La littérature sous caféine


mercredi 11 juillet 2007

Vivre selon la contradiction



Je ne sais plus quel est l’auteur de cette magnifique formule, « vivre selon la nuance » (à propos de sa pratique de l’écriture), mais je me reconnais si bien dans ces quelques mots (du moins j’aimerais tendre vers l’idéal qu’ils dessinent) qu’il faudrait que je retrouve son nom.

Je pourrais d’ailleurs apporter ma propre nuance à cette formule et préciser que je suis souvent à la recherche d’une nuance si nuancée qu’elle devient paradoxale.

Je suis moi-même victime d’une contradiction majeure : d’une part j’ai tendance à vouloir déceler chez les gens leurs contradictions pour m’en agacer (les contradictions les plus flagrantes sont très souvent de nature politique, beaucoup de gens n’ayant pas les comportements correspondant à leurs idées), d’autre part j’aime en littérature que l’écrivain bouscule les idées reçues jusqu’à flirter avec le paradoxe.

(Rappelons au passage que Freud et Lacan aimaient souligner qu’il est absurde de s’offusquer des contradictions).

lundi 9 juillet 2007

Fais pas ton Musulman !



(Photo : ambiance cool sur l'île de Gorée)

Une grande et belle Black dans le métro, au téléphone :

« J’te jure ! Mon frère il fait trop son rebeu ! Il me sort des trucs du genre : « Sors pas habillé comme ça ! Si tu restes comme ça tu montes pas avec moi dans le RER ! » Tu sais moi je lui ai dit « Je m’habille comme je veux putain, on est des Antillais nous pas des rebeus alors arrête de faire ton musulman ! Si ça te plaît pas que je m’habille comme ça je monte dans l’autre wagon, tu vois, direct ! » »

« En plus mon frère il arrête pas de me taper des clopes ! Juré c’est lui qui taffe mais il a jamais de clopes, il est là, il vient sucer sa sœur, juré, on dirait que je suis sa banque, tu vois ? Il a pris un abonnement, juré, un forfait illimité ! »

La fille veut sortir du métro. Une autre fille lui bloque le passage et n’a pas l’idée d’ouvrir la porte :

« Putain elle est sérieuse elle ! »

(Pour les amateurs, signalons la sortie en juillet du nouvel album de Prince, Planet Earth, dont le premier single s'intitule Guitar (ci-dessous). C'est pêchu, bien ciselé, mais on a décidément l'impression que Prince cherche à plaire à tout prix depuis trois albums et que cela donne des choses plus lisses, plus superficielles, à des années lumières des sursauts douloureux de génie décelables dans des albums comme Sign'O The Times)

lundi 2 juillet 2007

Murakami par temps froid (Murakami / Dylan)



Vous aurez sans doute remarqué que la densité des émotions esthétiques dépend en grande partie des conditions physiologiques dans lesquelles nous nous trouvons. Pour ma part j’ai souvent noté qu’un léger refroidissement de l’air favorisait mes frissons artistiques (dans une salle de ciné, dans un musée, dans la rue…). Par exemple il devait faire assez frisquet lorsque je suis tombé sur ce beau paragraphe du roman de Haruki Murakami, Au Sud de la Frontière, à l’Ouest du Soleil :

« Notre monde est comme ça. Quand il pleut, les fleurs poussent, et quand il ne pleut pas, elles fanent. Les lézards mangent les insectes, et sont mangés par les rapaces. Mais tous finissent par mourir et se dessécher. Une génération disparaît, une autre prend sa place. C’est une règle absolue. Il y a différentes façons de vivre, et différences façons de mourir. Mais c’est sans importance. La seule chose qui reste en fin de compte, c’est le désert. » (p85)

Comme dans tout bon Murakami, j’aurai trouvé dans celui-ci : une intrigue assez flottante, des personnages qui ne savent pas vraiment où ils vont, un mystère à résoudre (et qui n’est pas résolu à la fin), surtout de longs dialogues évasifs, ponctués de passages plus denses – les plus allégoriques, et les plus réussis.

(A propos de conditions physiologiques, j’oubliais de préciser qu’en bon caféinomane je ne pouvais me passer de deux ou trois tasses de café pour sérieusement me mettre les idées en place, et que je venais naturellement de tomber amoureux de la chanson de Bob Dylan, One more cup of Coffee, dont je vous glisse ci-dessus la vidéo-live (même si dylan ne change pas très juste dans cette version)).

samedi 16 juin 2007

Ce soir, l'hécatombe



Si je fais le bilan de ma saison théâtrale 2006-2007, du point de vue du nombre de morts, cela donne :

- Hedda Gabler, d’Ibsen : un suicide + un suicide déguisé en rixe
- Trois sœurs, de Tchekhov : un suicide déguisé en duel
- Platonov, de Tchekhov : quelques morts, dont un suicide (si mes souvenirs sont bons)
- Naître, d’Edward Bond : plusieurs morts par balle + une scène de charnier + le massacre du corps d’un enfant
- Psychose, de Sarah Kane : un suicide

Il n’y a que la pièce de Thomas Bernhard, Au But, qui n’ait pas mis en scène de mort violente, encore que l’épouse parle longuement de l’agonie de son mari et qu’il s’agisse beaucoup de désespoir et de dégoût.

