La littérature sous caféine


lundi 23 mai 2022

La gauche américaine : Dieu, famille, patrie !



Je lis d’une traite le beau livre où Springsteen et Obama discutent de leurs carrières respectives. Je serai toujours surpris par l’optimisme foncier des Américains, du moins celui qu’ils affichent si souvent dans leurs discours et dans les œuvres. Mais aussi par les valeurs qui structurent la gauche américaine, des valeurs qu’on a tendance désormais à classer, de ce côté-ci de l’Atlantique, à l’extrême-droite : l’amour du pays, la foi en Dieu, la dévotion vis-à-vis de la famille. Et puis, il y a cette joie presque naïve qui me paraît avoir tout à fait déserté la scène politique française… Le spectacle en est revigorant, et sans doute un peu triste pour notre pays.

« Ce que j’ai appris dans l’Iowa n’a fait que conforter ce en quoi j’avais cru depuis le début : à savoir que, en dépit de toutes nos différences, il y avait des traits communs chez les Américains, que les parents de Michelle, dans le South Side de Chicago, envisageaient les choses de manière très similaire à un couple de l’Iowa. Les deux couples croyaient au dur labeur. Tous deux croyaient aux sacrifices consentis pour les enfants. Pour les deux, il était important de tenir parole. Ils croyaient en la responsabilité individuelle, et que nous devons accomplir certaines choses les uns pour les autres, par exemple s’assurer que tous les enfants bénéficient d’un bon enseignement, ou que les seniors ne sombrent pas dans la pauvreté. Qu’en cas de maladie, vous ne vous retrouviez pas livré à vous-même. Et la fierté d’avoir un boulot. Tu vois ces valeurs communes et tu te dis : si j’arrive juste à convaincre les gens des villes et les gens de la campagne, les Blancs, les Noirs et les Hispaniques – si j’arrive à faire en sorte qu’ils s’entendent, ils se verront et se reconnaîtront les uns dans les autres, et, à partir de là, nous aurons une base pour véritablement faire avancer le pays. »

mardi 15 mars 2022

Poutine, homme d'initiative ou pantin ?

La lecture de « Guerre et Paix » m’a accompagné tout au long de l’année 2021. Forcément, avec la guerre en Ukraine, elle prend un écho particulier. Inlassablement, Tolstoï s’y moque de Napoléon qui se croit un grand homme et que les historiens s’évertuent à dépeindre comme tel. Il n'est pourtant que le jouet de forces qui le dépassent – Tolstoï évitant d’ailleurs de nommer précisément ces forces et de proposer une théorie sur ce qui anime exactement l’Europe et la Russie.

Qu’aurait-il pensé de Poutine, maintenant que le pays agressé devient l’agresseur ? Aurait-il une nouvelle fois considéré l’homme fort du moment comme un pantin ? Se serait-il au contraire inquiété de ce qu’un despote puisse impunément faire basculer l’Histoire ? Curieux comme on aimerait entendre la voix d’un écrivain disparu voilà plus d’un siècle…

jeudi 29 juillet 2021

Soulagé d'être déçu par "La servante écarlate"

Ça n’est pas désagréable d’être déçu par une lecture : ça nous évite d’avoir à compléter notre connaissance de l’œuvre. En l’occurrence, « La servante écarlate » m’a laissé complètement indifférent… L’écriture est pauvre, la traduction maladroite, l’univers assez mince. On sent trop la présence tutélaire d’autres dystopies comme « 1984 » pour se laisser impressionner. Je comprends qu’une certaine esthétique féministe ait pu cristalliser autour de cette fiction, mais je n’y ai précisément vu que cette opportunité politique, et ça m’a gâché le plaisir.

mercredi 5 mai 2021

Le white trash des forêts

Je découvre l’existence d’une auteure complètement improbable, vivant dans les forêts du Maine et prônant une vie retirée, sans technologie, refusant toute soumission politique : Carolyn Chute. Elle n’est pas encore traduite mais je vais m’empresser de lire en anglais cette figure white trash que je n’avais pas encore repérée. Merci à Laurent Dubreuil qui fait le portrait rapide de cette femme surprenante dans son « Portraits de l’Amérique en jeune morte » (Léo Scheer, 2019).

vendredi 16 avril 2021

Une année virile avec Tolstoï

Soucieux de lire l’essentiel de ce qu’on considère comme « les classiques » (que je définirais volontiers comme ces livres qui passent à la postérité), à la fois par goût et par penchant assez puéril à la collectionnite, j’ai décidé il y a quelques temps déjà de lire chaque année un « gros pavé classique », et d’échelonner la lecture sur plusieurs mois pour être sûr de ne rien en rater.

