La littérature sous caféine


lundi 28 mai 2012

Les billets de dix euros par terre

1) Je débouche sur un quai de la ligne 7bis, à 7 heures du matin, et je tombe sur un billet de dix euros traînant par terre. Je n'ose pas le ramasser, de peur que ce ne soit un canular ou qu'une personne ne me le réclame. Il y a deux ou trois autres voyageurs sur le quai, et personne ne semble ne me remarquer. Je me poste à deux mètres de là. Quelques instants plus tard, un autre client de la RATP arrive et remarque le billet. Comme moi, il s'arrête quelques secondes, se pose des questions, et s'éloigne.

Une minute plus tard arrive un troisième voyageur qui, lui, n'hésite pas, se baisse dès qu'il voit le billet et s'éloigne sans même vérifier si des gens l'ont observé.

2) Quelques jours plus tard, au café Le Buci à Saint-Germain, je sirote mon café au zinc. Un client fait tomber de sa poche un billet de dix euros en cherchant la monnaie dans sa poche. Un homme sur ma droite a vu comme moi le billet, il vérifie d'un rapide coup d'oeil si j'ai remarqué la même chose - et comme je fais l'indifférent, il pense que je n'ai rien vu. Il s'approche lentement de la personne qui est en train de régler son adition. Un moment, je pense qu'il va rendre le billet, mais il le ramasse et l'empoche prestement.

Quelques minutes plus tard, une cliente oublie son parapluie sur le comptoir. L'homme, toujours à son poste, joue alors les grands seigneurs, prend le parapluie, interpelle la femme et court lui rendre le parapluie.

3) Un bouquiniste dans le quartier de la Grande Mosquée. Je jette un oeil à son casier de livres d'occasion posté sur le trottoir. Je prends certains livres, dont je lis la quatrième de couverture avant de les reposer parmi les autres. Le propriétaire, un homme mûr au visage fatigué, aux cheveux blancs hirsutes, sort de sa boutique, l'air furibard, se poste à ma gauche et donne des coups de la paume pour réaligner parfaitement les livres. Il rentre dans sa boutique, je regarde quelques livres à nouveau, puis, indisposé, je m'éloigne.

Quelques secondes plus tard, regardant une façade, je me tourne vers le magasin et le propriétaire est à nouveau sorti. Il me fusille du regard. Je lui lance, agacé par cet air vengeur qu'il se donne: "Il y a un problème ?" Furieux, il en hurle presque: "Le problème, monsieur, c'est l'ordre!" Je comprends que j'ai dû mal replacer quelques livres à deux euros sur l'étal plus que modeste. Je m'éloigne en haussant les épaules.

vendredi 18 mai 2012

Ça chauffe au zinc !

1) Au bistrot Le cavalier bleu, près de Beaubourg, je m’installe avec gourmandise au zinc pour déployer le Parisien devant un bon café – meilleur moment de la journée ? A côté de moi, j’importune manifestement un petit vieux, déjà bien aviné, qui grommelle dans son coin. Je tourne les pages, il parle de plus en plus fort et se met à tourner autour de moi. Bientôt, il n’en peut plus : « C’est pas possible de voir ça ! Vous prenez toute la place, vous n’en avez rien à foutre des autres ! Je pourrais être votre père, jeune homme ! Qui vous a éduqué ? Vous en avez des sales manières ! » Et d’autres phrases que j’ai du mal à comprendre. Surpris par son agressivité, je me permets de lui répondre : « Ne me parlez pas sur ce ton-là. » Ma réponse le met hors de lui, il finit par sortir du bar en s’exclamant : « Connard ! Petit con de mes deux ! »

2) Dans un bistrot de Saint-Germain, je m’installe au zinc quand une femme au physique très commun, la quarantaine passée, se campe à côté de moi pour apostropher le serveur qui vient de lui demander si elle allait bien : « Bah oui, ça va ! Pourquoi ça n’irait pas ? Je suis jeune et belle, non ? » Sourire insistant de la femme, rires gênés du serveur. Puis le visage de la femme se ferme… « Non, ça ne va pas, en fait. Ça ne va pas du tout… (Presque en colère). Vous me servez un demi ? »

3) Dans le même bar, un serveur d’origine indienne observe, rêveur, les fesses d’une cliente qui fume une cigarette sur le seuil… Puis il se tourne vers moi, le regard véritablement haineux quand il me voit mettre Le Monde dans mon sac – il doit croire que j’emporte le journal appartenant au bistrot. J’ai pourtant bien acheté cet exemplaire deux heures plus tôt, mais j’ai la flemme de me justifier. Je quitte les lieux.

vendredi 11 mai 2012

Ville culturelle, Deauville

1) Office du tourisme de Deauville, tout en faux marbre et colonnes blanches. Un couple d'âge mûr - déjà bien avancé dans la retraite - entre avec éclat : "Dites, vous savez où nous pourrions trouver des sous-vêtements ? C'est urgent ! Enfin, des sous-vêtements normaux, quoi... Je veux dire, pas trop chers..."

