La littérature sous caféine


lundi 28 janvier 2008

Paranoïa made in USA (Hubert Selby Jr. / Philip Roth)



Il est frappant de voir à quel point la littérature américaine est traversée par le thème de la paranoïa. Les deux derniers romans américains que j’ai lus sont hantés par des ennemis plus ou moins visibles, et par la folie que cette menace provoque chez les protagonistes. C’est particulièrement frappant dans La Geôle, de Hubert Selby Jr., dont j’avais déjà dévoré Le Démon (qu’on pourrait sous-titrer « roman d’un baiseur ») et Last Exit to Brooklyn (« Roman des mamies qui se shootent »).

Il s’agit ici du monologue halluciné d’un homme apparemment arrêté à tort, et qui se morfond en prison jusqu’au procès des policiers… Qui donc est coupable ? Le système est-il monstrueux ? Sommes-nous tous déments ? Hurlements et délires dans une prose particulièrement brutale… On découvre un Kafka sous amphétamines, en plus douloureux encore et plus terre à terre.

« …mais attendez seulement que vienne mon grand jour au tribulal. Jeleur tricoterai les nefs à ces salauds. Jeles ferai comparaître et jeles réduirai en miettes. Jeles montrerai tels qu’ils sont : de vrais singes. Je les crucifierai les salauds. Jen’aurai pas besoin d’un putain d’avocat pour m’aider à les écraser. Jeferai ça tout seul. Quand je leur aurai réglé leur compte ils maudiront leur mère pour les avoir mis au monde, ces vilaines pédales. Le putain de procureur et le juge pourront bien manipuler toute la merdouille de procédure qui leur plaira. Je m’en fous. Jeneveux qu’une chose : les amener à la barre. C’est tout. Laissez-moi seulement les obliger à déposer et jeles punirai ces pinnespuantes. Jeleur montreraiqui est coupable à ces culs pourris. » (La Geôle, p 166)

Quant à l’avant-dernier opus de Philip Roth, Le Complot contre l’Amérique (Folio, 2007), c’est la paranoïa du Juif qu’il met en scène : Roth imagine quel aurait été le sort des Juifs américains si Lindberg, pilote mythique et notoire antisémite, était parvenu à la Présidence en 1940 à la place de Roosevelt. J’ai hésité à me plonger dans ce roman, car à vrai dire je ne voyais pas vraiment l’intérêt de cette politique fiction...

Cela aurait été sans compter l’étonnant talent de ce type : dès les toutes premières pages on est happé par le réalisme étourdissant de sa fiction, et la démonstration devient passionnante. C’est une vie fragile qu’on découvre, celle de familles entières que l’Histoire aurait pu menacer. L’émotion naît de l'infime décalage avec le réel, et du fantasme de basculement dans l’horreur. Je ne me voyais lire qu’une cinquantaine de pages de ce livre, je vais être bien obligé de le finir…

jeudi 8 novembre 2007

Coup de massue : Lunar Park (Bret Easton Ellis, Pocket 2007)



Lunar Park (le dernier roman de Bret Easton Ellis) s’ouvre par un chapitre magistral, intitulé « Les Débuts » : le narrateur, qui semble se confondre avec l’auteur, décrit le succès foudroyant qu'il a rencontré dès son premier roman, l’impressionnant Moins que Zéro (brillante succession de scénettes trash chez les étudiants friqués de Californie), sa plongée dans la drogue et la débauche.

L’effet de réel est saisissant. Bret maîtrise toutes les ficelles du burlesque et d’une sorte de suspense existentiel. Résultat tellement flamboyant, même, dans la défonce et le délire, qu’on se demande si tout est vraiment vrai.

Le doute se confirme lorsque la suite du roman bascule dans un genre nouveau pour Ellis, le fantastique, mâtiné de chronique familiale, par ailleurs très drôle (Ellis excelle dans la description des tourments d’un père de famille complètement dépassé par les événements).

Le narrateur voit en effet sa vie basculer dans l’horreur, les événements inexpliqués se multipliant autour de lui. Effet de la drogue ? Retour du refoulé ? Vengeance de ses propres personnages ?

