La littérature sous caféine


mardi 17 mai 2011

Violences faites aux femmes : le déni ? (Viol en littérature et affaire DSK)


J.F Kahn : imprudence ou viol de DSK par pensetouseul

L'affaire DSK me paraît assez révélatrice du traitement que la société française réserve, en général, au thème du viol. Cela fait quelques années maintenant que je me penche sur la question, notamment par le biais de la fiction. Azima la rouge et Suicide Girls en traitaient de manière très instinctive, sans élaborer de théorie ni faire de morale. Il s'agissait de réfléchir à la notion de traumatisme, le viol représentant une sorte d'archétype de toutes les violences possibles. Et j'ai souvent été frappé par le mouvement de répulsion que provoquait ce genre de littérature : "Pourquoi donc écrire là-dessus ? / Le thème ne m'intéresse pas ! / Ecris donc des choses joyeuses ! / Nous n'avons pas envie de publier des articles sur un livre de cette catégorie-là."

J'étais surtout surpris de remarquer ces réactions chez des femmes, en majorité, alors que je m'étais attendu à ce qu'elles constituent un public privilégié. Les rares qui ont lu et aimé Suicide Girls m'ont semblé être des personnes qui avaient été touchées, de près ou de loin, par de telles choses, ou qui s'y étaient déjà intéressées. Et je me suis souvent donné l'impression d'être moi-même plus féministe que la plupart des femmes dans la mesure où j'éprouvais davantage de compassion, davantage de révolte face à la réalité d'une certaine condition féminine.

(On peut imaginer, bien sûr, des hypothèses à ce mouvement de répulsion : sujet sensible entre tous, fatalisme, caractère insupportable de certains faits que l'on sait pouvoir nous concerner...)

C'est le même genre de mouvement que je crois pouvoir observer dans l'affaire DSK. Sans vouloir bien sûr préjuger de la suite des événements, il est d'ores et déjà frappant de voir combien la question de la victime est évacuée. On ne la voit pas, mais surtout on ne veut sans doute pas la voir. Le vrai traumatisme, pour l'opinion publique et la classe politique, c'est de se rendre compte qu'il existait peut-être une autre réalité derrière la façade prestigieuse. Cela dérange tous les plans. Il est tellement plus facile, tellement plus confortable de s'en tenir à ce que l'on croyait être la réalité de DSK ! On hésite entre reconnaître la souffrance de la victime et préserver sa jolie vision des choses. Mais on n'hésite pas longtemps, en fait. A moins que les faits nous obligent un jour, par leur étalage éclatant sur la voie publique, à reconsidérer le paysage.

(Non pas que le public et la classe politique refusent de voir une réalité dont nous ne savons même pas encore si elle existe... Mais ils souffrent d'avance à l'idée qu'une réalité de cet ordre puisse éclater).

mercredi 11 mai 2011

Paris, ville sale / Naples, ville hallucinante



Je ne résiste pas à l'envie de mettre en ligne quelques photos des trottoirs du 20ème arrondissement à Paris (aux alentours de Jourdain, sur les hauteurs de Belleville, le long de la rue de Belleville). Cela fait plusieurs années maintenant que j'y habite, et je trouve que la saleté de ses trottoirs atteint maintenant des seuils franchement répugnants (du moins, le long de certaines rues)... La faute aux parisiens ? La faute aux services publics ? La faute aux commerçants, qui n'ont pas l'idée de balayer devant chez eux ? Sans doute un peu des trois, mais ce détail apparemment sans importance me donne vraiment envie de déménager...

Petit débat à ce propos sur ce lien-ci.



Je ne résiste pas non plus à l'envie de citer ici Malaparte, dont je dévore en ce moment l'hallucinante Peau (hallucinante au sens propre du terme puisque de nombreuses scènes, dans le Naples de 1943 libéré par les alliés, ne relèvent manifestement plus du réalisme) et dont l'atmosphère de joyeuse fin du monde, de honte généralisée, de dépravation débridée, rend dérisoire par contraste la misère grise de mes trottoirs bien quotidiens.

