Il y a des livres qu’on dévore parce qu’ils nous paraissent évidents, drôles, et qu’ils visent une sorte de point essentiel, comme ça m’est récemment arrivé avec le « Blabla et le chichi des philosophes » de Frédéric Schiffter (Puf, 2001).

Et il y a des livres dans lesquels on se promène, des livres paysages qui prennent le temps de s’étendre et nous invitent à baguenauder, virevoltant autour d’un sujet qu’ils entourent de mille attentions.

« Aurora Cornu » de Pierre Cormary, publié par Etienne Ruhaud chez Unicité (2023), préfacé par Amélie Nothomb, précédé d’une rumeur flatteuse voulant que Houellebecq l’ait recommandé, est de ceux-là. L’auteur y détaille son obsession pour Aurora Cornu, l’actrice et poétesse roumaine, égérie de Rohmer, et raconte leur improbable rencontre. Dialogues savoureux, digressions autobiographiques, situations cocasses… Le livre grandit avec l’ambition de tout cerner de la femme aimée, d’autant qu’il s’agit ici d’un amour sans sexe, longtemps fantasmé. Rêve de fusion par la présence et par les mots… Il y a de la courtoisie dans ce projet, de l’hallucination par la parole.

Mais le ton reste léger, l’écriture fluide, et le volume permet une curieuse expérience, proche de l’amitié : c’est avec patience qu’on suit longuement un homme dans la spirale émotive qu’il nous offre en spectacle. Ce qu’il ressent nous paraît familier. On dirait un partage mystique, en somme, d’autant qu’il se place sous le signe d’une personnalité qui ne rechignait pas à l’occultisme.

« Vampiriser Aurora Cornu pour en être digne et comme elle-même a voulu être digne de cet homme à qui elle doit sans doute ce tempérament de guerrière qui faisait dire à sa mère nucléaire que lorsqu’elle était enceinte d’elle, elle avait eu l’impression d’avoir un garçon furieux dans les entrailles. C’est qu’elle n’a peur de rien, cette adolescente aventurière qui va gambader pieds nus dans la forêt au risque de se laisser surprendre par un orage à la tombée de la nuit et se perdre dans la gadoue. » (page 243)