La littérature sous caféine


Que signifie le style dans un roman ? / Proust est un auteur comique



Jeudi dernier, au cours de cette conversation près de la photocopieuse dont j'ai déjà parlé, la grande poétesse du lycée de la Courneuve (sans ironie de ma part !) a évoqué la question du style dans le roman : pour elle un roman n'a de valeur que s'il a du style, et je me suis demandé ce que ça voulait dire, au fond, que le style pour un roman.

Car la volonté du style à l'état pur, le style pour le style, tout cela ne relève-t-il pas plutôt de la poésie ? S'il était possible de quantifier le niveau du style dans un écrit, sans doute y aurait-il comme une proportion de style au-delà de laquelle on entrerait dans la poésie en prose...

(D'ailleurs, au passage, j'ai tendance à voir en Joyce un poète plus qu'un romancier)

Tout ça pour dire, non pas que le style dans le roman soit une vulgaire donnée quantifiable, mais qu'il n'est sans doute pas non plus l'unique dimension à privilégier, à la fois pour le travail d'écrivain et pour celui de critique. On a beaucoup critiqué l'antithèse fond et forme, mais elle permet de clarifier pas mal de choses je trouve.

Le style pour moi dans le roman serait plutôt un ensemble de traits d'écriture particuliers à l'écrivain, du plus petit tic verbal à la structure générale de l'oeuvre, en passant par la longueur des phrases, la coloration du vocabulaire, le mélange des tonalités... Autant de choses qui s'allieraient à une vision (distincte du style à proprement parler) pour la compléter, l'affiner, la rendre problématique, etc...

Conception parfaitement banale, me direz-vous, et même ringarde, mais quand je relis par exemple l'oeuvre de Proust, j'ai du mal justement à ne pas faire le dinstingo : d'une part cette écriture si particulière, somptueusement ramifiée, précieuse et percutante à la fois, d'autre part l'incroyable satire sociale, la plongée vertigineuse dans la quête du narrateur, l'exploration d'un art romanesque en train de se construire...

J'ai d'ailleurs eu envie de relire La Recherche du Temps Perdu pour la troisième fois quand je suis tombé sur quelques pages de Guillaume Dustan se moquant de lui : "Il nous faut des auteurs vivants !" nous disait-il en substance. "Arrêtez de nous bassiner avec Proust !" Son ras-le-bol me rappelait les railleries, très drôles, de Céline contre les infinis raffinements de la star des salons.

Cette fois-ci je vais piocher les volumes dans le désordre, et je viens de (re)commencer Un Amour de Swann. Ce qui m'a tout de suite frappé, c'est la force de l'attaque, malgré le climat doucereux des cercles parisiens, et la force de la satire, dès la première page. Je me suis souvenu que Proust était un auteur très drôle, contrairement à ce que son extrême finesse, son art de la description de toutes les douleurs pourraient nous laisser croire. A vingt-cinq ans, je me rappelle avoir eu des fous rires à certaines réparties de personnages... Et là, c'est en souriant qu'on se plonge dans les aventures mondaines du narrateur. Non, décidément, Proust ne s'est pas contenté d'avoir du style...

"Pour faire partie du "petit noyau", du "petit groupe", du "petit clan" des Verdurin, une condition était suffisante mais elle était nécessaire : il fallait adhérer tacitement à un Credo dont un des articles était que le jeune pianiste, protégé par Mme Verdurin cette année-là et dont elle disait : "Ca ne devrait pas être permis de savoir jouer Wagner comme ça!", "enfonçait" à la fois Planté et Rubinstein et que le docteur Cottard avait plus de diagnostic que Potain." (Première phrase de Un amour de Swann).

COMMENTAIRES

1. Le mercredi 19 novembre 2008 à 23:14, par mattD

quel auteur aujourd'hui a seulement le courage de faire une satire la plus vaste possible de notre société ? Il y aurait du boulot !