2) Dans ce même office du tourisme, je demande à la personne de l'accueil où je pourrais trouver une librairie. "Alors il y en a deux est la plus grande ? - Oh, vous savez, moi je ne vais pas en librairie." J'ai beaucoup aimé cette expression, "en librairie", dite sur un ton précieux, vaguement écoeuré.

3) Je commande un café au Normandy - je n'ai pas trouvé grand-chose à faire à Deauville en ce samedi pluvieux. je dis merci quand on me sert le café, merci quand on me sert un verre d'eau... "Si vous me dîtes merci chaque fois que je vous sers quelque chose, on ne va pas s'en sortir !" Il reste en effet un pot à sucres, un petit plat à biscuits... Sans parler de la note, présentée dans un timbale argentée, et que je n'ai pas d'empressement particulier à connaître.

jeudi 3 mai 2012

On a de l'humour, à Trouville-sur-Mer



1) Au musée de Trouville, le rez-de-chaussée est consacré à l’exposition de photos de femmes nues « métamorphosées » (c’est le terme approprié) par la superposition de motifs tirés d’un tableau de Dali. Au premier étage, exposition d’objets religieux ayant appartenu aux paroisses locales. Une succession de trois cadres présente des peintures sur bois, à l’exception du troisième où l’on ne voit qu’un fond de carton blanc. Un titre est précisé, puis : « Œuvre disparue ».

2) Au zinc d’un bistrot de Trouville, conversation très animée à propos de la présidentielle : « Ici, Sarko a fait plus de cinquante pour cent… Elu dès le premier tour ! – Regarde la photo d’Hollande en une, là. Il est pas beau ? – Arrête, ça va me donner des boutons ! – Il a pas de tics, lui, au moins. – Ouais, mais il est tellement plus con. – Allez, te fais pas du mal pour rien. Va plutôt voir le festival de cerfs-volants sur la plage, ça commence aujourd’hui. – Eh, Bebert, tu sais ce qu’il dit ? Il dit que t’as le « cerveau lent » ! – Ah ah, très drôle. »

3) Devant un étal de poissonnier, sur le marché de Trouville. « Du poisson, Madame ? – Oh non, mon mari n’est pas là, c’est lui qui est en charge du poisson. – Si Monsieur n’est pas là, je suis disponible, moi. – Ah ah ! Qu’est-ce que je ferais de deux maris, moi ? J’ai déjà suffisamment de galères avec un. » La poissonnière intervient : « J’ai le même problème, Madame… »

vendredi 27 avril 2012

Comment parler à un automate ? / Automate, un métier dangereux



Un type vaseux (Alcoolisé ? Sous shit ?), trentaine un peu lourde, t-shirt informe et jean sale, s’approche d’un homme qui joue les automates, dans une rue piétonne près des Halles : ce dernier porte un costume cartonné, un masque et un chapeau, l’ensemble entièrement doré. Quand on glisse une pièce dans le tronc placé devant lui, il s’agite et tend la main vers le généreux donateur avec force sifflements et bruits festifs.

Le type vaseux titube dans sa direction, glisse un petit bout de papier dans le tronc et attend que l’automate s’anime. Mais ce dernier refuse, sans doute parce qu’il estime qu’un bout de papier ne vaut pas une pièce. Alors le type s’agace, se met en colère : « Vas-y, bouge ! » L’autre lui demande de circuler, le type bombe le torse, prononce quelques phrases agressives.

Alors l’automate, petit homme trapu, descend de son piédestal, soupire, retire son masque et son chapeau. Il fait deux têtes de moins que l’agresseur, paraît à la fois fébrile et contrarié, et demande au type de partir. On voit bien qu’il a peur de recevoir un coup de poing. Quelques passants s’arrêtent, observant le spectacle, mais personne ne s’interpose – moi-même je suis médusé par la scène, prêt cependant à intervenir si les coups fusent.

