Depuis cet été je dévore les journaux de plusieurs écrivains, et je remarque deux effets principaux chez le lecteur. Un effet de saisissement, tout d’abord, devant le caractère obsessionnel de la plupart des réflexions : dès les premières pages on identifie chez l’auteur une ou deux sources principales de malheur, et quelques autres sources de bonheur, compensant plus ou moins efficacement les premières. Ces objets de réflexion sont très circonscrits. Si bien qu’on peut être pris d’une sensation proche de la nausée devant le spectacle de ce ressassement. Tant de culture, tant de travail, tant de charisme pour aboutir à cet art de la répétition, cette impudeur aveugle et mécanique ?

Et puis le deuxième effet est une effet d’hypnose : à force de suivre, jour après jour, les pensées d’un auteur, on s’y fait, on s’y fond, et c’est comme si l’on n’arrivait plus soi-même à s’extraire d’une certaine manière de voir et de sentir. On devient le vampire d’une personne, et il y a du plaisir à s’octroyer la matière d’une vie, quelle que soit sa nature.

J’ai appris l’existence du Journal de Michel Polac (1980-1998, PUF) à l'occasion d'une récente polémique (cf vidéo). Je n’ai pas acheté ce livre pour la page en question, mais par curiosité pour le personnage, et son caractère apparemment bien trempé.

Les sources de souffrance de Polac – du moins dans ce journal : la hantise de mourir sans avoir laissé d’œuvre, la dégénérescence physique, le spectacle du monde qui l’angoisse et le rend extrêmement pessimiste…

Ses sources de bonheur : la solitude, l’amour physique (il estime à deux cents le nombre de femmes avec lesquelles il a couché), la lecture, le côté revigorant de ses prestations télévisuelles…

« Je dois avouer que je ne suis pas sûr de faire jouir P. malgré tout ce qu’elle mime ou dit. Elle a un côté putain qui déploie le grand jeu pour me faire plaisir – c’est de lui arracher sa jouissance quasiment contre son gré. Car je ne jouis que de la jouissance de l’autre. Et même je ne désire que le désir de l’autre. C’est comme ça que je peux expliquer mes échecs amoureux : je n’ai presque jamais fait la conquête des femmes qui me séduisaient le plus, parce que je ne devinais pas en elles le moindre soupçon de désir de leur part. Complexe d’infériorité sans doute, puisque maintenant que je suis « célèbre » je crois voir de la curiosité dans le regard de beaucoup de femmes, et toutes les audaces me semblent permises. » (p95)

Il y a de belles pages sur la souffrance, la misanthropie, et ses critiques rapides des livres qu’il dévore sont toujours stimulantes parce qu’elles sont sans précaution, et volontiers cinglantes.

« Je lis beaucoup, énormément, presque toujours en diagonale tant est médiocre la production courante. Les romans me tombent des mains. Dans les essais, je pioche parfois des informations, la plupart du temps je trouve délayé, mal écrit, journalistiquement exprimé des idées toutes simples, des lieux communs comme ceux que j’ai retrouvés dans Le grand Mégalo et qu’il me semble avoir exprimés avec plus de style et d’humour qu’eux. Insupportable le ressassement antimarxiste de tous ces malheureux anciens du parti. Ils n’en finissent pas de s’étonner d’avoir pu y croire. » (p85)

Quant à la fameuse page qui lui a valu tant d’attaques, c’est une des plus belles du livre, force est de le reconnaître (c’est peut-être dommage, mais c’est ainsi). D’ailleurs il est étrange que si peu de place soit faite dans le volume à ce thème de l’attirance pour les jeunes garçons, et tant à la description de corps de femmes… Mauvaise consciences ? Pudeur ?