande liberté d’esprit nous est laissée. A nous de ne pas en mésuser. » (Manifeste du surréalisme)

mardi 27 septembre 2022

Vous n'aurez pas mon amour (Livres sur les attentats (3))

« Vous n’aurez pas ma haine » (Antoine Leiris) n’est pas un livre mais un tract : quelques lignes d’abord publiées sur internet puis augmentées de courts chapitres. Son succès foudroyant doit dire quelque chose de notre époque, une volonté d’apaisement en dépit de toutes les violences, de toutes les avanies, à rebours du slogan que l’on entend si souvent par ailleurs, « ni oubli ni pardon »… La dimension christique de cette attitude a quelque chose de noble – il faut être un saint ou un illuminé pour ne pas haïr, au moins quelques jours, au moins quelques heures, les assassins de sa femme.

Pour ma part, je serais sans doute incapable de cette abnégation. Je ne crois pas non plus que j’apprécierais de savoir que ma famille ne détestera pas ceux qui m’auront mis à mort. J’avoue être tenté de voir dans ce livre non pas le sursaut d’un homme foncièrement bon mais quelque chose comme un symptôme, en tout cas quelque chose d’anormal et d’assez inquiétant. Suis-je donc un homme mauvais pour considérer qu’il est naturel de haïr les assassins de ses proches, quitte à pardonner dans un deuxième temps – mais dans un deuxième temps seulement ?

« Alors non je ne vous ferai pas ce cadeau de vous haïr. Vous l’avez bien cherché pourtant mais répondre à la haine par la colère ce serait céder à la même ignorance qui a fait de vous ce que vous êtes. Vous voulez que j’aie peur, que je regarde mes concitoyens avec un œil méfiant, que je sacrifie ma liberté pour la sécurité. Perdu. Même joueur joue encore. »

mercredi 14 septembre 2022

Fondre les choses (Livres sur les attentats (2))

Il a fallu plusieurs mois, plusieurs années, mais c’est maintenant acquis : depuis la vague des années 2010, il existe une littérature conséquente sur les attentats, des simples témoignages aux sommes romanesques – et le phénomène est valable pour le cinéma. Le corpus s’étend, il finit par constituer un genre en soi.

Dans « Le livre que je ne voulais pas écrire » (2017), Erwan Larher avait le courage non seulement de décrire l’attaque du Bataclan mais de réfléchir à l’événement lui-même, ce qui n’est pas, loin de là, le cas de toutes les œuvres. Dans « Au carillon, sonne l’heure » (Léo Scheer, 2021), le journaliste de Libération Quentin Girard tente quelque chose de différent. Dans une langue élégante et légère, il raconte la soirée puis les jours qui suivent les événements (dont il n’a pas souffert directement), sondant les échos de la tragédie dans son rapport au bonheur. Curieusement, il se permet de nombreuses digressions sans rapport apparent avec le sujet, ce qui fait le charme du texte. L’évocation des faits se fond dans un livre qui paraît tout mettre sur le même plan. Forcément, la gravité de l’attentat s’atténue. Ce doit être l’effet recherché : diluer le traumatisme, lisser le cauchemar, passer à autre chose… Tout en comprenant le procédé, je ne peux m’empêcher de trouver quelque chose de triste à cette lente intégration du pire dans le quotidien.

jeudi 30 juin 2022

Résumé clinique de la vie n°3

J’ai déjà relevé chez Hugo et Houellebecq deux paragraphes d’inspiration similaire, proposant un résumé sans concession de l’existence – le premier dans « Les Misérables », le second dans « anéantir ». Je trouve dans « La poursuite de l’idéal » une troisième occurrence de ce véritable exercice de style. Comme chez ses prédécesseurs, ce n’est pas très gai mais je trouve ça drôle :

« Et si l’on comprenait tous, se disait-il, vers trente ans, que l’amitié relève du mythe, l’amour de l’illusion, et la sympathie du mirage ? Partout des ombres et des fantasmes, créés par la peur du noir. Et le voilà ramené à bébé qui chiale, bébé qui avait tout pressenti, à deux mois, de la séparation ontologique, de l’inévitable solitude de la condition humaine. Plus tard, à l’école, au lycée, à la fac, des groupes se forment, des amitiés éclosent ; puis des couples qui compensent, par l’intensité romantique, ce qu’ils perdent en sorties, en camaraderie. Un jour, la bulle éclate, écrivait-il dans son journal, l’iridescence s’évanouit, il ne reste plus qu’un petit être promis à la mort, dans l’indifférence générale. Quand il vit trop longtemps, ce petit être est rangé dans des mouroirs, on le mouche, on le lange, on l’essuie, on le divertit, puis on le jette. » (Gallimard, page 439)

mardi 28 juin 2022

Aymeric est un con !

