La littérature sous caféine


samedi 20 septembre 2008

Les vies qui perdent sens



L'autre jour, pour la première fois de ma vie, j'ai été réellement bouleversé par un SDF (quelqu'un qui en avait l'allure, en tout cas) : non pas que je ne sois jamais touché par le spectacle de la misère, mais cette fois-ci j'ai eu le sentiment que le type en question, d'une trentaine d'années, replet, l'air complètement ahuri à la station de tram de La Courneuve, rougi par l'alcool, pataud dans son survêtement, les cheveux ébouriffés, patientant là comme s'il attendait que quelqu'un descende du prochain wagon, pouvait encore être sauvé.

On aurait dit qu'il était sur le point de basculer corps et âme dans le désespoir, ou que, déjà désespéré depuis des lustres, il s'apprêtait à lâcher complètement prise. On lisait vraiment la détresse dans son regard, dans ses poses maladroites, quand beaucoup d'autres sont déjà murés dans une attitude distante, ou plus endurcie.

J'ai failli sortir du tram pour aller lui parler, quitte à ne pas aller travailler. C'est la pudeur, et la peur du ridicule, qui m'en ont retenu. Et puis, qu'allais-je lui dire exactement ? Attendait-il vraiment de pouvoir parler à quelqu'un ?

Le rapport est lointain, mais cela m'a rappelé le livre d'Alexandre Soljenitsyne que j'avais lu cet été, juste après sa mort, le petit roman qui a fait sa gloire, Une journée d'Ivan Denissovitch (Pocket), décrivant la journée type d'un homme qui vit depuis des mois dans le goulag : misère absolue de ces fantômes ambulants qui ne comprennent pas forcément ce qu'ils font ici, se préparent à mourir ou survivre sans but pendant des années. Ce qui fait la force de ce livre fait d'ailleurs aussi sa faiblesse : l'absence de structure dramatique, le côté brut du compte-rendu peuvent être assez saisissants, mais le risque est de rendre l'ensemble assez statique, et même ennuyeux...

"Dans son dossier, Choukhov est au camp pour trahison de la Patrie. Il a fait tous les aveux qu'il fallait : il s'est rendu aux Allemands parce qu'il avait envie de trahir l'Union Soviétique, et s'il s'est, soi-disant, évadé parce qu'il avait reçu une mission des services de renseignements de l'ennemi. Quelle mission ? Choukhov n'était pas assez futé pour en trouver une. Ni non plus l'officier du contre-espionnage. Alors c'était resté comme ça : "Une mission."" (Pocket, p87)

mercredi 17 septembre 2008

Sur les pas de John Fante (+ Clip de la semaine)



En juillet dernier, dans l'avion qui me menait à San Francisco en survolant les incroyables étendues désertiques de l'Ouest américain, je dévorais La Rouge de Los Angeles, le tout premier roman écrit par John Fante, publié quand il avait déjà rencontré le succès avec les suivants.

Séduit, comme il se doit, par la figure de ce narrateur qu'on retrouvera par la suite, ce Bandini à la fois vantard et désespéré, ridicule et mégalo, vivant d'expédients et révolté par le sort réservé aux travailleurs (tout en se faisant de ceux-là, bien souvent, des ennemis), j'ai eu comme une révélation, et plusieurs projets de romans restés en friche jusqu'alors se sont cristallisés autour d'un projet unique, mettant en scène un narrateur assez proche de celui de Fante, et mêlant savamment comme lui des éléments biographiques à d'autres plus fantasques.

Jusqu'à maintenant, j'avais toujours été étonné que des écrivains évoquent le mal qu'ils avaient, quand ils lisaient un livre, à ne pas adopter par mimétisme un style comparable dans leurs propres écrits. Je n'avais jamais vraiment cherché à imiter le style de qui que ce soit, et je n'avais jamais éprouvé la tentation de le faire. Pour la première fois, j'ai tenté l'expérience : et cet été j'ai voulu adapter l'univers de Fante au mien, noircissant des dizaines de pages avec une certaine fougue...

Résultat peu probant, évidemment ! A la fin de l'été j'ai suspendu l'écriture de ce livre car je ne suis pas arrivé (du moins pour l'instant) à trouver une fin satisfaisante, et surtout l'ensemble paraît maigre, étriqué, un peu triste, par rapport aux flamboyances de Fante. Je ne serai pas aussi naïf, la prochaine fois...

"Le vieux souriait à sa manière, je souriais à la mienne. Je le regardais et il me regardait. Sourire. Il ne savait évidemment pas qui j'étais. Il me confondait sans doute avec le reste du troupeau. Très amusant, tout ça, formidable de voyager incognito. Deux philosophes échangeant rêveusement un sourire en contemplant le sort de l'homme. Il était sincèrement amusé, son vieux nez coulait, ses yeux bleus scintillaient d'un rire paisible. Il portait une salopette bleue qui couvrait complètement son corps. Autour de sa taille, j'ai aperçu une ceinture dénuée de la moindre utilité apparente, accessoire inutile, une ceinture qui ne soutenait rien, pas même son ventre, car il était maigre. Peut-être une sorte de clin d'oeil, une plaisanterie destinée à le faire rire quand il s'habillait le matin." (p68)

(Clip de la semaine : quasiment inconnu en France, celui qui se faisait connaître il y a quelques petites années comme Lil Bow Wow s'appelle maintenant Bow Wow, et se présente à mon avis comme le digne successeur de Snoop : ses albums sont très bons, avec un sens aigü du swing qui rappelle le P-Funk glorieux de la bande de Snoop (Nate Dogg, Warren G...), et un jeu de basses aussi dévastateur que celui de Dr Dre (D'ailleurs ça ne m'étonnerait qu'il soit producteur sur ce titre, Outta my system :