L’effet de surprise dure deux cents pages, et puis Bret se casse les dents dans ce nouveau genre : il n’arrive pas à la cheville de Stephen King ! Non seulement le suspense s’essouffle, mais certains développements sont même franchement tartes…

Il aurait presque fallu publier séparément les chapitres 1 et 4 (ce dernier poursuivant la veine sexuelle et « droguesque » du premier, en proposant les bases d’un roman pornographique écrit par le narrateur : autre grand moment d’anthologie). A moins que je n’aie rien compris à la subtilité des trois cents pages suivantes. J’étais pourtant parti conquis ! Etrange livre hybride, au final… A la fois le meilleur d’Ellis, et son plus raté.

Extrait (dans les bonnes pages) :

« Et puis il y avait des effets secondaires plus graves, du fait de se droguer pendant une tournée longue et épuisante : la crise cardiaque à Raleigh-Durham et le coma quasi mortel à St. Louis. Très vite, Terence s’en est foutu complètement (« Mec, tu veux de la dope, prends de la dope », me disait Terence avec une certaine lassitude dans la voix, en tortillant ses dreadlocks du bout du doigt. « Terence veut pas savoir. Terence ? Fatigué, mec ») et donc je m’en enfilais toutes les dix minutes pendant les interviews dans un bar d’hôtel à Cincinnati, tout en avalant des doubles Cosmopolitan à deux heures de l’après-midi. » (p38)

vendredi 19 octobre 2007

L'annuaire mondial du futur (Philip K. Dick, Ubik)



Adolescent, j’ai dévoré ce roman, Ubik, de Philip K. Dick, sans rien y comprendre, mais le hissant à la première place de mon panthéon des meilleurs bouquins de Science-Fiction. A l'âge de vingt ans j’ai remis le couvert, décrochant assez vite et plus guère intéressé par ces histoires de voyages dans le temps, de contraction de l’espace et de paradoxes narratifs.

Et puis je l’ai relu la semaine dernière et ça a été le choc. La puissance de ce romancier déglingué, inspirateur d’un nombre incroyable de films hollywoodiens (de Blade Runner à Minority Report en passant par Total Recall), m’a frappé pour longtemps. J’ai ressenti un plaisir sidérant – celui d’un gamin surintelligent shooté aux amphét’. Le roman est trépidant, parfaitement construit (comment cela se fait-il qu’il n’ait pas été adapté encore au cinéma ?), et d’une imagination absolument folle (les vivants communiquent avec les morts, les temps se télescopent, les emboîtements du scénario deviennent vertigineux).

Les jours suivants, je bouillonnais d’idées pour des romans de genre (thriller horrifique et compagnie), mais il y a des maîtres en la matière qu’il est intimidant d’affronter.

Seul bémol, qui fait le charme du livre : publié en 69, les aperçus sur le monde du futur sont souvent risibles.

Exemple :
« - Qu’on me passe l’annuaire mondial, dit-il. Je vais prévenir le moratorium pour qu’on nous attende.
Il regarda sa montre. Encore dix minutes de vol.
- Voilà, Mr Chip, dit Jon Ild après avoir fait des recherches.
Il tendit à Joe la grande boîte carrée avec son clavier et son microsondeur.
Joe tapa sur le clavier SUI, puis ZUR, et enfin MOR FRE BNAIM.
- C’est comme de l’hébreu, dit Pat derrière lui. Les condensations sémantiques.
Le microsondeur se déplaça d’avant en arrière, en procédant à des sélections et à des éliminations ; puis le mécanisme finit par éjecter une carte perforée que Joe glissa dans la fente réceptrice de l’audiophone
. » (p106)

Vous imaginez, un annuaire mondial à l’heure de la colonisation de la lune ! Et des fax ! K. Dick était loin d’avoir imaginé ce que pourrait être internet.

(Serait-il cependant à l’origine de l’idée de matrice telle qu’elle sera développée dans Matrix ? L’écrivain William Gibson passe pour son inventeur, et pourtant l’idée de matrice et de vrai monde parallèle est reprise plusieurs fois dans Ubik…)

mardi 21 août 2007

Le Road-Roman de Haruki Murakami (Kafka sur le rivage)



Il y a à boire et à manger dans l’avant-dernier Haruki Murakami, Kafka sur la plage (10/18, 2007). Vous y trouverez notamment :

- Une scène d’horreur presque aussi gratinée que la scène du soldat écorché vif dans Chroniques de l’oiseau à ressorts : un homme qui ouvre le ventre de chats vivants et qui mange leur cœur.

