La littérature sous caféine


mardi 30 octobre 2007

Piégé dans sa tête / Piégé dans son corps (Claire Fercak / Fabrice Pataut)



Rentrée Littéraire 2007 (10)

Dans Le Rideau de Verre de Claire Fercak (Un premier roman chez Verticales, août 2007), la narratrice souffre d’une maladie neurologique qui l’enferme dans une perception particulière des choses, douloureusement sensible et régulièrement bouleversée par les sursauts de la pathologie. En butte à l’incompréhension de certains proches, notamment de son père, le langage de la jeune femme se morcelle, s’éparpille, se fait tour à tour précis et poétique. La grammaire en est chamboulée, comme lorsque s’incrustent dans la phrase d’autres fractions de phrases en italique. La douleur est palpable et poignante.

« Dans l’existence du père, certes, des formations lacunaires, des repères ratés et des motifs vengeurs. Des fondements douloureux à expier. Des circonstances atténuantes pour favoriser le pardon, justifier un comportement indigne, je ne l’ai pas mieux compris. Mon esprit verrouillé refuse de s’y faire, l’assimiler. Tombant sur ma poitrine, ses larmes ma bienveillance tarie ne feraient pas fondre la glace. Je peine à comprendre car je n’accepte pas. » (p83)

Le narrateur du roman de Fabrice Pataut (auteur de trois précédents livres, dont deux romans, chez Buchet/Chastel), dans En haut des marches (Seuil, mars 2007) parle de manière plus paisible. C’est qu’il a changé de peau : Antoine s’appelle maintenant Dorine, et revient trente ans plus tard sur les lieux des événements qui auront décidé de tout. Atmosphère feutrée, douceur des phrases, sentiments et sensations par petites touches sensibles, il n’y a sans doute pas moins de douleur exprimée que dans Le Rideau de Verre. Mais le choix narratif est inverse, sans doute parce que la voix prend la parole après la libération, et ne se sent plus piégée nulle part.

Les dernières pages, avec leur impressionnante sérénité, leur manière de s’attacher à des détails apparemment anodins, me font d’ailleurs penser à l’ouverture d’Azima… Il y aurait sans doute beaucoup à dire sur le plaisir, pour un auteur homme, à choisir un personnage de femme pour y investir toute la douceur dont il est capable.

« 17 août. Anniversaire de Stéphane. C’est une magnifique diversion, une manière festive de tout passer sous silence. Ma mère adore cette fête obligatoire placée au milieu des grandes vacances, sans amis, en petit comité. Stéphane est tout à elle, comme à l’insu du monde. On invite simplement le gosse du coin qu’il retrouve parfois à la plage ou au marché, un morveux qui fouine partout et se tient à table comme un cochon. » (p75)

mercredi 24 octobre 2007

A l'intérieur des choses, à l'intérieur du système, à l'intérieur des religions (Sollers et le catholicisme)



Pendant ma longue année de préparation aux concours d’école de commerce, à Sainte-Geneviève, j’avais profité de la présence d’aumôniers dans l’établissement, et des entretiens qu’ils proposaient, pour poser une question qui me taraudait : quel était le sens, bien mystérieux à mes yeux, de l’Eucharistie, c’est-à-dire du fait que Dieu s’incarnait dans une nourriture que les fidèles mangeaient ?

Quelle déception lorsque j’avais compris que l’aumônier n’avait rien à me répondre là-dessus. Comprenait-il le sens de ma question ? S’était-il lui-même demandé ce genre de choses ? Pratiquait-il donc une religion qu’il ne comprenait pas ?

Cela m’a définitivement convaincu (s’il était encore nécessaire) que je n’avais pas grand chose à attendre de la pratique d’une religion, et que le seul aspect qui m’intéressait, décidément, dans cette prépa HEC, était l’approche intellectuelle des choses… Cela aurait dû me mettre la puce à l’oreille, et j’aurais dû prendre mes jambes à mon cou. Ce n’est que trois ans plus tard que j’aurais le courage de lâcher des études commerciales, du moins de les lâcher dans ma tête (je finirais HEC et je poursuivrais même un an mes études dans ce domaine…) pour m’avouer que les livres, seuls, me bottaient.

La semaine dernière, je suis tombé sur une page de Sollers, extraite de sa Divine Comédie (Folio, 2002), qui m’a replongé dans cette étrange période d’école préparatoire catholique, si éloignée de ce à quoi j’aspirais sans le savoir :

« C’est le problème de ceux-là mêmes qui sont à l’intérieur du christianisme ! Ils ne savent pas de quoi il s’agit. Ce qui est ennuyeux, c’est qu’ils croient le savoir. De même que ceux qui y sont hostiles. Il suffit de vérifier sur trois ou quatre choses énormes, énormissimes, pour voir qu’ils n’en ont pas la moindre idée. Il existe des églises, des basiliques, des cathédrales, on y donne des messes, mais de quoi s’agit-il ? A la question : qu’est-ce que l’Immaculée Conception ?, aucune réponse… C’est très long, car il n’y a là rien de familier. Cela nous est de plus en plus étranger. » (p86)

lundi 15 octobre 2007

Cancre et premier de la classe, même combat (Daniel Pennac et son Chagrin d'Ecole)



Rentrée Littéraire 2007 (9)

Dans son dernier livre, Chagrin d’école (Gallimard, Renaudot 2007), Daniel Pennac revient sur ses années de cancre, les souffrances qu’il y a ressenties, et le rôle qu’elles ont tenu dans son choix, plus tard, de devenir professeur. « En ce qui me concerne, statistiquement, j’étais programmé pour être un élève sans problème. Famille bourgeoise cultivée, aimante, parents unis, frères réussissant leurs études… Et moi ? Un cancre étalon ! Pourquoi ? Mystère… », explique-t-il dans une interview à Elle.

« Le cancre que j’étais m’a toujours dit : « Tu es devenu prof grâce à moi ! » Et il a raison, ce salopard. Grâce à lui, je connais la douleur de ne pas comprendre et j’ai pu agir sur ses effets. »

Difficile de savoir ce qui nous pousse exactement à devenir prof… Je ne me sens pas moins attentif que Pennac à la douleur de ne pas comprendre, chez l’élève, et pourtant je n’ai jamais été cancre – j’ai même toujours trusté les premières places, du moins jusqu’au bac (cela dit sans me vanter : je n’en suis pas fier aujourd’hui, car cela ne m’a pas rendu particulièrement heureux. Cela ne m'a pas aidé non plus pour me choisir une vie les années suivantes. Mes bons résultats m’ont empêché, dans une certaine mesure, d’y voir clair dans ce qui me plaisait vraiment).

Alors, quid de l’envie d’être prof ? Si je mets de côté ces vacances qui me permettent de donner un coup de bourre aux manuscrits, il y a sûrement le plaisir brut de la connaissance partagée, c’est-à-dire la de connaissance créant de la chaleur et du lien. Si Pennac a guéri ses blessures de cancre en devenant professeur, je guéris peut-être une certaine pratique solitaire de la connaissance, une pratique douloureuse, celle du bon élève qui trime en silence parce qu’il n’a pas le choix.

(Cela dit, plus je disserte là-dessus, moins les raisons que j’avance ne me paraissent bien crédibles… )