Dans ses Carnets Blancs (Seuil, 2010), Mathieu Simonet raconte une expérience singulière : il a entrepris de disperser ses journaux intimes auprès de gens qui pourraient en faire ce que bon leur semblerait – les détruire, les manger, les peindre… C’était une manière de s’en débarrasser, de se couper de son passé, de s’en libérer, mais aussi de rendre ces carnets à une vie autre. Le corps du texte consiste en notes, en extraits de lettres et de mails dans lequel Mathieu Simonet rend compte, de près ou de loin, de cette expérience.

Dans l’avant-propos il essaye de définir le fantasme présidant à l’écriture de ce livre :

« Des histoires de coïncidences surgissaient au milieu de ces initiatives. Certains participants me dévoilaient leur rapport à leurs journaux intimes. D’autres interprétaient mon geste, me parlaient de ma mère, malade d’un cancer, avec laquelle j’apprenais, en parallèle de ce projet, à imaginer l’après. On me parlait de mon père, de ses problèmes psychiatriques, de l’éclatement de sa personnalité et de l’éclatement de mes carnets.

Je ne sais pas s’ils ont raison.

Quatre ans plus tard, à l’heure où j’écris cet avant-propos avec un certain recul, un recul qui reste très fragile, presque à vif, je crois que ce geste « s’explique » par mon fantasme de construire sur l’éclatement. Sur mon désir de réunir les opposés, les objets cassés, les photos déchirées
. » (page 13)

Nul doute qu’à l’origine de tout geste artistique il y ait ce genre de fantasme, dont on découvre progressivement la teneur à mesure que s’accomplit l’œuvre. La lecture de ce livre m’a fait demander quelle pouvait être ma propre obsession… Si chaque livre répond à un fantasme particulier, il devrait être possible également d’identifier une ou plusieurs images hallucinées présidant au fait même d’écrire pendant toute une vie. Dans mon propre cas, s’agirait-il non pas comme Mathieu Simonet de « construire sur la dispersion », mais de prendre le mal par la racine ? D’éclaircir l’ombre ? De tirer vers la lumière tout ce qui dans l’existence vous attire vers les abîmes ? J’ai tendance à écrire des livres sombres, c’est vrai, mais avec le fantasme qu’on puisse trouver un sens lumineux aux pires angoisses.

Une autre de mes tendances seraient de fantasmer la notion d’effacement. Je suis d’ailleurs en train d’y réfléchir dans un long texte dont j’aurai sans doute fini l’écriture cet été…