- De nombreux passages didactiques, comme celui-ci :

« Ecoute-moi bien, Kafka Tamura, le sentiment que tu éprouves actuellement a fait l’objet de nombreuses tragédies grecques. Ce ne sont pas les humains qui choisissent leur destin mais le destin qui choisit les humains. Voilà la vision du monde essentielle de la tragédie grecque. Et la tragédie – d’après Aristote – prend sa source, ironiquement, non pas dans les défauts mais dans les vertus des personnages. Tu comprends ce que je veux dire ? Ce ne sont pas leurs défauts, mais leurs vertus qui entraînent les humains vers les plus grandes tragédies. Œdipe roi, de Sophocle, en est un remarquable exemple. Ce ne sont pas sa paresse ou sa stupidité qui le mènent à la catastrophe, mais son courage et son honnêteté. Il naît de ce genre de situation une ironie inévitable. » (p272)

- Ce qu’on pourrait appeler de la féerie métaphysique : les personnages sont pris dans des paradoxes temporels, des apories logiques, des raccourcis existentiels, etc…

- Une intrigue serrée, malgré les 650 pages du bouquin, fondée sur l’alternance de séquences narratives assez brèves, passant d’un personnage à l’autre (la vraie réussite du livre est cette structure).

- Une atmosphère régulièrement fantastique, avec une série de tableaux relativement impressionnants : passages d’un monde à l’autre, pluie de poissons, personnages-fantômes…

- Trois scènes de sexe peu banales.

- Des passages comiques (pas toujours les plus réussis).

- De fréquentes références à la culture littéraire mondiale et japonaise.

- Une atmosphère de road-movie tendre à la Takeshi Kitano.

- De réguliers clins d’œil à Prince (grâce soit rendue à Murakami : d’ailleurs ne pourrait-on pas comparer les univers fortement colorés et fantasmatiques, parfaitement ébouriffés, de ces deux créateurs ?) :

« Prince chante Sexy Mother-Fucker. Le bout de mon pénis est un peu irrité. Cela m’a fait mal tout à l’heure lorsque j’ai uriné. Le gland est rouge. La peau de mon prépuce est encore toute fraîche et sensible. Entre les fantasmes sexuels qui défilent dans ma tête, les citations venues de diverses lectures qui fusent, et la voix suave de Prince qui accompagne le tout, j’ai l’impression que mon cerveau va exploser. » (p427))

- Et de l’émotion, malgré les affreuses longueurs à la fin du livre.

vendredi 3 août 2007

Les vies qui volent en éclats (Murakami, Houellebecq, Prince)



Dernier billet avant une pause de 15 jours – retour vers le 15 août.

Japon, toujours. J’avance dans ma lecture de l’avant-dernier Haruki Murakami, Kafka sur le Rivage, étonné de constater que cet auteur prend petit à petit dans mon cœur la place de son homologue Ryû, dont les longs récits d’ultra-violence et d’ultra-sexualité me séduisaient par leurs excès (comme son récent Parasites). Je deviens plus sensible à la mélancolie et aux fantaisies de Haruki – allez savoir pourquoi.

Je suis heureux d’apprendre que Haruki écoute sans doute Prince, puisqu’il place le Nain Pourpre à la page 74 dans le baladeur de son jeune protagoniste (par la suite il écoutera Radiohead). Je serais curieux de savoir ce qu’il pense du dernier album, Planet Earth, dans lequel il me semble que Prince cherche par tous les moyens possibles à se rendre agréable aux oreilles des auditeurs, ce qu’il n’avait jamais fait depuis le début de sa carrière (cela ne le rend pas plus génial pour autant).