2. Le jeudi 20 novembre 2008 à 09:02, par Rosalie B

Il faut peut-être se tourner vers les auteurs d'origine africaine ou maghrébine (qui "approchent" avec méfiance notre société) Je pense à un beau livre que j'ai lu il y a une dizaine d'année de Fatou Diome : "le ventre de l'atlantique". Remise en cause très acerbe, teintée d'humour, des fausses portes de sorties de notre société promises aux jeunes africains.

Pour ce qui est du style dans le roman, je l'apparente à cette petite touche très personnelle qui fait que je retrouve en quelques phrases, dès la page 1, une atmosphère qui me fait sourire du coin des lèvres...en signe d'approbation. C'est presque comme reconnaitre la personne de l'auteur lui même, à travers un parfum, la sonorité de sa voix... Le livre prend corps... cette sensation sera peut-être mise à mal avec le livre électronique...
C'est décidé pour Noël je m'offre tous les livres dont j'ai envie..même s'ils ne sont pas édités en poche ;-) merde alors!!!

3. Le jeudi 20 novembre 2008 à 09:41, par Olympe

Difficile de définir le style, et en même temps, il distingue pour moi les romanciers des GRANDS romanciers.
Proust, Camus, Gary, etc... sont des grands romanciers par exemple, car ils savent allier poésie de l'écriture et histoire. Aujourd'hui, j'ai du mal à trouver des écrivains qui ont cette double qualité... Et vous ?
Rosalie, je suis d'accord avec toi: ce Noël, à bas la sinistrose, on se fait PLAISIR ! :)

4. Le jeudi 20 novembre 2008 à 13:35, par pat

tiens, justement, Camus et Gary : ont-ils des styles si différents que cela ? Si on isolait une page de l'un des deux, au thème relativement peu marqué, peut-être serait-il difficile de trancher ? Finalement, les styles de l'un et de l'autre consistent peut etre en une certaine manière d'aborder certaines problématiques, de présenter certaines images

A propos de la sinistrose, c'est vrai qu'il faut lutter contre ! C'est fou comme les nouvelles à la radio / TV sont anxiogènes. Apres le chomage, ca a été la hausse des prix, maintenant c'est la croissance et demain ce sera la baisse des prix ! c'est sans fin !

5. Le jeudi 20 novembre 2008 à 14:01, par Francys Hustler

Ce que j'aime chez toi bloggeur, c'est ton Seine Saint Denis Style!!!!!

Seine-Saint-Denis Style !
Fous donc ton gilet par balle,
à base de popopopop, mais pour le Hip-Hop je développe,
la Seine-Saint-Denis, C'est de la bombe baby,
et si t'as le pedigree ca se reconnaît au débit !

6. Le jeudi 20 novembre 2008 à 14:45, par Olympe

C'est vrai, leur style pourrait en effet se comparer, et ils partagent la même qualité je trouve : avoir du style, voire avoir un sacré style, pour reprendre la question de ton post !
La sinistrose, c'est aussi le PS qui fait n'importe quoi, etc etc... Heureusement il y a Obama et la littérature pour égayer la vie ! :)

7. Le jeudi 20 novembre 2008 à 16:01, par pat

francis : je vois qu'il y en a qui connaissent leurs classiques

8. Le jeudi 20 novembre 2008 à 16:40, par mathieu

putain, une autre époque, cocteau !

9. Le jeudi 20 novembre 2008 à 17:26, par hélène

Proust n'est pas le bon exemple car c'est LE romancier total ..

Le style c'est une musicalité de l'écriture à laquelle je suis sensible en dehors de tout autre critère. C'est ce que j'appelle la jouissance physique à lire ces écritures (rythme, sons, ellipse, structure).
Dans cette catégorie , je mets Céline, Modiano, Duras, certaines pages d’Angot, etc..même si parfois on ne se souvient pas de ce que le livre « raconte ».

A mon sens , Balzac et Hugo, n'ont pas tant de style musical que ça : pour moi la jouissance y est alors plus cérébrale (je ne suis pas sure en lisant à l'aveugle de reconnaître Balzac d'autres écrivains de son époque).
Idem pour Zola qui, au niveau de la musicalité, est très moyen (voire laborieux).Je trouve aussi Camus laborieux .
Mais ils ont une « écriture » sociétale et assez de souffle pour la transmettre.
Houllebecq est selon moi musicalement limité aussi.


