La littérature sous caféine


L'ermite éminemment cultivé (Sylvain Terron, Dans les forêts de Sibérie)


Sylvain Tesson "je voulais fuir la vie... par Europe1fr

Sylvain Tesson raconte dans son dernier beau récit (Dans les forêts de Sibérie, Gallimard, Juillet 2011) les mois qu’il a passés dans un coin reculé de Sibérie, sur les bords d’un lac. Avec pour seule compagnie, quelques livres. Dans son journal il fait la part belle aux réflexions sur le monde, et ses lectures lui permettent précisément d’affiner sa pensée.

D'ailleurs, l'auteur nous offre moins le récit d’une expérience brute, que l'évocation d'une nature passée par le filtre de la culture. Ermite bardé de références littéraires, il pose entre ce qu'il vit et lui-même comme un écran de mots et de pensées. Ce sont les grands espaces disciplinés par les livres, puis les livres revigorés par l'expérience.

Les pages 112-113 nous en offrent un bel exemple : un long paragraphe de synthèse sur L’amant de Lady Chatterley, où Tesson rappelle que l’héroïne de Lawrence s’effrayait de l’épuisement physiologique de l’Angleterre du 19ème, arc-boutée sur une industrie qui la dévorait. Elle ne trouvait l’apaisement qu’en renouant contact avec une nature enchanteresse. « Lawrence savait que la douceur des campagnes est un visage de la beauté. »

Sylvain Tesson fait suivre cette analyse d’un paragraphe beaucoup plus court, à propos de la Sibérie :

« Ce soir, je regarde le lac, assis sur le banc de bois, sous la conque des cèdres. Avant toute chose, un beau paysage devant les yeux. Ensuite tout peut s’arranger, la vie peut commencer. Lady Chatterley a raison. Je l’accueillerais bien quelques jours ici, me dis-je avant de rentrer me coucher. »

Le livre de Tesson est hanté par la littérature, au moins autant que par les déserts de neige. Ses lacs gelés ressemblent à des pages encombrées de mots sur lesquelles il resterait à écrire quelques phrases.

J’ai cru déceler également un ton proche de celui de Sollers dans certaines digressions faisant l’éloge de la solitude et de l’écart. Ainsi, page 118 :

« Je lis des vers chinois en sirotant une vodka. Le monde peut s’effondrer, en aurai-je un écho ? Une cabane est un bunker de bois. Le beau blindage que celui des rondins ! Les poutres de pin, l’alcool et la poésie forment un triple caparaçon. « Ma cabane est loin et moi, je ne sais rien » : un proverbe russe né dans les taïgas.

Aux antipodes, les diktats de Paris : « Tu auras une opinion sur tout ! Tu répondras au téléphone ! Tu t’indigneras ! Tu seras joignable ! »

Credo des cabanes : ne pas réagir… ne jamais rebondir… ne pas décrocher… flotter légèrement saoul dans le silence neigeux… s’avouer indifférent au sort du monde… et lire les Chinois
. »

Ou bien, page 120 :

« La retraite est révolte. Gagner sa cabane, c’est disparaître des écrans de contrôle. L’ermite s’efface. Il n’envoie plus de traces numériques, plus de signaux téléphoniques, plus d’impulsions bancaires. »

Encore une fois, la culture affleure dans chaque phrase de Sylvain Tesson - que les références soient explicites ou non. L’ermite se met à l’écart, mais n'oublie pas d'emporter avec lui le considérable bagage de tout honnête homme.

COMMENTAIRES

1. Le jeudi 3 novembre 2011 à 18:47, par Ariane

Merci pour ces quelques extraits et commentaires. J'avais envie de lire ce livre de Sylvain Tesson, et ces passages m'y incitent vraiment. Je ne pensais pas que la littérature était aussi présente. Je n'ai pas lu non plus L'amant de Lady Chatterley mais le film est en effet un hymne à la nature, source de beauté et de réconfort. Avez-tu lu d'autres livres de ses livres?
Souvent, en parlant de lui, on évoque Nicolas Bouvier que je n'ai pas lu non plus, malheureusement.
Je pense moins à Sollers, qui lui a une opinion sur tout...

2. Le jeudi 3 novembre 2011 à 18:49, par Ariane

"Avais-tu lu d'autres de ses livres,"... pardon, je vais passer pour une très mauvaise élève !!!

3. Le jeudi 3 novembre 2011 à 20:57, par aymeric

sylvain tesson s'est vraiment fait une spécialité des récits de voyages extrêmes, et ce livre-là me semble plus littéraire que les autres... Son style, simple au début, prend de l'ampleur à mesure qu'il inclut des réflexions sur ce qu'ont dit d'autres auteurs sur la nature
Demain je fais une mise au point sur les règles de base de la grammaire avec des bac + 2 : je vois que tu gagnerais à faire partie du groupe !

4. Le vendredi 4 novembre 2011 à 11:49, par Ariane

J'ai toujours eu beaucoup de mal avec l'orthographe, j'écris trop vite, à l'oreille, au fil de ma pensée et c'est après coup que je vois mes fautes.
Pour le "ez" c'est peut-être parce que je t'ai vouvoyé au mercredi littéraire et mon pauvre cerveau a fait un amalgame. Bref j'ai l'art de me trouver des excuses...
Le caractère plus littéraire du livre de Tesson vient peut-être de son accumulation d'expériences, qui l'ont fait mûrir et le font penser autrement.

