La littérature sous caféine


mardi 27 septembre 2016

Imaginer la mer et les pirates dans "L'île au trésor"

Enfant, j’avais été très impressionné par l’attaque du fortin dans L’île au trésor (Stevenson). Sur l’écran de mon imaginaire je me représentais les pirates grimper sur une sorte de côte, de gauche à droite ; la peur que cette attaque avait suscitée restait mon unique souvenir. En relisant l’œuvre aujourd’hui je me laisse tout autant impressionner par la scène mais, curieusement, je vois les pirates arriver par la droite et sur un terrain plutôt plat.

Par ailleurs, je suis attentif à des détails qui devaient m’assommer, enfant – notamment ces termes techniques ponctuant la description de combats maritimes et qui participent activement du sentiment de merveilleux. Car Stevenson arrive à rendre sensible une sorte de suspense naval qui pourrait être obscur aux lecteurs mais qui, parce qu’il a le sens de l’image et qu’il rend familier les univers exotiques, provoque la fascination. Au fond, le vrai trésor de l’île ce sont les océans qui les entourent et le talent de l’auteur pour nous les rendre sensibles.

lundi 22 août 2016

Tom Wolfe ou la littérature Hollywood

Le dernier roman en date de Tom Wolfe, « Bloody Miami », donne l’impression d’un Balzac sous amphétamine : la même richesse de de contenu que le maître français dont Tom Wolfe se réclame d’ailleurs, mais très nettement sectionnée par épisodes tous plus survoltés les uns que les autres et structurée comme un polar. Wolfe entreprend de nous montrer la Miami multiculturelle comme une sorte d’enfer de violences et de sexe. Surtout, certaines scènes d’action sont si spectaculaires, si bien rôdées qu’on a parfois l’impression que Wolfe a recours à des effets spéciaux…

vendredi 23 octobre 2015

Ulysse, ce Bronson en tunique

Homère a vraiment construit son Odyssée comme on construit aujourd'hui les Vigilante Movies - ces films où le protagoniste, pour accomplir sa vengeance, s'affranchit des lois communes : un prologue où Télémaque, le fils, fait le décompte douloureux de tout ce que les prétendants font subir à la famille d'Ulysse; un corps de texte où les épreuves qu'affronte Ulysse, sur le chemin du retour, ne font que renforcer sa rage et sa détermination; un long final où la haine grandit lentement pour éclater dans un effrayant bain de sang, au cours duquel le héros perdrait presque son humanité.

samedi 29 août 2015

La Tour sombre : tout et n'importe quoi

Je suis un grand fan de Stephen King - j'admire sa créativité monstrueuse, et la sorte de fécondation de l'imaginaire mondial à laquelle il se livre. Mais il faut reconnaître que certains de ses livres relèvent du grand n'importe-quoi. Je pense par exemple à sa série en 8 volumes, La Tour sombre, publiée tout au long de ses quarante ans de carrière, dans laquelle je me lance tout juste et qui réalise le miracle de compiler des genre innombrables: western, science-fiction, mondes parallèles, post-apocalypse, heroïc-fantasy, épouvante, et j'en passe… C'est comme un grand gâteau trop crémeux, trop coloré, complètement indigeste mais amusant aussi pour ça - avec, en prime, malgré tout, quelques scènes d'anthologie.

mardi 28 juillet 2015

De la scatologie en Allemagne

J'ai l'impression que l'Allemagne - et plus généralement les pays du Nord de l''Europe - ont un rapport particulier avec la scatologie, qu'ils abordent volontiers et dont ils s'amusent. Je pense aux récents succès de Giulia Enders ("Le charme discret de l'intestin", 2015) et de Charlotte Roche ("Zones humides", 2009). Ce rapport très pragmatique au corps aurait-il un rapport avec le protestantisme ?

lundi 27 juillet 2015

William Styron, équivalent catholique à Philip Roth

J'ai enfin trouvé l'équivalent catholique du génial Philip Roth : William Styron, dont l'époustouflant "Choix de Sophie", best-seller de 1979, fait feu de tout bois dans un style comparable à celui de Roth. Dramatisation, vigueur, fluidité, passion... Et puis cette obsession pour le thème des identités qui se rencontrent et qui se heurtent, en Europe comme aux Etats-Unis.

D'ailleurs, et cela ne me semble pas un hasard, Styron adresse dans son roman des clins d'œil appuyé à Roth, par exemple en nommant Nathan le personnage de Juif incandescent, amant de Sophie à New York; puis en évoquant la place éminente du "grand roman juif" dans la littérature américaine.

lundi 25 février 2013

Bonheur d'apaisement, bonheur de passion (Emily Brontë, Les Hauts de Hurlevent)


Les Hauts de Hurlevent Bande annonce du film par LE-PETIT-BULLETIN

Un bien étrange roman que ce classique anglais du 19ème, Les Hauts de Hurlevent. L’argument aurait été parfait pour une tragédie classique : un père adopte un Bohémien ; ce dernier provoque la jalousie du fils légitime et suscite l’amour de la fille, mais cette dernière au lieu de l’épouser choisit un homme de son rang. Cela provoque chez l’enfant adopté une terrifiante envie de vengeance. Elle emportera dans le malheur deux familles entières, et sur deux générations.

