Lunar Park (le dernier roman de Bret Easton Ellis) s’ouvre par un chapitre magistral, intitulé « Les Débuts » : le narrateur, qui semble se confondre avec l’auteur, décrit le succès foudroyant qu'il a rencontré dès son premier roman, l’impressionnant Moins que Zéro (brillante succession de scénettes trash chez les étudiants friqués de Californie), sa plongée dans la drogue et la débauche.

L’effet de réel est saisissant. Bret maîtrise toutes les ficelles du burlesque et d’une sorte de suspense existentiel. Résultat tellement flamboyant, même, dans la défonce et le délire, qu’on se demande si tout est vraiment vrai.

Le doute se confirme lorsque la suite du roman bascule dans un genre nouveau pour Ellis, le fantastique, mâtiné de chronique familiale, par ailleurs très drôle (Ellis excelle dans la description des tourments d’un père de famille complètement dépassé par les événements).

Le narrateur voit en effet sa vie basculer dans l’horreur, les événements inexpliqués se multipliant autour de lui. Effet de la drogue ? Retour du refoulé ? Vengeance de ses propres personnages ?

L’effet de surprise dure deux cents pages, et puis Bret se casse les dents dans ce nouveau genre : il n’arrive pas à la cheville de Stephen King ! Non seulement le suspense s’essouffle, mais certains développements sont même franchement tartes…

Il aurait presque fallu publier séparément les chapitres 1 et 4 (ce dernier poursuivant la veine sexuelle et « droguesque » du premier, en proposant les bases d’un roman pornographique écrit par le narrateur : autre grand moment d’anthologie). A moins que je n’aie rien compris à la subtilité des trois cents pages suivantes. J’étais pourtant parti conquis ! Etrange livre hybride, au final… A la fois le meilleur d’Ellis, et son plus raté.

Extrait (dans les bonnes pages) :

« Et puis il y avait des effets secondaires plus graves, du fait de se droguer pendant une tournée longue et épuisante : la crise cardiaque à Raleigh-Durham et le coma quasi mortel à St. Louis. Très vite, Terence s’en est foutu complètement (« Mec, tu veux de la dope, prends de la dope », me disait Terence avec une certaine lassitude dans la voix, en tortillant ses dreadlocks du bout du doigt. « Terence veut pas savoir. Terence ? Fatigué, mec ») et donc je m’en enfilais toutes les dix minutes pendant les interviews dans un bar d’hôtel à Cincinnati, tout en avalant des doubles Cosmopolitan à deux heures de l’après-midi. » (p38)