Après l’aristocrate dépressif et suicidaire de Houellebecq dans « Sérotonine » (Flammarion, 2019), après le professeur ridicule et prétentieux, bobo woke jusqu’au bout des dents, de Lafourcade dans « L’Ivraie » (Léo Scheer, 2018), je dégotte un troisième Aymeric dans un roman contemporain, et ça n’est pas jojo.

Il s’agit d’un personnage secondaire du beau livre de Patrice Jean, « La poursuite de l’idéal » (Gallimard, 2021), roman mélancolique, délicieusement satirique, à la limite du désespoir, égrenant les évocations de milieux forcément décevants pour un protagoniste ayant le tort de nourrir des ambitions poétiques. Ce dernier croise un jour un hédoniste inconséquent :

« Il pensa alors à Aymeric qui se contentait de son boulot à la Poste – conseiller client – qu’il rehaussait, chaque week-end, d’un tour en boîte de nuit, d’une biture « je te dis pas ! », de quelques coups de reins « bien placés », et qui trouvait la vie « merveilleuse ». Fallait-il en rabattre ? S’épanouir dans le pintage de ruche ! S’aymericiser ? Par découragement, on devait, sans doute, se satisfaire, un jour, de ces joies modestes. Il lui semblait, néanmoins, que cet épicurisme de fin de semaine ne menait pas très loin. Un matin, Aymeric se réveillerait avec la gueule de bois, coincé dans une vie étriquée ; très certainement, pensait-il, Aymeric pointerait, dans quelques années, avec deux ou trois gosses, des engueulades, à n’en plus finir, avec une épouse bedonnante et abonnée à Télé 7 jours. »

(Gallimard, page 98).

mardi 7 juin 2022

Paname sous rabla

Pendant des années, j’ai rêvé d’écrire sur le Paris de la déglingue, persuadé que ça n’avait pas été fait récemment. Et puis j’ai renoncé, parce que je n’avais pas une connaissance intime de la chose. J’ai bien fait ! Car je découvre avec le « Paname underground » de Zarca (Editions Goutte d’Or, 2017) un concentré de narration survitaminée, gonflé aux stéroïdes de l’argot, du sexe, de la violence et du sale. Défilé de quartiers, de types, de situations tous plus pétés les uns que les autres… Du San Antonio sous schnouf !

« Franchement Zarca, c’est pas pour t’clasher mais toi, t’as jamais eu l’galbe ni les cojones pour t’frotter au vrai Underground. T’as survolé l’truc vite fait comme un touriste, tu connais des raclos mais toi, t’es pas taillé pour la street et ça s’voit. Après c’est normal, dans les tafs artistiques et encore pire dans le monde des livres, vous vous prenez pour des gitans mais vous êtes des dalpés. Les écrivains, frères, c’est des baltringues ! » (page 208)

mercredi 25 mai 2022

La littérature de mauvais esprit

Il y a deux façons de s’opposer au monde : lutter contre ses tendances délétères (racisme, sexisme, réchauffement climatique…), ou ironiser sur les ratés de ce même progressisme – en somme, vouloir changer le monde ou bien se moquer de cette volonté-là. Inutile de préciser que cette seconde manière vous voudra moins d’égards.

Malgré tout, depuis quelques années, c’est une véritable école littéraire qui paraît émerger, celle d’un certain mauvais esprit vis-à-vis de l’époque. Je pense à Marin de Viry qui, dans « L’Arche de Mésalliance » (Rocher, 2021), a des pages savoureuses sur le goût pour la culture classique. Je pense à Abel Quentin qui s’est attiré le succès avec sa dénonciation de la cancel culture dans son page turner « Le Voyant d’Etampes » (Observatoire, 2021). Et je pense à Patrice Jean qui, depuis plusieurs romans, et notamment « La poursuite de l’idéal » (Gallimard, 2021), exerce sa plume mélancolique et satirique sur toutes sortes de milieux, de figures médiatiques et de valeurs officielles, avec une efficacité redoutable. Renaissance des Hussards, en plus taquins ?

« La Famille ne présentait jamais ses excuses. Même quand elle avait tort, elle avait quand même raison. « Mieux vaut avoir tort avec Sartre que raison avec Aron », disait-on au temps de leurs joutes titanesques. Elle ne s’était pas excusée pour les chars de Budapest en 57, elle ne s’était pas excusée pour ses aveuglements successifs et elle ne le ferait jamais, et tout cela avait commencé à me gonfler, j’en avais ma claque de leurs grands barnums et de leur bigoterie et de leur morgue et de leurs fatwas et de leur grand-guignol et de leurs vapeurs et de leur cirque dégoûtant et de leur dureté et de leur plasticité, j’en avais ma claque et j’étais de plus en plus vieux et méfiant, mes inclinaisons allaient vers des esprits plus naïfs ou plus lucides, elles allaient vers Charles Péguy converti au catholicisme romain et fidèle au socialisme, à sa fraternité incandescente et non trafiquée… » (Le Voyant d’Etampes, p. 181)