La littérature sous caféine


mardi 19 janvier 2021

Les écrivains-dictionnaire

Il y a des écrivains qui vous obligent à chercher le sens des mots, sous peine de manquer une dimension essentielle de leur œuvre. J’ai souvent noté sur la page de garde des romans de Colette certains termes dont je me promettais de chercher le sens, et que je me jurais même d’apprendre. Avec « La dernière harde » de Maurice Genevoix, merveilleux roman sur le monde des cervidés (sans doute, ce sont les horreurs de la guerre qui ont inspiré à l’auteur cette passion pour le monde animal), je découvre tellement de mots que j’ai décidé d’inaugurer avec eux un carnet, sobrement titré « Vocabulaire précis ». Je compte bien faire de ce carnet l’outil d’une progression vers une connaissance plus ample de la langue – un peu comme s’il s’agissait d’apprendre une langue nouvelle, toute bardée d’exotisme. Plaisir de spécialiste, plaisir de lecteur, plaisir d’amateur de littérature plaçant une partie de sa délectation non plus seulement dans les qualités du livre mais dans les progrès qu’il lui permet d’effectuer en termes d’érudition.

mercredi 30 décembre 2020

En décembre...

... je me suis attaché à la figure de Marcel Aymé / J’ai découvert une nouvelle pépite du White trash avec Harry Crews / Grâce à Jean-Louis Costes, j’ai réalisé qu’il existait de véritables punks français / Je me suis lassé du génial Dumas avec son interminable Comte de Monte-Cristo / J’ai parfois quitté les plages glacées de la musique classique pour la convivialité des podcasts littéraires de Richard Gaitet / Je me suis rappelé comme Tom Cruise était doué pour jouer les connards infatués comme dans Vanilla Sky / J’ai dû renoncer au ciné-club en dépit du cadre idéal que représente le couvre-feux pour la série Tchernobyl / J’ai découvert en César Franck un sorte de petit Beethoven à la française / J’ai tardivement écouté le rock viril de Pearl Jam / Je me suis laissé impressionner par la succession de chapitres forts en gueule de La Maison d’Emma Becker.

mardi 1 décembre 2020

Enviez les pères de famille, ils ont le droit de régresser !

L’un des plaisirs d’avoir des enfants, c’est de pouvoir consommer EN TOUTE BONNE CONSCIENCE non seulement des pans entiers de littérature jeunesse – ceux que l’on connaissait déjà, mais d’autres que l’on découvre, comme l’étonnamment réussi « Monde de Narnia » – mais aussi des films de divertissement familial par véritables séries, comme les classiques Disney (que je peux prétendre avoir maintenant vus dans leur intégralité), les films de superhéros, ou ces films d’aventures dont les années 80 et 90 semblaient avoir le secret, dans le sillage de Spielberg, Howard ou Zemeckis – une formule assez magique dont nous avons semble-t-il perdu la formule et dont les « Goonies » (Richard Donner), me paraît être un merveilleux archétype. Dans quelques années, je poursuivrai mon chemin renouvelé dans la culture bis par une resucée de films d’horreur, de westerns spaghettis et d’humour potache.

mardi 24 novembre 2020

Le frenchbashing se porte bien



La page honteuse d’Obama sur Sarkozy – le portrait, plutôt juste au demeurant, surprend par sa férocité sous la plume d’un dirigeant adulé pour son humanisme et son sourire ravageur – est venue là pour nous rappeler que les Américains n’aiment rien tant que mépriser les Français, une fois passées les timides sursauts d’admiration.

Deux exemples récents tirés de ma consommation culturelle.

Dans le jeu vidéo Red Dead Redemption 2 (2018), chef-d’œuvre du studio Rockstar, les héros de ce western crépusculaire sont tour à tour des Cubains, des Indiens, des Afro-Américains, des bandits blancs de grand chemin, affrontant des hordes de rednecks irrécupérables et d’esclavagistes. Mais les pires des personnages sont des Italiens, décrits comme jouisseurs et cruels, et surtout des Français, décadents et cachant derrière leur discours droit-de-l’hommistes une manie persistante pour l’esclavage. Curieux comme dans une époque condamnant toute forme de racisme persiste un certain droit décomplexé à la xénophobie !

