Découvrant avec plaisir un des rares romans de Philip Roth que je n’avais pas encore lu, Professeur de désir (1977) (cycle Kepesh, moins réputé que le cycle Zuckermann), je me demande si je ne préfère finalement pas ses œuvres apparemment plus légères sur le couple et le désir que ses grandes fresques historico-politiques, dont je me demande toujours ce qu’elles racontent exactement.

Et cette préférence se confirme quand je lis ce bel hommage du narrateur à l’œuvre de Colette, à vrai dire inattendu. Autant Roth peut se montrer sarcastique envers une certaine avant-garde littéraire française, autant il a l’air d’admirer sincèrement notre chère auteure bourguignonne. Ne devrait-on pas trouver cela très naturel ? Le grand baiseur américain ne pouvait qu’apprécier cette femme de caractère à la sensualité virile, et je suis heureux que deux de mes auteurs préférés se lancent ainsi des fleurs par-dessus l’Atlantique.

« Feuilletant une pile de ses livres, je me suis demandé s’il avait jamais existé en Amérique une romancière avec une optique du plaisir pris et donné comparable même de loin à celle de Colette, un écrivain américain homme ou femme aussi profondément sensible qu’elle aux parfums, à la chaleur, à la couleur, un être aussi réceptif aux besoins du corps, aussi en accord avec tout le sensualisme du monde, connaisseur des plus fines nuances du sentiment amoureux, inaccessible, cependant, à tout fanatisme si ce n’est, dans le cas de Colette, animé par une farouche détermination de sauvegarder l’intégrité de son moi. Elle semble avoir été douée d’une sensibilité exquise à tous les désirs et les promesses des sens, « ces plaisirs qu’on appelle avec légèreté physiques » - et cependant nullement entachés de puritanisme, d’impulsions meurtrières, de mégalomanie ou de noires ambitions, de revendications sociales. On l’imagine égotiste au sens le plus précis, le plus acéré du mot, la plus pragmatique des sensualistes, des facultés d’introspection parfaitement équilibrées par ses facultés d’enthousiasme. (…) Le paganisme correct, robuste, bourgeois de Colette me semble toujours unique en son genre. » (Folio, page 242)