Le type vaseux finit par s’éloigner, non sans proférer des insultes : « Bande de bâtards, fils de pute ! Je vais tous vous saigner, bande de chiens ! » L’automate est nerveux, n’a plus le cœur à remettre son masque d’or. Il range ses affaires dans le piédestal de faux marbre qui se révèle être un savant coffre avec maintes affaires. Je pensais que l’altercation lui vaudrait des témoignages de soutien, quelques menue monnaie supplémentaire, mais tout le monde a déjà repris son chemin. Je dépose une petite pièce.

lundi 16 avril 2012

Souhaiter un anniversaire avec huit mois de retard

1) J’appelle un ami : « Je te souhaite ton anniversaire un peu tard… On est déjà en avril, je ne sais plus quel jour exactement était ton anniversaire en mars, mais j’ai bien pensé à toi. – C’est gentil de ta part, il ne fallait pas t’en faire. C’était en juillet, de toutes façons… »

2) Un groupe d'une vingtaine d'année. L'une des étudiantes: "Putain, le thème était bien, le questions éthiques, mais le sujet qu'elle m'a filé c'est trop naze, les élevages porcins, c'est quoi ça ? Putain elle me casse les couilles cette connasse, fait chier, j'en ai rien à foutre moi des élevages porcins... C'est quoi le rapport avec les questions d'éthique ? Dix pages, putain, sur les élèvages porcins... Va trouver une problématique, toi !"

3) Je reçois régulièrement des mails de Priceminister me félicitant pour le nombre d’achats et de ventes que je réalise sur leur site. « Nous vous remercions », m’écrivent-ils. « Vous êtes un vendeur en or ». « Grâce à vous, un nombre records de livres sont échangés sur notre site », etc… Chose curieuse, ça doit être une des très rares entreprises à ne jamais avoir l’idée de remercier leurs clients fidèles par autre chose que des mots de félicitations.

mardi 27 mars 2012

Festival de conversations rock'n roll chez Pomme de Pain

Sur la terrasse ensoleillée d'un Pomme de Pain, boulevard Saint-Michel :

1) Un homme en colère, au téléphone :

« Ta sœur Huguette, c’est une merde… De toute façon, c’est de la merde, ces gens-là. T’entends ? Faut même pas essayer de leur parler. Faut pas chercher à les comprendre. Ça sert à rien. Rien que de la merde, je te dis… »

2) Une femme vient de recevoir un coup de fil et déclare à la personne en face d’elle :

« Elle est décédée à 16h… Elle m’a dit tout à l’heure : « Reste, je vais mourir. » Bon, je ne vais pas culpabiliser, hein ? Ça ne sert à rien… Je ne pouvais pas rester jusqu’à seize heures… »

3) Un homme souffrant manifestement de solitude, précocement vieilli et ruminant des choses à peine audibles, vocifère à quelques centimètres du visage d’une serveuse d’Europe de l’Est, qui ne sait plus quoi lui répondre :

« Vingt ans que je viens ici ! J’ai bien remarqué que vous me faisiez payer plus cher… Hein, pourquoi vous me faites payer plus cher ? Pourquoi vous ne me rendez pas toute ma monnaie ? Vingt ans que je viens ici, je vous dis. J’ai bien remarqué !
– Au revoir, Monsieur. Au revoir. »

L’effet du printemps ?

mardi 20 mars 2012

Ne jamais prêter à quelqu'un qui joue

1) Dans un bistrot de la rue de Belleville, à dix heures du matin, le patron en grande conversation avec un client, au zinc, tous les deux sirotant un verre de vin rouge :

« Faut jamais prêter à quelqu’un qui joue ! Jamais il te rendra ton argent, ça c’est sûr… A la rigueur, je préfère prêter à quelqu’un qui boit. Tu auras plus de chance de revoir ton argent. »

Plus tard dans la conversation :

« Avec l’alcool, faut savoir s’arrêter. Bon, j’aime bien boire un peu, mais l’essentiel, c’est de savoir s’arrêter. – Le pire, c’est le vin blanc. Un petit verre ça fait pas de mal, mais après ça attaque. Ça fait vraiment du mal. – Je te le dis, faut savoir s’arrêter ! Faut pas boire toute la journée quand même ! »

2) Je commence chaque cours (quel que soit le niveau des étudiants) par l’étude d’un « mot du jour », et jamais aucun mot n’a provoqué autant d’hilarité que « rasséréner », devant des étudiants en BTS Communication. Parmi les hurlements de rire (le climat printanier devait y être pour beaucoup), j'entends :

« Wouah, Monsieur, vous imaginez vraiment qu’on utilisera un jour ce mot ? Rassénénérer je sais pas quoi… Ça existe ce mot ? Vous voulez nous faire croire que des gens l’utilisent ? »