Quand j’étais professeur en banlieue, j’ai été frappé par la fréquence de l’Antigone d’Anouilh dans le choix des professeurs, sans doute motivé par le fait qu’ils constataient son succès auprès des élèves. De même, la pièce était souvent représentée par les troupes – amateurs ou non – qui travaillaient dans les environs. Je me l’expliquais par le fait que cette figure de jeune femme intransigeante, défendant le personnage de son frère en dépit de ses crimes, et cela contre l’autorité d’un Roi perçu comme tyrannique, représentait bien les dilemmes qui pouvaient se poser aux membres d’une communauté pris entre le respect d’une loi qu’ils n’ont pas choisie et la défense de leurs proches condamnés par cette même loi – au seul détail près que ces interprétations me semblaient faire peu de cas des raisons qu’avait précisément Créon de faire respecter l’autorité.

Je ne suis donc pas surpris de retrouver cette référence à Antigone dans le beau livre de Magyd Cherfi, « Ma part de Gaulois » (Actes sud, 2016). Dans une langue particulièrement sonore et fluide, sonnant fort et juste, le narrateur évoque l’ambivalence qui le lie à la culture française, à la fois perçue comme l’ennemie, parfois comme le sauveur – le discours devenant ici nettement plus nuancé, me semble-t-il, que dans les discours du leader de Zebda, un peu comme si la rage que réclame la musique s’apaisait dans l’espace plus feutré d’un livre.

« Depuis quelques semaines, Momo s’était donc mis en tête de préparer l’entrée au conservatoire de Toulouse, je me souviens que Samir l’avait approuvé et lui avait aussitôt conseillé de choisir Antigone (pièce politique, qu’il disait) d’Anouilh qui symbolisait la révolte des opprimés.
- Cette femme c’est un symbole de révolte, c’est nous, tu comprends, puis ça fera plaisir à Hélène, toi tu joueras le rôle de l’oppresseur, tu seras Créon et on choisira celle qui te donnera la réplique.
Momo avait tout de suite trouvé l’idée géniale d’autant qu’il avait déjà choisi sa partenaire. La pièce lui convenait : comment parler des Arabes sans qu’il n’y paraisse ? Antigone incarnait parfaitement la thématique.
- Et puis ça va plaire au jury blanc, qu’un Arabe s’attaque à un classique, disait Samir.
- Ça va faire intégré, alors que si t’interprètes Mahmoud Darwich, ça va sonner colère et pour peu qu’il y ait des juifs dans la salle, c’est mort. » (Actes sud, page 152)