De même que le 17ème siècle flamand (celui qu’on appelle souvent L’âge d’or hollandais) mettait à l’honneur la peinture du quotidien, ce que Todorov appelait « le genre du quotidien », de même il me semble que le 19ème européen (et particulièrement français) a développé un art de la description (lieux comme personnages) poussé à un degré jusque-là inégalé – par sa précision, son ampleur, sa portée symbolique. N’allait-il pas se perdre quelque peu par la suite ? (Si l’on excepte certaines œuvres comme celle de Marcel Proust, Aragon, Colette…).

C’est frappant chez Zola, Balzac, Hugo, Flaubert, mais on retrouve cet art de la notation précise, savante et documentée chez un auteur qui passe pourtant pour moins talentueux que ses collègues, ou moins précis, plus superficiel : Maupassant.

Même dans ses nouvelles, cultivant pourtant le trait rapide et l’ellipse, on trouve de somptueux passages dont le bonheur de lecture tient à la justesse des mots, leur inventivité, et même une certaine ampleur de le développement – le 20ème siècle, pour simplifier à l’extrême, aimant concentrer son attention sur l’intensité narrative, l’expressivité, la portée métaphysique, autant de choses qui l’éloignent du plaisir pur de la description (ces descriptions que l’on tient souvent pour ennuyeuses et qui sont peut-être, pourtant, l’essence même du dix-neuvième en littérature).

Dans l’une des plus belles nouvelles de Maupassant, Une partie de campagne, que Renoir avait voulu adapter au cinéma, on trouve ainsi l’étonnante description d’un chant de Rossignol (motif éminemment romantique), accompagnant l’union charnelle de deux personnages que l’auteur aura l’habilité de pas dépeindre. Le passage vaut autant pour l’humour des sous-entendus que pour la qualité de la description elle-même :

« L’oiseau se remit à chanter. Il jeta d’abord trois notes pénétrantes qui semblaient un appel d’amour, puis, après un silence d’un moment, il commença d’une voix affaiblie des modulations très lentes. (…) Une ivresse envahissait l’oiseau, et sa voix, s’accélérait peu à peu comme un incendie qui s’allume ou une passion qui grandit, semblait accompagner sous l’arbre un crépitement de baisers. Puis le délire de son gosier se déchaînait éperdument. Il avait des pâmoisons prolongées sur un trait, de grands spasmes mélodieux.

Quelquefois il se reposait un peu, filant seulement deux ou trois sons légers qu’il terminait soudain par une note suraiguë. Ou bien il partait d’une course affolée, avec des jaillissements de gammes, des frémissements, des saccades, comme un chant d’amour furieux, suivi par des cris de triomphe
. »

Dans un autre de ses chefs-d’œuvre, La Maison Tellier, Maupassant enchaîne plusieurs portraits et l’on sent par exemple dans celui de la tenancière le plaisir de brosser un petit paragraphe bien senti, truffé de détails « bien vus » :

« Elle était grande, charnue, avenante. Son teint, pâli dans l’obscurité de ce logis toujours clos, luisait, comme sous un vernis gras. Une mince garniture de cheveux follets, faux et frisés, entourait son front, et lui donnait un aspect juvénile qui jurait avec la maturité de ses formes. Invariablement gaie et la figure ouverte, elle plaisantait volontiers, avec une nuance de retenue que ses occupations nouvelles n’avaient pas encore pu lui faire perdre. Les gros mots la choquaient toujours un peu : et quand un garçon mal élevé appelait de son nom propre l’établissement qu’elle dirigeait, elle se fâchait, révoltée. Enfin elle avait l’âme délicate, et bien que traitant ses femmes en amies, elle répétait volontiers qu’elles « n’étaient point du même panier. » »