La littérature sous caféine


mercredi 11 avril 2012

Le seul défaut des romans de Philip Roth



Je relis La tache, sans doute le meilleur volume de la fameuse trilogie américaine de Philip Roth, et je suis une nouvelle fois frappé par l’étonnante puissance narrative du maître, son incroyable capacité à camper des personnages aux destins fourmillants de combats, de dilemmes et de sensations diverses.

Dans celui-ci, outre le pitch diabolique (un professeur d’université, accusé de racisme pour une phrase qui ne l’était pas, se révèle être métisse alors qu’il s’est fait passer, pendant toute sa carrière, pour un Juif blanc – Roth, au passage, reprend le motif si fréquent dans la littérature américaine du Blanc qui se révèle avoir des gènes noirs), je suis particulièrement sensible au thème de la mauvaise foi dans les phénomènes de groupes, des gens qui se laissent aller à des jugements hâtifs parce que cela satisfait leur besoin – plus ou moins conscient – de vengeance, et de même de violence.

Je me fais souvent cette réflexion-là, quand je suis le développement de telle polémique ou de tel scandale : les gens se font souvent plus idiots qu’ils ne sont, pour le pur plaisir de faire du mal.

Cette indignation-là parcourt le livre, dans quelques passages comme celui-ci page 390 de l’édition de poche :

« Fou, Coleman Silk, l’homme qui, navigateur solitaire, fait opérer à l’université un virage à cent quatre-vingt degrés ? Amer, indigné, isolé, oui – mais fou ? Les gens de l’université savaient pertinemment qu’il ne l’était nullement, et pourtant, comme lors de l’affaire des zombies, ils étaient prêts à faire comme s’ils le croyaient. Il suffisait de formuler une accusation pour la prouver. D’entendre une allégation pour le croire. L’auteur du forfait n’avait pas besoin de mobile, au diable la logique, le raisonnement. »

Malgré toutes ses superbes qualités, La tache souffre cependant d’un défaut que j’avais déjà cru remarquer dans les autres romans de Philip Roth : passé la première moitié du livre où Roth campe une intrigue brillante et fournie, il cède à la tentation d’étirer le volume bien plus que nécessaire. Les digressions se multiplient, souvent brillantes, mais sans nécessité réelle par rapport à la trame principale. Comme a pu le faire Aragon dans ses interminables (mais superbes) romans, Roth se laisse aller à la virtuosité plutôt qu’à la rigueur. Il prend le parti de livres fouillés, fouillis, étincelant de variations, mais gagnant en extension ce qu’ils perdent en intensité.

Dans La tache, par exemple, les trois premières parties sont tout simplement parfaites, construites sur la découverte progressive des contradictions du destin de Coleman Silk, mais les quatrième et cinquième proposent malheureusement quelques morceaux de bravoure à la fois réussis, chacun de leur côté, mais donnant furieusement l’impression que Roth a chargé la barque pour impressionner le lecteur.

Une trentaine de pages, par exemple, sont consacrées à un épisode burlesque (un certain Les se forçant à fréquenter un restaurant coréen pour surmonter ses traumatismes de guerre) qui aurait constitué une excellente nouvelle, mais qui fait un effet désagréable ici : le ton reste décalé par rapport aux autres chapitres. Et puis le passage n’est finalement pas aussi réussi que le reste – le trait, trop appuyé, ne rend pas hommage aux angoissantes complexités de l’ensemble.

lundi 2 avril 2012

Fausses valeurs du roman américain ?



La liste des auteurs américains que j’admire est longue (Roth, Ellroy, DeLillo, Fante…). Mais celle de ceux qui me déçoivent s’allonge, elle aussi. Je pense qu’on pardonne finalement beaucoup à la production littéraire d’outre-Atlantique. On se laisse surtout impressionner par une sorte d’argument d’autorité propre au domaine romanesque, celui voulant nous faire croire par exemple qu’un gros volume estampillé roman de société vaudrait tous les chefs-d’œuvre.

J’ai récemment été déçu, par exemple, par deux romanciers dont j’attendais beaucoup.

Russel Banks, dont le terrible Affliction m’avait marqué (le livre, puis l’excellent film qui en avait été tiré). Je l’avais trouvé long, certes, mais cette longueur était compensée par l’atmosphère pesante, la densité émotionnelle et la beauté du thème (un père de famille en perdition, dans un décor de rude hiver dans le Nord des Etats-Unis).

Puis j’avais lu American Darling, annoncé comme un brillant volume mêlant aventures africaines, critique sociale, écologie… Le roman commençait de manière efficace, puis se perdait dans une intrigue complètement effilochée, sans réel fil conducteur. Qu’est-ce que l’auteur avait voulu dire ? Que cherchait-il exactement à prouver sinon qu’il était capable d’écrire cinq cents pages à propos d’un thème (très vague) susceptible d’intéresser Hollywood ?

Russel Banks a fini par vendre effectivement son livre aux scénaristes, mais il me semble être devenu une sorte de mondain international, défendant la cause des écrivains sans plus se soucier lui-même d’écrire de très bon livres. Je m’en moque, après tout, qu’il préside je ne sais quelle fondation. Je me moque aussi du fait qu’il écrive au kilomètre une prose honorable mais finalement déliée, trop déliée.

(Son dernier roman en date, Souvenir lointain de la peau, racontant l’histoire d’un jeune homme à la sexualité troublée, me tente beaucoup, malgré tout).

Autre auteur manifestement surestimé : Richard Ford, dont j’avais lu Independance sans comprendre le succès de ce roman interminable, à l’argument très maigre (un agent immobilier, dont nous allons suivre la carrière heure par heure, cherche à se réconcilier avec son fils). Sans doute l’épaisseur du roman a-t-elle joué pour sa gloire, ainsi que son titre annonçant une radiographie de l’Amérique – mais quel roman ne propose-t-il pas, aujourd’hui, de radiographier l’Amérique ?

Je commence à avoir des doutes, également, sur Thomas Pynchon, que j’ai longtemps tenu pour un génie avant de reconnaître que je ne comprenais rien, au fond, à ses romans. Et je ne suis pas sûr d’avoir éprouvé beaucoup de plaisir en les lisant… Faudrait-il que je lise un troisième de ses invraisemblables sommes romanesques ? Sans doute, sans doute…