La littérature sous caféine


dimanche 25 août 2024

Douce Ardèche

Par le hasard de mes pérégrinations, je tombe sur trois sites chers au coeur d'Alphonse Daudet : sa maison d'enfance en Ardèche, la ville de Tarascon rendue célèbre par Tartarin, l'éminent moulin présidant aux lettres du même nom... J'aime ces écrivains-monuments que plus personne ne lit mais qui ont laissé dans l'imaginaire collectif des sortes de rocs sonores. La chèvre de Monsieur Seguin, l'Arlésienne, Tartarin... Autant de petits chefs-d'œuvre qui n'ont pas pris une ride et qu'il ne faut pas avoir honte de relire. Daudet était une star, à l'époque. Sa plume était alerte et comme chez La Fontaine une certaine mélancolie teintée d'amertume se laissait deviner sous les sourires. Il faut l'aimer comme ces vieilles pierres que l'on entretient par instinct.

France-USA

"Helena" de Jérémy Fel (Payot 2018), mon thriller de l'été... Une once de Bret Easton Ellis pour les névroses écrasées de soleil, trois onces de Stephen King pour l'épouvante (on retrouve les motifs du garçon supplicié et de l'angoisse de l'enfermement), le tout servi par une prose fluide. La structure est originale puisque le personnage éponyme n'apparaît qu'à l'épilogue. Seul regret : les auteurs français plaçant leur fiction sur le sol américain me donnent toujours l'impression de s'inscrire dans les pas d'un imaginaire qui n'est pas exactement le leur. D'une certaine manière, ils font le choix de rendre hommage.

vendredi 19 juillet 2024

Douce Normandie

Benoît Duteurtre avait eu quelques mots aimables sur "Autoportrait du professeur". J'avais aimé sa "Gaieté parisienne" et dévoré ses "Pieds dans l'eau", qui peignait avec humour et sensibilité la région de mon enfance, si souvent décriée : Le Havre et le pays de Caux. L'homme paraissait doux, comme sa prose et comme cette Normandie dont on reconnaîtra, peut-être un jour, le sublime.

lundi 8 juillet 2024

C'est important, une cheminée

Quand j'ai lu qu'Hervé Le Tellier, dialoguant avec Richard Gaitet dans la série Bookmakers, parlait de sa lecture d'un livre méconnu de Melville, "Moi et ma cheminée", j'ai cru à une blague. Puis je me le suis procuré et il est devenu l'un de mes classiques immédiats. J'aime beaucoup le contraste entre l'impérieux sérieux des débuts (ce Moby Dick démentiel par son volume et son sujet) et cette fin de carrière apparemment désinvolte, un brin provocatrice. A ma toute petite échelle, j'amorce un virage comparable en quittant les sujets trop graves pour des questionnements potaches, à l'image de cette "Vie sexuelle de ma tortue" publiée chez Zone critique. Pas si facile, d'ailleurs, la légèreté... Il y faut du métier et, sans doute, de l'expérience.

"Une autre fois, après un jour d'absence, je trouvai ma femme plantée devant la cheminée, en grande conversation avec une personne en qui je reconnus aussitôt un de ces insupportables architectes réformateurs qui, n'ayant aucun talent pour ériger quoi que ce soit, sont toujours prêts à jeter tout par terre."

lundi 24 juin 2024

Survivre à l'amour

Dans "La princesse de Clèves", Mme de Clèves résiste au duc de Nemours même après la mort de son mari. Dans "Les liaisons dangereuses", Tourvel cède à Valmont malgré ses principes et le regrette. Dans "La duchesse de Langeais" (Balzac), la duchesse se refuse à Montriveau par coquetterie, provoquant des torrents qui l'emporteront. Morale de ces circonvolutions ? Les seuls à survivre en amour, dans le roman français, sont ceux qui s'empêchent et qui ont la constitution pour le supporter.

mardi 11 juin 2024

Coquetteries

Je découvre surpris l’œuvre de Louise de Vilmorin. La figure de cette grande mondaine, amoureuse de gens riches ou prestigieux, pourrait agacer. Mais sa plume est légère, élégante, au service de vaudevilles dont les jolis accents lorgnent vers Sagan et, à leur meilleur, vers Colette. Seulement, je m’étonne que cette coquette ait pu devenir l’un des grands amours de Malraux. Cette alliance de la femme légère et du pur esprit me laisse songeur. Je pense à cet autre couple, Miller-Monroe, qui cédait lui aussi à cette sorte de cliché. On dirait qu’ils jouent un rôle, le rôle caricatural des genres. A moins qu’il ne s’agisse d’un archétype plus fort que la volonté, plus fort que la conscience.

mercredi 10 avril 2024

Le Far West de la France

La Louisiane, Far West de la France… Une terre d’aventure aux frontières indécises, finalement bradée à vil prix mais réserve rétrospective de récits hauts en couleur. Je m’y rendrai bientôt avec cet horizon en tête, à l’affût des traces de présence française comme de tout ce qui constitue encore aujourd’hui la source d’une certaine mythologie.

Adolescent, j’avais dévoré le roman que Georges Blond avait tiré de la vie du célèbre corsaire, « Moi, Laffite, dernier roi des flibustiers » (1986). Je le relis aujourd’hui conscient des faiblesses de l’écriture mais heureux de plonger si facilement dans une Louisiane et une Caraïbe croquées avec panache. Puisse la France se souvenir qu’elle est terre de héros !

mardi 2 avril 2024

La crasse et la grâce

En quelques décennies la pratique du catholicisme s'est effondrée. Je n'ai jamais été croyant mais je m'amuse aujourd'hui à fréquenter les mystiques, à guetter ici ou là les restes d'une immense et folle mythologie. Les catholiques deviennent une minorité exotique, bien moins médiatisée que d'autres. Pour cette raison ils ont toute ma sympathie, quels que soient les agacements qu'ils peuvent susciter.

Le récit de Thibault de Montaigu, La Grâce (Plon, 2020) fait partie de ces résurgences incongrues. Le narrateur y raconte sa crise mystique, et son enquête sur un oncle lui-même touché par la grâce. Dans les deux cas, la révélation est survenue après des mois de débauche. Elle a surgi à un moment qui paraissait la refuser, à une époque qui n'était pas faite pour elle. Au fond, le Christ nous fait l'effet d'un Dieu bizarre, un peu inquiétant, alors qu'Il dort sans doute en nous bien plus que nous ne l'imaginons.