Il y a deux ans, j’ai plongé dans les antres de l’enfer avec Dante. L’année dernière j’ai poursuivi Moby Dick sur toutes les mers du monde. Cette année, je pars en campagne contre Napoléon avec Tolstoï et son « Guerre et Paix ». Nul doute, connaissant l’effet que m’a toujours fait la littérature russe du 19ème, que je pars là pour une équipée virile et marquante.

mardi 13 avril 2021

Misogyne, Roth ?

J’ai souvent entendu dire que Philip Roth était misogyne, et que ce défaut lui avait coûté le Prix Nobel. Curieusement, je n’avais jamais senti cette chose-là chez lui. Découvrant un peu tardivement son « Professeur de désir » (1977), je me suis dit que c’était dans ce roman, qui met en scène l’un de ses alter ego en prise avec la difficulté de vivre avec une femme, que je trouverais les passages licencieux. Or, je n’ai pas décelé de page misogyne, tout juste de longs chapitres sur les affres de la vie de couple. Certains portraits au vitriol mais ne me paraissent pas viser les femmes en général.

Les détracteurs de Philip Roth lui reprochent en fait de ne peindre que des femmes antipathiques. Mais je me souviens de très beaux personnages féminins dans « Que la bête meure ». J’en arrive à me demander s’il ne suffit pas aujourd’hui de pointer du doigt les écueils des rapports hommes-femmes pour passer pour misogyne.

(Sur la photo, Roth et sa première femme)

mardi 21 janvier 2020

L'hommage du grand baiseur à la grande sensuelle

Découvrant avec plaisir un des rares romans de Philip Roth que je n’avais pas encore lu, Professeur de désir (1977) (cycle Kepesh, moins réputé que le cycle Zuckermann), je me demande si je ne préfère finalement pas ses œuvres apparemment plus légères sur le couple et le désir que ses grandes fresques historico-politiques, dont je me demande toujours ce qu’elles racontent exactement.

Et cette préférence se confirme quand je lis ce bel hommage du narrateur à l’œuvre de Colette, à vrai dire inattendu. Autant Roth peut se montrer sarcastique envers une certaine avant-garde littéraire française, autant il a l’air d’admirer sincèrement notre chère auteure bourguignonne. Ne devrait-on pas trouver cela très naturel ? Le grand baiseur américain ne pouvait qu’apprécier cette femme de caractère à la sensualité virile, et je suis heureux que deux de mes auteurs préférés se lancent ainsi des fleurs par-dessus l’Atlantique.

« Feuilletant une pile de ses livres, je me suis demandé s’il avait jamais existé en Amérique une romancière avec une optique du plaisir pris et donné comparable même de loin à celle de Colette, un écrivain américain homme ou femme aussi profondément sensible qu’elle aux parfums, à la chaleur, à la couleur, un être aussi réceptif aux besoins du corps, aussi en accord avec tout le sensualisme du monde, connaisseur des plus fines nuances du sentiment amoureux, inaccessible, cependant, à tout fanatisme si ce n’est, dans le cas de Colette, animé par une farouche détermination de sauvegarder l’intégrité de son moi. Elle semble avoir été douée d’une sensibilité exquise à tous les désirs et les promesses des sens, « ces plaisirs qu’on appelle avec légèreté physiques » - et cependant nullement entachés de puritanisme, d’impulsions meurtrières, de mégalomanie ou de noires ambitions, de revendications sociales. On l’imagine égotiste au sens le plus précis, le plus acéré du mot, la plus pragmatique des sensualistes, des facultés d’introspection parfaitement équilibrées par ses facultés d’enthousiasme. (…) Le paganisme correct, robuste, bourgeois de Colette me semble toujours unique en son genre. » (Folio, page 242)

mardi 29 octobre 2019

Génie de l'aventure



Il y a un rayon dans ma bibliothèque – une bibliothèque dispersée sur plusieurs étages, et dans plusieurs lieux – qui prend peu à peu de l’importance, celui de la littérature de genre : policier, science-fiction, aventure, épouvante. C’est un rayon qui n’a pas la place éminente, il se fait chiper la vedette par la littérature générale et la philosophie, et pourtant c’est vers lui que je vais souvent avec le plus de plaisir, un peu comme s’il maintenait vivant le cœur battant de la jeunesse.

Ce rayon que j’aimerais le plus sympathique et le plus beau vient de gagner un volume de choix : Le Dernier des Mohicans, de Fenimore Cooper. Je n’avais jamais encore pris le temps de lire ce grand classique de la littérature d’aventure et je le découvre avec ravissement. Peinture substantielle d’un contexte historique complexe, scènes épiques avec leurs lots de batailles et de massacres, morceaux de bravoure en termes de suspense et de rebondissements parfois cocasses, portraits tour à tour tendres et malicieux… Tout Hollywood en 300 pages ! Le Dernier des Mohicans est directement entré dans mon panthéon, à côté de L’île au Trésor, de Frankenstein ou de Robinson Crusoe – autant de romans qui excèdent, bien sûr, le seul cadre d’un genre.