La littérature sous caféine


dimanche 7 décembre 2008

Les auteurs dans l'air du temps (Ballard / Palahniuk)



Un groupe d'immeubles en Angleterre conçu pour des milliers d'habitants... Des dizaines d'étages, des équipements de luxe... Jusqu'à ce que les choses dégénèrent : des tensions paraissent, des groupes se forment et les premières morts surviennent...

J.G. Ballard a le chic pour mettre le doigt sur des thèmes qui frappent par leur aspect brut et contemporain. I.G.H est le troisième tome de la trilogie du célèbre auteur britannique, très justement appelée "Trilogie du béton", après le fameux Crash adapté par Cronenberg au cinéma. Tous les romans de Ballard procurent en tout cas la délicieuse sensation d'être parfaitement de leur époque - ce sont des histoires d'émeutes urbaines, de perversions mécaniques, de terrorisme aveugle...

Ils ont la qualité supplémentaire d'être très bien écrits, ce qui n'est pas toujours le cas pour ce genre de littérature apocalyptique, même si la plupart des romans de Ballard, à mon goût, traînent en longueur et s'achèvent (très) laborieusement.

A chaque lecture je me répète que ses livres constitueraient une excellente base de travail pour des films, et je n'ai donc pas été surpris d'apprendre que I.G.H allait précisément être adapté au cinéma, par un réalisateur dont j'admire d'ailleurs le premier coup de maître qu'est Cube, délicieuse machinerie métaphysico-fantastique. Son incroyable Cypher m'avait également subjugué, petit bijou de science-fiction millimétrée, passé quasiment inaperçu en France - si ce n'est de quelques amateurs forcenés.



Pas étonnant non plus que Chuck Palahniuk, qui donne la même sensation de procurer à l'époque les images dont elle a besoin, auteur du mythique Fight Club (dont David Fincher à tiré le film), soit adapté pour la troisième fois sur grand écran : Choke sortira début janvier 2009.

J'ai beaucoup aimé les premiers chapitres de ce roman étonnamment déjanté. Le protagoniste y travaille en costume dans un parc à thème et cherche désespérément à guérir d'une addiction au sexe, s'embarquant dans une série très dense de délires familiaux et sentimentaux... Le risque avec ce type de littérature, c'est bien sûr que la tension retombe et qu'on se lasse de la surenchère. Je ne suis pas allé au bout du livre, mais le chapitre d'ouverture est magistral. Sur le coup, j'ai vraiment été persuadé de tenir l'un des romans du siècle - énergie, rage, mystère, tension, densité narrative, humour... Et puis j'ai lâché prise, quelques dizaines de pages plus loin. Sans doute faut-il savoir doser le délire...

"Ce à quoi vous avez droit, ici, c'est à une histoire stupide à propos d'un petit garçon stupide. une histoire vraie de la vraie vie concernant des individus que jamais vous ne voudriez rencontrer. Imaginez ce petit hystéro criard, qui vous arrive à la taille, avec ses petits cheveux bien chiches, très proprement coiffés, et une raie sur le côté. Imaginez-le, ce petit merdeux, tellement déjà dans la norme, sur de vieilles photos de classe avec déjà quelques dents de lait tombées et ses premières dents définitives qui poussent de travers. Imaginez-le vêtu d'un chandail ridicule à rayures bleues et jaunes, un cadeau d'anniversaire, qui avait jadis été son pull préféré. Même à un si jeune âge, imaginez-le en train de se le ronger, ses ongles de tête de gland. Ses chaussures préférées ? Des Keds. Sa nourriture préférée ? Des corn-dogs, des putains de saucisses en pain de maïs." (Extrait de Choke, Folio Policier, p 13)

mardi 2 décembre 2008

Les ouvertures magistrales / Les bavardages savants (Mc Cullers et Norman Rush)



Il y a des romans qui s'abattent sur vous dès les premières pages : c'est la sensation que j'ai ressentie quand je me suis plongé dans la lecture du classique de Carson Mc Cullers, cet écrivain surdouée, publiée si jeune : Le coeur est un chasseur solitaire, merveilleux titre pour un roman qui ne l'est pas moins, tout en tendresse, en subtilités psychologiques et en épaisseur humaine.

Force est de reconnaître cependant que le premier chapitre (récit de l'amitié de deux sourds-muets dans une petite ville du sud des Etats-Unis), éblouissant de densité romanesque et de fluidité, laisse attendre beaucoup de la suite, et qu'on est assez naturellement déçu quand on poursuit le livre (la chronique douce-amère, assez lente, des vies modestes que mènent les propriétaires et les clients principaux d'un petit bar), même si la douceur et la qualité de l'écriture restent au rendez-vous.

Même sentiment avec l'imposant roman de Norman Rush, Accouplement, acclamé par la critique et tenu par beaucoup pour l'un des livres les plus importants du siècle aux Etats-Unis : les premières pages sont impressionnantes, car on tient un pavé dans les mains et le monologue de cette jeune femme qui débarque en Afrique et tombe bientôt amoureuse d'un personnage romanesque de la savane vous emporte d'emblée par sa clarté, la richesse des informations fournies, le rendu des sentiments...

La force de cette première impression dépent évidemment de l'épaisseur du livre, car on devient curieux de savoir si l'auteur saura maintenir la pression pendant plus de 500 (grandes) pages. Mais il ne la maintient que très peu, justement, et le livre sombre (du moins dans ce que j'en ai lu pour l'instant) dans un savant bavardage qui n'est pas inintéressant, mais ressemble vraiment à une performance, celle d'un auteur qui cherche à écrire le plus possible et à épater le lecteur par son art de la digression permanente.

Je me rappelle d'ailleurs avoir été très déçu par un autre roman américain encensé par la critique, il y a quelques petites années de cela, Les Corrections de Franzen, interminable opus sur les déboires d'une famille qui part en vrille... Chaque page pouvait être considérée comme un beau morceau d'analyse sociologique mêlé de grotesque et d'anecdotes héroï-comiques, mais mises à bout cela devenait indigeste (il faudrait que je le relise, cependant). Difficile à trouver, l'équilibre entre digressions brillantes et pur et simple bavardage...