Ensuite, dans l’opuscule anecdotique de Mark Twain, « Cette maudite race humaine », Mark Twain dont j’aime tellement les romans, on trouve une réflexion certes amusante sur les animaux dont les qualités valent bien celle des hommes (Montaigne disait la même chose, en mieux), mais qui se conclut par un sens très surprenant de la hiérarchisation des espèces : les hommes se trouveraient à un rang inférieur à celui des bêtes, et plus bas qu’eux encore se situeraient les Français… Je suppose que cela faisait glousser d’aise le public nombreux qui se rendait aux conférences de Twain, mais j’ai toujours eu du mal à comprendre l’origine précise de cette sorte de dégoût que les Français semblent inspirer.

Bien sûr, il va sans dire que les Français rendent bien aux Américains cette oscillation presque folle entre admiration et mépris.

mercredi 18 novembre 2020

En octobre...

En octobre, j’ai pleuré Samuel Paty / J’ai purgé ma colère dans quelques tribunes / J’ai rattrapé chez Ruquier mon précédent ratage chez Taddéi / J’ai regardé les films de Xavier Dolan comme autant de documentaires sur le Québec / J’ai découvert chez Paolo Sorrentino la même ambition plastique que chez David Lynch / J’ai goûté les romans vigoureux de Virginia Bart, la plume facétieuse d’Olivier Liron / J’ai découvert qu’il existait un courant post-punk revival avec le groupe Interpol / Je me suis gavé de navets testostéronés comme Fast and Furious / Je me suis rattrapé avec les pages distinguées de Ramuz, les atmosphères ombreuses de Pelléas et Mélisande, la prose roborative de Taine.

lundi 12 octobre 2020

En septembre...

... j’ai lu Charlie Hebdo, journal satirique embourbé dans la tragédie / J’ai persévéré dans l’écoute d’Olivier Messiaen sans en récolter tous les fruits / J’ai découvert les films de Xavier Dolan, dont j’ai goûté la passion / J’ai dévoré plusieurs romans de la rentrée littéraire pour y piocher de beaux chapitres / J’ai renoncé dès les premières minutes à comprendre Tenet et ça ne m’a pas gâché le film / Je me suis laissé bercer par le rock savant de Grateful Dead / J’ai complété mon rayon « romans d’aventures » par l’œuvre délicate et vigoureuse de Jack London /J’ai redécouvert Nietzsche dont l’esprit taquin me paraît faire pièce à l’époque / J’ai appréhendé la rentrée des classes avec masque mais, comme à peu près tout le monde, j’ai fini par m’y faire

lundi 7 septembre 2020

En juin-juillet...

... J’ai découvert avec « Né d’aucune femme » de Franck Bouysse qu’on pouvait encore aujourd’hui écrire des romans gothiques / J’ai été heureux d’apprendre que Michel Legrand avait composé un disque pour Sarah Vaughan / J’ai comparé les premiers films de Truffaut et de Demy et force est de reconnaître que le second l’emporte haut la main / J’ai réalisé que Pierre Jourde avait écrit un livre dont je mûrissais précisément le projet, « La littérature monstre » / Je me suis remis à lire de la belle critique littéraire comme au temps de mon agrégation avec Marc Fumaroli ou Patrick Dandrey / J’ai visité quelques châteaux de la Loire en buvant du Saumur-Champigny

lundi 24 août 2020

Le scrupule à jeter des livres

Il faut bien se résoudre à se débarrasser de quelques volumes, sans quoi notre vie s’écroulerait sur elle-même – à moins que nous nous résolvions à entretenir une bibliothèque labyrinthique à la Umberto Eco. Je me suis donc juré de jeter les livres que j’estimerais vraiment mauvais, ou inutiles – mais qu’est-ce qu’un livre inutile ? Voyant le gros volume du « Journal » de Michel Polac (PUF, 2000), je me suis dit qu’il s’agissait d’un excellent candidat à la suppression : un auteur surtout connu pour son travail de chroniqueur, et dont le journal a davantage fait parler de lui pour sa misanthropie que pour ses qualités de style – ainsi que pour une page restée fameuse, la 147, où l’auteur avouait sans gêne quelques coucheries pédophiles. Hélas, le feuilletant dans l’espoir d’éteindre mes derniers scrupules, je suis tombé sur un nombre suffisant de bons paragraphes – des scènes de sexe, des sursauts de désespoir, des portraits de vitriol – pour me résoudre à garder le volume. Quand donc trouverai-je le courage de trancher dans le vif ?