5. Le samedi 5 novembre 2011 à 13:36, par christian

sollers par touches, c'est presque mieux. Sollers écrit par un autre on respire un peu plus et c'est moins caricatural

6. Le samedi 12 novembre 2011 à 11:10, par manue

je me souviens, ya 2 ou 3 ans de cela, dans une conversation rapide ou je partagais un peu mon parcours, tu mas demande pourquoi j'avais coupee tous les ponts. j'ai essayee d'ecrire sur cela, parce que je n'avais jamais pensee avoir coupee des ponts. je n'avais meme pas pensee a des ponts. le voyage, l'aventure, l'isolation loin de tout ne nous isolent pas, bien au contraire, tout cela nous ramene a nous memes, nous ramene a notre essentiel.
ce que nous sommes dans la vie dite moderne, les villes et tout ce brouhaha ne deviennent que murmures d'une vie passee sans trop d'interet, parce que si temporaire. le chant d'un oiseaux devient plus beau qu'un long discours ennuyeux sur la philosophie parce que l'oiseau chantait deja bien avant que le philosophe commence a ennuyer Dame Sophia, qui comme j'aime a dire n'en a rien a foutre de la philo.

c'est loin de nos habitudes, loin des louanges et des insultes que l'on se retrouve face avec soi meme, le vrai, le grand, et non l'artificiel cree par la mode et autres frivolites passageres. le calme interieur dont parle les solitaires est plus riche que les espaces culturels des villes, des discussions et opinions sur tout. d'apprendre a se fermer la gueule pour se remplir de silence est un grand art. ce silence dont tout jaillie, hors de la basse court des grands et de ceux qui se battent pour une eloge de plus, ce silence la est une richesse sans commencement ni fin. la seule peur etant de disparaitre... de se fondre dans le grand tout...de devenir sage... et d'un jour devoir revenir pour partager cette quete interieure qui semble etre la nature de la vie meme: le partage de soi, donner forme a ce grand vide qu'est la vie. disparaitre volontairement pour mieux renaitre.

merci de me faire decouvrir S Tesson, et c'est vraie que les chinois, et autres asiats peuvent avoir un superbe regard sur l'immensite de la vie et de la nature. un regard que je trouve plus retire que le regard du monde occidentale. comme de regarder de plus loin, la vision devient differente, plus haute, parce que moins empetre dans la cohue des choses qui bougent. comme un de vos vieux articles citait un ecrivain chinois qui parlait des peintures de musee d'occident disant qu'elles lui donnaient le vertige.

un tit poeme chinois tire du jolie site www.goldenelixir.com/ :)

Forsaking the times, avoiding harm,
I have entrusted myself to mountains and hills.
I have wandered and roamed through the Unbounded,
with demons as my neighbors.
Transmuting my form, transcending the world,
I have entered the depths of the Inaudible.

Cantong qi, poem 88

bien a vous et merci pour rester pour moi un pont litteraire vers le monde occidental.


7. Le samedi 12 novembre 2011 à 12:48, par aymeric

Ce que tu dis sur les différences asie-occident rejoint ce que disait malraux dans son petit livre "La tentation de l'occident", qui m'avait marqué lorsque je l'avais lu adolescent. Il expliquait notamment que les occidentaux aiment cultiver le drame et le combat, les asiatiques préférant la réconciliation. Un peu cliché sans doute, mais sans doute assez proche aussi de certaines réalités.
tu disais toi meme cependant que la vie quotidienne en asie etait souvent bcp plus dure que ce qu'on peut imaginer, de loin...

8. Le samedi 12 novembre 2011 à 18:52, par manue

reconciliation, c'est un jolie mot...

9. Le dimanche 13 novembre 2011 à 22:12, par aymeric

l'idéal serait que la vie soit une longue entreprise de réconciliation, jusqu'au moment final où l'on serait en accord avec le grand Tout ! :)

10. Le lundi 14 novembre 2011 à 07:46, par manue

joliment dis, en effet.
le grand Tout serait d'abord une reconcialiation avec soi meme. cette reconciliation la peut se faire sans jamais bouger de chez soi, a l'image du sage taoiste, alors que d'autres ont besoin de parcourir le monde. mais le voyage demeure chose interieure. trop souvent je lis des textes ecrits par des occidentaux venant en asie quelques mois et croyant connaitre tout de leurs chambres d'hotels ou de quelques mois avec les "sauvages" d'une jungle ou une autre. idealizations que tout cela. un fermier du fin fond de la france peut penser la meme chose des villes qu'un fermier perdue au milieu de rizieres. je n'ai jamais trouvee plus de beaute dans l'himalaya, que dans le grand canyon ou les pyrenees. dame nature est dame nature. l'humain malgre quelques differences culturelles parfois enormes demeure humain, et c'est bien cela qui m'interresse. l'ego est ego, le grand Tout ne peut etre que le grand Tout.

je pourrais critiquer ce que je connais de l'orient autant que ce que je connais de l'occident, en dire des belles choses egalement. le drame, le combat de la conscionsce face a la vie reste une enigme. certains se resignent, d'autres continuent de chercher, tout a l'image des roues de prieres qu'ils tournent a travers les ages en chantant des mantras. pourtant chaque tour est un peu different du prochain... chaque jour un nouveau plaisir, ou bien un nouveau combat. a la fin peut etre cette reconciliation n'est plus qu'un choix conscient a faire. sourire au temps qui passe ou essayer de le retenir dans une forme ou une autre. mieux vaut laisser passer le temps, et sourire telle les poupees nippones que les occidentaux on tendance a confondre avec de la soumission, qui en fait est une grande force d'acceptation et de reconciliation:)

11. Le jeudi 17 novembre 2011 à 10:34, par aymeric

j'aime bien cette idée que le paysan français et le paysans népalais, devant l'immensité de la nature, éprouvent finalement à peu près la même chose, au-delà des différences culturelles pourtant considérables

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