Dans un couloir, un homme urine sur une femme. Il appuie sur son corps, puis il finit par s’assoir et sortir son sexe. La femme entreprend alors de le sucer, puis de glisser le visage dans ce que l’homme « ignore de lui-même ». Ils font enfin l’amour, jouissent, et l’homme bat la femme – jusqu’à ce que, peut-être, elle meure.

Argument d’un court-métrage pornographique ? Scène arty d’une installation vidéo ? Scénario potache d’un élève de lycée ? Non, résumé d’un texte bref de Marguerite Duras (trente pages en gros caractères), l’un des plus « sexuels » qu’elle ait écrit : L’homme assis dans le couloir.

Je n’ai jamais été grand fan de Duras (sans aller cependant jusqu’à dire, comme j'ai pu le lire parfois, qu'elle est l’auteur le plus surestimé du 20ème siècle), et certains de ses plus grands textes m’ennuient assez – je n’arrive jamais à finir, par exemple, L’amant de la Chine du Nord ou La Douleur. Mais je découvre aujourd’hui ses très courts livres, et cette fois-ci je tombe sous le charme – encore que charme soit un terme peu approprié : sans doute faudrait-il parler d’envoûtement.

Dans L’homme assis dans le couloir, par exemple, j’aime l’extrême brièveté, la provocation, l’incertitude grammaticale (présent et conditionnel entremêlés), la radicalité de traitement, autant d’éléments qui montrent combien Duras s’adjugeait une liberté de création à peu près totale. On peut être irrité par ses poses, son arrogance, son refus de l’académisme, mais séduit aussi par cette attitude princière et ce jusque-boutisme créatif.

Dans les phrases saturées de sens, dans un certain univers de désir et de mort, je crois par ailleurs trouver des analogies avec Georges Bataille – dont le texte L’Impossible m’a récemment bouleversé.

Qu’en en juge par cette phrase :

« Elle est pleine de jouissance, remplie de jouissance plus qu’elle ne peut en contenir et tant à l’étroit d’elle-même elle est devenue qu’on hésite à y porter la main. » (L’homme assis dans le couloir, p. 25)

Ça me rappelle des formules de Bataille, dans L’Impossible, comme :

« Ce qui dort en moi d’énergie insensée tendu à se rompre. »

Ou : « La douceur de la mort rayonnait en moi. »

De même cette phrase de Duras, dans La maladie de la mort (le texte qui a nourri le film de Catherine Breillat, Anatomie de l’enfer) :

« Elle sourit, elle dit que c’est la première fois, qu’elle ne savait pas avant de vous rencontrer que la mort pouvait se vivre ».

Comment ne pas songer à ces autres phrases de Bataille, toujours dans L’Impossible :

« Je le savais déjà que l’intimité des choses est la mort », ou bien : « La douceur de la mort rayonnait en moi. » (page 98)

J’ai beau rêver parfois d’imiter de grands romans réalistes, je me sens souvent en phase avec ces œuvres de formules denses et terribles.