Il y a quelques jours, moment de stupeur et d'émotion devant une chapelle ardente, à deux pas de l'église du métro Jourdain. Une Sdf qui squattait le même matelas depuis des années venait de nous quitter. Mimi, victime d'un arrêt cardiaque à 57 ans... Les gens l'avaient plutôt évitée, de son vivant. Constamment ivre, elle n'avait fait qu'apostropher les passants pour leur demander des cigarettes. Ses amies d'infortune étaient parfois plus agressives, mais non moins touchantes. Elle avait fait partie du décor. Nous l'avions croisée tous les jours et nous nous étions faits à sa présence. Quelques personnes ont éclaté en sanglots devant les bougies... Nous savions que l'histoire finirait de cette façon, et j'imagine que tout le monde ou presque a ressenti une grande impuissance, en même temps qu'une grande tristesse.

Hasard des calendriers, et au risque de paraître futile en bifurquant vers la littérature, je finissais le même jour un roman de Simenon, Maigret et le clochard, que j'avais décidé de lire depuis que j'avais appris qu'il était considéré par certains comme le mieux écrit de l'auteur. C'est un petit livre agréable, racontant une enquête à propos d'un clochard qu'on a tenté de noyer, près du pont Marie. Les atmosphères se mêlent, sur fond de désespoir ordinaire et de rivalités familiales. Ce n'est pas le style qui m'a plu, au demeurant fort simple, mais bien la justesse et la force des sentiments dont la peinture est tout juste esquissée. Cela m'a rappelé l'un des "romans américains" de Simenon, lu l'année dernière, tout imprégné de vapeurs alcoolisées - et je préfère, je crois, les drames familiaux de Simenon à ses romans de format policier.

A propos de style, j'ai remarqué une curieuse particularité chez Simenon : dans la plupart des phrases réclamant le passé simple, parce qu'elles décrivent des actions ponctuelles, Simenon préfère l'utilisation de l'imparfait. Après deux cents pages, je n'ai toujours pas compris l'intérêt de cette pratique - Simenon cherchait-il à créer comme une sorte de poésie de la suspension des actes brefs ?

Un joli paragraphe établissant sans doute un parallèle implicite entre le travail de l'enquêteur et celui du romancier:

"Maigret parlait rarement à sa femme d'une enquête en cours. Le plus souvent, d'ailleurs, il n'en discutait pas avec ses plus proches collaborateurs à qui il se contentait de donner des instructions. Cela tenait à sa façon de travailler, d'essayer de comprendre, de s'imprégner petit à petit de la vie de gens qu'il ne connaissait pas la veille." (page 107)