Je m’amuse en tombant sur la fin d’un chapitre qui me semble à la fois parfaitement représentatif des atmosphères à la Murakami (Haruki comme Ryû, d’ailleurs), et parfaitement antithétique avec celles de Houellebecq :

« C’est le soir du huitième jour que cette existence régulière, simple et centrée uniquement sur moi-même, a volé en éclats (mais, naturellement, cela devait arriver tôt ou tard). » (p80)

Houellebecq aurait plutôt écrit quelque chose du genre :

« Il espérait que son existence régulière, simple et centrée uniquement sur soi-même, volerait un jour en éclats. Mais la mort de son chien n’a rien changé dans son existence, et c’est du même pas morne qu’il a continué à se rendre tous les jours dans le Monoprix du quartier. »

(En parlant de vies qui volent en éclats, je fais abstraction de la fin de Plateforme...)

vendredi 27 juillet 2007

Paris/Berlin/Tokyo (Zweig/Van Gogh)



En ce moment j'écris sur Tokyo, cette ville qui m’aura transporté pendant seize mois (il y a quelques années maintenant), et je me suis juré de ne lire pendant quelques semaines que des livres écrits par des Japonais, ou portant sur le Japon (comme l’excellent, quoi que décevant parfois, Chroniques Japonaises, de Nicolas Bouvier, considéré comme un classique). Mais c’est en musardant ailleurs que je suis tombé sur une superbe page que je pourrais reprendre quasiment mot pour mot pour décrire mon expérience.

Elle est extraite d’un roman qui n’a pourtant rien à voir avec le Pays du Soleil Levant, mais qui m’a frappé par sa concision, sa diabolique efficacité, son style travaillé mais sans fioriture – et son titre, merveilleux : La Confusion des Sentiments, de Stefan Zweig.

Voilà la manière dont le narrateur parle de Berlin :

« Jamais je n’ai aussi bien compris et aimé Berlin qu’à cette époque car, exactement comme dans ce chaud et ruisselant rayon de ciel humain, chaque cellule de mon être aspirait à un élargissement soudain. Où l’impatience d’une vigoureuse jeunesse aurait-elle pu se déployer aussi bien que dans le sein palpitant et brûlant de cette femme géante, dans cette cité impatiente et débordante de force ? Tout d’un coup elle s’empara de moi, je me plongeai dans son être, je descendis jusqu’au fond de ses veines ; ma curiosité parcourut hâtivement tout son corps de pierre et pourtant plein de chaleur : depuis le matin jusqu’à la nuit, je m’agitais dans les rues, j’allais jusqu’aux lacs de la banlieue, j’explorais tout ce qu’il y avait là de caché : l’ardeur avec laquelle, au lieu de m’occuper de mes études, je m’abandonnais aux aventures de cette existence toujours en quête de sensations nouvelles, était véritablement celle d’un possédé. » (Stock, p17)

Après quoi j’ai feuilleté quelques pages à propos des rapports qu’entretenait Van Gogh et le Japon, cherchant à me renseigner sur un tableau qu’il avait intitulé « La Mousmé dans un fauteuil » (Mousmé étant un mot passé de mode pour désigner une jeune Japonaise, de mœurs plus ou moins légères), et je suis tombé sur un beau passage de la plume de Van Gogh :

« Dans un tableau, je voudrais dire quelque chose de consolant, comme de la musique. Je voudrais peindre des hommes et des femmes avec un certain degré d’éternel, dont l’auréole des saints était autrefois le symbole et que nous essayons de rendre par le rayonnement, la vibration et l’oscillement de nos couleurs. » (Lettre 531)

Les jours précédents, je m’étais justement dit qu’en littérature il fallait essayer la plupart du temps de rendre compte de la sorte de rayonnement intérieur que l’on sent chez les autres, comme l’infime vibration de leur présence.

dimanche 22 juillet 2007

Le Maupassant japonais (Nagaï Kafu)



Il y a chez Mishima des airs de Sartre dans ses longs développements philosophico-psychologiques, des airs de Radiguet dans sa préciosité.

Chez Kawabata je respire des parfums d’une Colette plus macabre, avec le même goût des atmosphères lentes et des pointes d’une sensibilité presque excessive.

