La littérature sous caféine


Les vies qui perdent sens



L'autre jour, pour la première fois de ma vie, j'ai été réellement bouleversé par un SDF (quelqu'un qui en avait l'allure, en tout cas) : non pas que je ne sois jamais touché par le spectacle de la misère, mais cette fois-ci j'ai eu le sentiment que le type en question, d'une trentaine d'années, replet, l'air complètement ahuri à la station de tram de La Courneuve, rougi par l'alcool, pataud dans son survêtement, les cheveux ébouriffés, patientant là comme s'il attendait que quelqu'un descende du prochain wagon, pouvait encore être sauvé.

On aurait dit qu'il était sur le point de basculer corps et âme dans le désespoir, ou que, déjà désespéré depuis des lustres, il s'apprêtait à lâcher complètement prise. On lisait vraiment la détresse dans son regard, dans ses poses maladroites, quand beaucoup d'autres sont déjà murés dans une attitude distante, ou plus endurcie.

J'ai failli sortir du tram pour aller lui parler, quitte à ne pas aller travailler. C'est la pudeur, et la peur du ridicule, qui m'en ont retenu. Et puis, qu'allais-je lui dire exactement ? Attendait-il vraiment de pouvoir parler à quelqu'un ?

Le rapport est lointain, mais cela m'a rappelé le livre d'Alexandre Soljenitsyne que j'avais lu cet été, juste après sa mort, le petit roman qui a fait sa gloire, Une journée d'Ivan Denissovitch (Pocket), décrivant la journée type d'un homme qui vit depuis des mois dans le goulag : misère absolue de ces fantômes ambulants qui ne comprennent pas forcément ce qu'ils font ici, se préparent à mourir ou survivre sans but pendant des années. Ce qui fait la force de ce livre fait d'ailleurs aussi sa faiblesse : l'absence de structure dramatique, le côté brut du compte-rendu peuvent être assez saisissants, mais le risque est de rendre l'ensemble assez statique, et même ennuyeux...

"Dans son dossier, Choukhov est au camp pour trahison de la Patrie. Il a fait tous les aveux qu'il fallait : il s'est rendu aux Allemands parce qu'il avait envie de trahir l'Union Soviétique, et s'il s'est, soi-disant, évadé parce qu'il avait reçu une mission des services de renseignements de l'ennemi. Quelle mission ? Choukhov n'était pas assez futé pour en trouver une. Ni non plus l'officier du contre-espionnage. Alors c'était resté comme ça : "Une mission."" (Pocket, p87)

COMMENTAIRES

1. Le lundi 22 septembre 2008 à 09:21, par matthieu

on m'a dit qu'il était antisémite ? mais je soupçonne certains intellectuels d'insister sur le fait qu'il était antisémtite pour oublier de parler de son anti-communisme...

2. Le jeudi 25 septembre 2008 à 17:09, par pat

antisémite, oui, il paraît, même si je ne suis pas encore tombé sur les passages qui le montreraient.
Quant à son anticommunisme, c'est le moins qu'on puisse dire : à preuve le petit livre que j'avais depuis longtemps dans ma bibliothèque, L'Erreur de l'Occident (Grasset), dans lequel il critique vertement le grand laxisme des sociétés occidentales, à son goût, vis à vis du "cancer rouge" qui a dévoré une partie du monde pendant un demi siècle... Par exemple, p 30: "Le communisme est globalement hostile à tout ce qui est humain; il est incurable, il n'en existe pas de variantes améliorées, il ne peut se bonifier..."

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