Comment justifier une telle hécatombe ? Sans doute la bonne vieille catharsis d’Aristote (il faudrait d’ailleurs faire des sondages, tiens, pour savoir si les spectateurs se sentent purgés à la sortie d’une pièce…), sans doute aussi le fait qu’on présente sur scène des raccourcis de nos destins et qu’il est donc inévitable d’aborder la question de la mort… Mais que la mort prenne si souvent sur scène la forme du suicide ? Peut-être une question de maîtrise de soi, donc aussi de sa fin...

lundi 11 juin 2007

Cour des miracles à Montreuil (Semoun / Jamiroquai / Miller)



A Montreuil j’ai finalement trouvé le bistrot dans lequel je vais prendre un café chaque fois que mon emploi du temps m’en laisse le loisir : c'est une véritable cours des miracles tenue par des Chinois et fréquentée par une majorité de femmes mûres, marquées par l’alcool et le désoeuvrement. Celles-ci compensent leur misère physique par une surprenante énergie gouailleuse (j’ai d’ailleurs compris, tout à coup, où l’inénarrable Elie Semoun puisait une bonne partie de son inspiration)

L’une de ces femmes s’est arrêtée de parler, médusée, quand elle a vu entrer dans le bar un fringant trentenaire en costard, coupe branchée sur des pompes rutilantes, arborant l’une de ses incroyables paires de lunettes auxquelles j’ai régulièrement fait référence sur ce blog.

Cette femme s’est montrée très sincèrement consternée par le spectacle de ces lunettes et n’a pas pu se retenir de s’exclamer :

« Ouah, les lunettes de soleil lunaires !... »

Le plus drôle est que je venais de flasher, vingt minutes plus tôt, sur de magnifiques paires Hugo Boss à 250 Euros et je me suis dit que cette charmante femme, cheveux gras et justaucorps jauni, m’aurait trouvé tout simplement affligeant si j’étais entré devant elle avec ces lunettes au nez.

Pour donner d’ailleurs une idée de l’effet de ces lunettes sur la cliente de ce bar, rien de mieux que ce clip de Jamiroquai, illustrant un excellent titre parmi les tout premiers, mais dans lequel le fringant Jay Kay ne paraissait pas conscient du ridicule absolu de ces verres disproportionnés :



Enfin, pour la touche littéraire, je relisais ce jour-là l’excellente page de conclusion de Plexus, l’un des chefs-d’œuvre de cet auteur viril par excellence qu’est Henry Miller : « La souffrance est inutile. Mais l’on doit souffrir avant de pouvoir comprendre qu’il en est ainsi. C’est alors seulement, de surcroît, que la vraie signification de la souffrance humaine devient claire. Au dernier moment désespéré – lorsqu’on ne peut plus souffrir ! – quelque chose advient qui tient du miracle. La grande plaie ouverte qui drainait le sang de la vie se referme, l’organisme fleurit comme une rose. On est enfin « libre » et non pas « avec la nostalgie de la Russie » mais avec la nostalgie de toujours plus de liberté, toujours plus de félicité. L’arbre de la vie est maintenu vivant non par les larmes mais par la certitude que la liberté est réelle et éternelle. »

mardi 5 juin 2007

Premier pas vers la satire...

Week-end sur la plage havraise et je guette les répliques qui pourraient donner lieu, sous la plume de Jonathan Coe, à quelque page de franche satire :

Une mamie, à son caniche hurlant contre un chien qui vient en sens inverse :
« Tu dis bonjour, et tu te tais ! »

Une ostéopathe, à une cliente un peu surprise :
« Il faut que je vous dise, Madame. Vous êtes complètement coincée du cuir chevelu… »

mercredi 30 mai 2007

"C'est pas la vie..."



J’entends une femme à la table d’à côté, dans un café, murmurer à son amie au téléphone : « C’est pas la vie… C’est pas la vie… » Mon père avait l’habitude de nous répéter cette phrase lorsqu'il nous trouvait devant un film trop violent, sous-entendant peut-être que l’essentiel était ailleurs et qu’il fallait cultiver avant tout la tendresse et l’affection.

Plusieurs années plus tard, je me consacre paradoxalement à ce qu’il désignait comme « n’étant pas la vie… » (tout au moins, cet autre de la vie m’intéresse fortement).

Comment l’interpréter ? Pourquoi ce plaisir à lire infiniment, et à écrire, sur ce qui pose problème ?

Et j’en reviens toujours à Freud – avec mes propres mots : l’Art met en scène la douleur pour s’en guérir, et laisse affleurer en lui la pulsion de mort pour mieux la dompter… La fiction constituerait un réseau infiniment renouvelé de métaphores pour la sublimation de toutes nos douleurs et nos contradictions.

Affreuses banalités, n’est-ce pas ? Mais en littérature je persiste à croire qu’au fond tout est le plus souvent dramatiquement simple…

(Photo : La bien nommée Etoile de la Mort dans Star Wars...)

vendredi 30 mars 2007

Footing et romans de gare



Pour la première fois depuis quinze ans j’ai couru pendant 1 heure (3 tours du Parc des Buttes Chaumont à petites foulées, croisant toutes les vingt minutes les mêmes coureurs en sens inverse). Tout en me vidant la tête et le corps des tensions accumulées depuis des semaines, je réfléchissais aux vertus purgatives des romans « faciles » et je comparais l’efficacité de ma course à celle du livre de Douglas Kennedy, Les charmes discrets de la vie conjugale (Pocket, 2007). Je dévore en ce moment les 600 pages de ce best-seller mondial et je me régale de cette prose insipide, sans style, sans lourdeur non plus, parfaite pour vous happer et vous rendre plus serein.

Un moment l’auteur lance une pique à Thomas Pynchon : la narratrice tente de lire quelques pages et laisse très vite tomber. Difficile en effet d’imaginer deux littératures plus antagonistes que celles de Pynchon (dont le dernier roman fait sensation, semble-t-il, aux Etats-Unis en ce moment) et Douglas Kennedy. Mais je prends mon plaisir aux deux…