Seulement, au lieu de s’en tenir à ce fil narratif, l’auteur prend le parti d’un incroyable déluge de manipulations, d’un flux torrentiel de sentiments excessifs. On a l’impression que les personnages – et surtout la Catherine amoureuse du bohémien et préférant un mariage bourgeois – se ruent délibérément dans le malheur, refusant les choix tranchés, privilégiant l’extase et le désespoir. Que de méchancetés, que de soupirs délirants !

Que de rebondissements invraisemblables, aussi. Ou bien des rebondissements présentés en trois phrases alors que l’auteur aime tant par ailleurs étirer sa prose : les péripéties ne sont que prétextes à nouveaux développements passionnés. Prolonger la vie, prolonger l’intrigue pour mieux souffrir et mieux sentir chaque supplice ! Ce n’est pas pour rien que le livre est considéré comme un chef-d’œuvre du romantisme : on dirait un bréviaire de tout ce qu’il est possible d’endurer en termes de vertiges et de passions.

Dans ce maelstrom, superbe par moments, une page se détache à mes yeux, une page étonnamment classique où Cathy, la fille de la première Catherine, parle de bonheur avec Linton, son cousin – et je pense qu’il est très juste de distinguer comme elle le fait deux bonheurs possibles, un bonheur d’apaisement et un bonheur de passion. En fin de compte, il me semble que tous les malheurs des personnages d’Emily Brontë découlent de cet affrontement, chez eux, entre ces deux conceptions, soit qu’elles séparent les personnages, soit qu’elles déchirent les consciences :

« Il avait prétendu que la manière la plus agréable de passer une chaude journée de juillet était de rester étendu du matin au soir dans les bruyères sur un coin de la lande, cependant que les abeilles bourdonnent comme en rêve autour des fleurs (…) La mienne était de se balancer dans un arbre au feuillage bien vert et bruissant, alors qu’on sent souffler le vent d’ouest et que de beaux nuages blancs passent rapidement dans l’espace. Et comme oiseaux, non seulement des alouettes, mais des grives, des merles, des linottes, des coucous, qui font de la musique de toute part ; au loin, la lande qu’on aperçoit, coupée de vallons sombres et frais, de crêtes couvertes d’herbes hautes qui ondulent comme des vagues sous la brise (…) Il voulait que tout repose dans une extase tranquille, et moi, je voulais que tout vibre dans une gloire étincelante. Je lui dis que son paradis ne serait qu’à moitié en vie, et il me dit que le mien serait ivre. » (Hauts de Hurlevent, Folio, page 289)

mercredi 2 janvier 2013

Livres qui m'ont déçu (2)



Quelques récentes déceptions (légères, cependant):

- La cloche de détresse, de Sylvia Plath: J'aime beaucoup les poèmes de Sylvia Plath mais je n'ai pas pu me retenir de penser, en lisant ce récit publié quelques années après sa mort, et qui a rencontré un succès considérable à l'époque, qu'il n'aurait pas eu tant d'écho si l'auteur n'avait pas connu de fin si tragique. La plume est sensible, l'ensemble se lit très bien mais j'ai eu du mal à sentir sa détresse profonde en dépit de l'évocation, dans les dernières pages, des séances d'électrochocs.

- Ravelstein, de Saul Bellow : autant je suis admiratif de Philip Roth (qui se revendique de Saul Bellow), autant Saul Bellow lui-même me laisse chaque fois sur le sentiment de bâcler ses livres. Ravelstein est agréable à lire mais il s’agit d’un tissu de conversations délayées, sans ligne directrice ni structure, avec pour seul prétexte le portrait d’un prestigieux universitaire. Les semaines passent, et le souvenir du livre s’estompe irrémédiablement…

- Mon nom est légion, de Antonio Lobo Antunes : considéré comme l'un des plus grands romanciers européens, Lobo Antunes délaisse l'épopée coloniale portugaire pour l'évocation des banlieues de Lisbonne. Comme d'habitude le récit est éclaté, la prose fluide malgré son haut degré de recherche formelle (les monologues s'éparpillent en milliers de petites notations sensibles, en fantasmes furtifs dessinant un monde) et l'intensité dramatique est assez forte - on suit le périple de voyous qui violent une femme, et le parcours des personnes concernés par cette virée. Cependant on s'y perd un peu, les chapitres défilent sans qu'on y prenne un plaisir foudroyant et la matière semble assez mince, en définitive, pour ce pavé réclamant un temps de lecture important.