Proust n'est pas le bon exemple car c'est LE romancier total (il a la musique et le souffle).
Selon moi, Yourcenar n’en n’est pas loin aussi.

Et oui la jouissance peut être plus cérébrale que physique, surtout physique et peu cérébrale et puis il peut y avoir les deux…et là…




10. Le jeudi 20 novembre 2008 à 17:50, par pat

tiens, c'est marrant, moi je place zola tres haut dans le domaine du style. Peut etre pas musical (quoi que), mais brillant et riche en timbres...
Houellebecq, beaucoup considèrent qu'il n'a pas de style, mais il a du souffle, effectivement, et c'est précisément pour cela que je disais que le style n'est pas tout dans le roman (ou alors il faut inclure dans cette notion des aspects comme le souffle, la précision du regard, la variété de l'inspiration, la richesse des images, etc...)

Pour moi aussi, Proust est le romancier total... Et c'est justement parce qu'il est "total" que je trouve un peu réducteur de dire de lui qu'il a du style. Il a du style, oui, mais beaucoup plus que ça aussi...

11. Le vendredi 21 novembre 2008 à 11:17, par hélène

je dirai que Zola à la couleur mais pas de "son " ...(mon dieu comment ose t'on parler de zola ainsi !:-))
Mes souvenir de Zola sont visuels..pour d'autres les souvenirs sont "sonores".

Proust, un écrivain qui stimule mes 5 sens ...

12. Le vendredi 21 novembre 2008 à 13:19, par pat

tiens, c'est intéressant, ça, d'associer des écrivains à des sens... Tu as parfaitement raison. Certains écrivains sont des "visuels", d'autres des "cérébraux", d'autres des "musiciens"... Je pense avoir une prédilection pour les "visions", donc pour les auteurs "visuels" ! Et tu as raison de dire que dans Proust, il y a à peu pres tout...

13. Le vendredi 21 novembre 2008 à 16:22, par Rosalie B

Mince alors, moi qui n'ai jamais réussi à terminer " A la recherche du temps perdu"... vous êtes en train de "presque" me convaincre de refaire une tentative ;-) j'étais peut-être trop jeune pour apprécier, aujourd'hui je dois bien entrer dans la catégorie des femmes d'un certain âge....ça devrait aider!

Pour le son et le visuel dans un roman, c'est tout à fait les processus de mémoire visuelle et auditive. D'abord cela s'applique au lecteur. Il s'agirait en fait de la façon dont ce dernier reçoit l'information qui détermine sa perception et l'inscription du message dans sa mémoire.
lorsqu'un visuel lit le mot Proust , il voit les lettres P R O U S T. Un " sonore" mémorisera le son issu de la prononciation qu'il a du mot.
Le processus de l'auteur entre aussi en jeu, sa façon de décrire un paysage, ou une personne, par exemple, est influencée par la représentation qu'il en a mentalement. Ainsi on pourrait dire que certains auteurs écrivent "visuellement" et d'autres "sonorement"...bof!

14. Le vendredi 21 novembre 2008 à 17:10, par hélène

La littérature est avant tout pour moi une affaire de perception "physique".
Dans la vie je suis plutot une visuelle , mais la littérature me touche par son "son".
Mais c'est du son perçu visuellement, je déteste les "audio livre", il ya donc un vrai plaisir au passage visuelle des signes sur le papier dans ma rétine, le tout se transformant en son.
En fait j'aime l'acte de "lire"..ouep complexe.


rosalie:
j'ai été aussi une proustienne tardive (l'année de mes 40 ans), après plusieurs essais négatifs, il est vrai que les 50 premières pages du coté de chez swann m'ont longtemps bloquée, après ça vient tout seul..

15. Le vendredi 21 novembre 2008 à 18:30, par pat

moi, c'est vraiment la première page (et même la premiere phrase) qui me saisit !

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