Ma réaction sur le site Figaro.vox à l'étude publiée par Le Monde sur le malaise de la jeunesse :

La belle et significative enquête publiée par Le Monde « Génération quoi » m’attriste et me fait sourire à la fois. Le Monde a le mérite de pointer du doigt l’amertume de la jeunesse. N’est-il pas cependant savoureux de voir la presse constater des envies de révolte, s’étonner que les gens se sentent incompris, tout en pratiquant par ailleurs, et de manière assumée, le déni de réalité ?

Un terreau favorable à la révolte, c’est la rupture du dialogue. C’est le mépris qu’on oppose aux inquiétudes et le refus de relayer, auprès des puissants comme du reste de la population, les souffrances relevées sur le terrain.

L’aventure du livre « Les petits Blancs » m’a permis de mesurer ce décalage entre le ressentiment d’une partie de la société et l’ironie, voire le mépris qu’il inspirait à certaines élites. Pour l’écrire, j’ai précisément donné la parole à une partie de la jeunesse qui se sent absente des radars politiques ; une jeunesse qui s’enfonce dans un désespoir, une rage qui lui donnent le sentiment de ne plus rien avoir à perdre.

Au moment d’assurer la promotion, et malgré l’accueil globalement positif reçu par le livre, j’ai été stupéfait d’entendre, de la part de journalistes chevronnés – mais comment ne pas m’y attendre, le titre même du livre ayant provoqué des crispations : « Nous avons trouvé votre enquête passionnante. Vous avez franchi le Rubicon, à mettre un mot sur une réalité sensible. Cependant nous avons fait le choix de ne pas écrire d’article. Nous ne sommes pas encore prêts à aborder ce type de sujet. Surtout en période pré-électorale… » Et les mêmes s’étonnent qu’un grand nombre de Français se sentent ignorés !

L’article du Monde se clôt par quelques phrases lourdes de sens :

« Autre valeur classique de la jeunesse, la tolérance demeure forte (70 % estiment que l'immigration est une source d'enrichissement culturel) mais semble s'éroder. « A l'image de ce qui se passe dans l'ensemble de la société, une grosse minorité campe sur des positions autoritaires et xénophobes. Une véritable bombe à retardement, craint Mme Van de Velde. Ce sont les jeunes invisibles, dans des vies d'impasse, perdants de la mondialisation. Beaucoup de ruraux et de périurbains, en difficulté, déclassés. Ils sont souvent tentés par le Front national. » »

Ce passage me semble confirmer l’idée qu’en fait de jeunesse, il en existe deux. Celle qui tire parti de la mondialisation, et celle qui en souffre. Celle qui fait son miel de l’ouverture aux autres, des opportunités de voyage, du bouillonnement multiculturel, et celle qui en constate les méfaits : chômage pour les moins diplômés, tensions ethniques. Non que la mondialisation soit mauvaise en soi, mais comme tout phénomène elle a sa face problématique, son revers de médaille – il serait aussi absurde de supposer l’inverse que de considérer, par exemple, que le progrès se fasse toujours sans heurt ni tâtonnement.

Et c’est sans doute ici que résident les tentations de révolte : dans le fait qu’il soit interdit de se plaindre. L’Europe promettait l’emploi mais prodigue chômage, précarisation, déficit démocratique ? Ne vous plaignez pas, vous passeriez pour des nationalistes. Le multiculturalisme a des qualités mais il a ses défauts, qu’il faut savoir reconnaître ? Taisez-vous, le Front national est aux aguets. L’école ne joue plus son rôle d’ascenseur social, le bac ne signifie plus grand-chose et dans certains collèges il est devenu impossible de faire cours ? Vous devriez avoir honte, car les plus beaux principes sont aux commandes : il est tout simplement impossible d’envisager que la qualité de vie, dans certains domaines, puisse régresser.

Interdire de décrire la réalité, ce n’est pas faire œuvre de progressisme. Pour qu’une société libérale déploie ses vertus, il faut jouer le jeu du contrat qu’elle suppose : respecter les craintes, donner du crédit aux discours, permettre le débat. A cette condition, l’équilibre se fera. Le progrès pourra s’enclencher. Mais pointer du doigt les pauvres, leur faire croire que leur souffrance est une faute, c’est effectivement réunir toutes les conditions de la révolte.