Et je viens de trouver le Maupassant japonais : dans les nouvelles de Nagaï Kafu (mort en 1959), qui déclarait d’ailleurs son admiration pour le romancier normand, nous trouvons le même art de l’histoire bien troussée, la même coloration sociologique, le même souci de la chute cruelle, pathétique ou surprenante – avec des touches plus marquées de réalisme et une mélancolie plus typiquement japonaise (celle-là même qu’on trouve chez Kawabata d’ailleurs), comme dans le dernière page de cette courte nouvelle du très beau recueil Voitures de Nuit (chez 10/18), décrivant les quartiers de plaisir dans un Japon troublé par les guerres successives :

« « Vous connaissez mon existence à partir de ce moment-là. J’ai passé le temps à observer d’un œil curieux les modifications de ce monde en perpétuelle transformation, prenant de temps en temps le pinceau pour me distraire, mais me lassant très vite même de cette occupation. Cette année j’aurai cinquante ans. Je songe maintenant sans aucun regret aux notes que j’avais rassemblées avec tant d’ardeur, dans le but de laisser une trace de mon passage sur la terre, et qui ont été réduites en cendres dans l’espace de quelques minutes. C’est même pour moi un sujet de plaisanterie. J’ai appris qu’il n’y a pas de plus grand plaisir que de se laisser vivre sans aucun souci, s’adaptant aux circonstances, et d’échanger librement de temps en temps avec un ami des souvenirs du temps passé. »
Ayant terminé son récit, il fit un grand bâillement et s’essuya les yeux du revers de sa manche
. » (p 258)

J’aime beaucoup cette touche finale où le personnage a l’air de contredire par un geste tout le discours qu’il vient de tenir.

mercredi 18 juillet 2007

La paranoïa du Juif (Philip Roth, Tromperie)



Il est déjà tellement facile d’être plus ou moins paranoïaque aujourd’hui (c’est d’ailleurs un thème étonnamment récurrent dans la littérature américaine) que je n’ose pas imaginer ce que cela peut donner chez des Juifs, qui ont mille fois plus de raisons que n’importe qui, me semble-t-il, de se méfier de leurs contemporains.

Cette méfiance est d’ailleurs un des grands refrains de l’œuvre de Philip Roth, cet intarissable et brillant romancier, refrain qu’il entonne avec une verve imparable dans un petit opus assez méconnu, Tromperie (Folio 1996), composé de bouts de conversations sans fil narratif, portant notamment sur la difficulté d’être en couple (comme toujours chez Roth) et sur l’antisémitisme en Grande Bretagne, comme dans cette excellente page :

« - Pourquoi dans ce pays tout le monde déteste-t-il Israël ? Peux-tu m’expliquer ça ? Maintenant chaque fois que je sors, je me chamaille avec quelqu’un. Et je rentre furieuse chez moi et n’arrive pas à fermer l’œil de la nuit. Je suis apparentée, d’une façon ou d’une autre, avec les plus grands fléaux de la planète, Israël et l’Amérique. Admettons qu’Israël soit un pays abominable (…), pourtant il y a beaucoup de pays qui sont, et de loin, beaucoup plus atroces. Pourtant l’hostilité envers Israël est quasiment universelle parmi les gens que je rencontre.

- Moi non plus je n’ai jamais été capable de le comprendre. Cela me frappe comme l’un des phénomènes les plus étranges de l’histoire moderne. (…) Et selon toi, qu’est-ce qui en est la source ?

- A mon avis, ce n’est pas l’antisémitisme.

- Non ?

- Pas pour l’essentiel, non. C’est seulement la gauche à la mode. Ils sont très déprimants. Je ne peux en conclure qu’une chose, certaines personnes ont épousé si étroitement certaines conceptions irréalistes de la justice humaine et des droits de l’homme qu’elles sont incapables de faire des concessions à des nécessités d’aucune sorte. En d’autres termes, si on est Israélien, on se doit de vivre selon les valeurs les plus nobles, et en conséquence on ne peut rien faire en réalité, sinon se retourner et tendre l’autre joue, comme disait Jésus-Christ. Mais aussi, il me semble que c’est un corollaire informulé que de critiquer le plus durement les gens qui en réalité se comportent le mieux, ou le moins mal. Ce qui est tout à fait banal, pas vrai ? Ces exaltés désapprouvent de façon sélective avec une extrême sévérité les choses les moins répréhensibles. C’est vraiment irréel, n’est-ce pas ? » (Tromperies, p80)