Quel livre ! Prose puissante et classique (limpide et relativement linéaire) mais furieusement moderne par ses envies de provocation (les soldats noirs décrits comme victimes consentantes d'un véritable esclavage sexuel) et par ses visions extatiques d'une Naples livrée à une étrange peste (mélange de rages meurtrières et sexuelles).

C'est du Céline avec moins d'effets, du Bataille avec plus de romanesque (on y trouve le même goût pour les paradoxes sur le thème de la honte et de la salissure), du Moravia avec moins de retenue...

Exemple, avec ce portrait de cyniques homosexuels, séduisant les plus miséreux de Naples (édition Folio, page 126) :

"Parmi ces malheureux, les nobles Narcisse essayaient de racoler quelques nouvelles recrues pour leur fairy band, croyant faire un grand exploit, ou qui sait quel acte intrépide ou astucieux, en essayant de corrompre ces jeunes privés de toit et de pain, abrutis par le désespoir. C'était peut-être leur aspect sauvage, leur barbe hirsute, leurs yeux brillants de fièvre et d'insomnie, leurs vêtements en lambeaux, qui éveillaient chez les nobles Narcisses d'étranges désirs et des concupiscences raffinées. Peut-être l'angoisse et la misère de ces malheureux étaient-elles justement cet élément "souffrance" qui manquait à leur esthétique marxiste ? La souffrance d'autrui, il faut bien qu'elle serve à quelque chose."

vendredi 18 mars 2011

Japon : les marques ostentatoires du spectacle


Tsunami au Japon : des dégâts considérables par BFMTV

Je suis très touché par ce qu’il se passe au Japon. J’ai vécu quinze mois à Tokyo et je me suis toujours senti très proche du peuple nippon. Les images que nous voyons défiler en ce moment dépassent en horreur tout ce que nous avons pu voir en la matière, et je ne suis pas gêné par le fait que les médias les aient complaisamment étalées.

En revanche, je trouve ridicules, grossières et même insultantes ce qu’on pourrait appeler les « marques ostentatoires de mise-en-scène », tous ces petits signes accompagnant la présentation de l’information pour la rendre plus ludique. Je pense à deux choses :

- Tout d’abord, un sigle symbolisant l’énergie nucléaire apparaissant à côté d’un message « Risque nucléaire » plastronnant sur les chaînes d’information continue. Cela fait vraiment mauvais remake de film catastrophe – on dirait que les chaînes s’adressent à des enfants ou à des attardés mentaux.

- Je suis très surpris par une double page du journal Le Monde daté du 15 mars, double page dans laquelle sont présentées de grandes images de la catastrophe, agrémentées de deux encarts publicitaires, en bas, à gauche et à droite. L’encart de droite est une publicité pour Canal Plus montrant une image floutée de film pornographique (avec le slogan : « Des grands débats. »). Quelques centimètres à gauche, on voit le cadavre d’un vieillard japonais… Je ne suis vraiment pas du genre bégueule, mais je me demande tout de même s’il s’agit vraiment ici d’une maladresse. De la part d’un autre journal que Le Monde, on aurait pu considérer la juxtaposition comme une insupportable provocation. Je suis rarement choqué par les complaisances, les exagérations, les dérapages ou les bourdes de la presse – affligé, tout au plus. Là, j’ai vraiment ressenti de l’indignation.

(Et puis, l'indignation s'estompe quelque peu...)

(Et puis, les raisons de s'indigner, même, ne paraissent plus si évidentes...)

lundi 6 décembre 2010

Droits numériques pour les écrivains : 50%, c'est possible ?

En ce moment, une affaire passionnante secoue le petit monde de l’édition : Flammarion cherche à contrer l’internaute qui souhaite diffuser le texte de Houellebecq au prétexte que Houellebecq lui-même puise sans vergogne sur le fond de Wikipedia (un résumé de l’affaire ICI). C’est un argument d’une terrible mauvaise foi, me semble-t-il, dans la mesure où Wikipedia refuse précisément que les auteurs des articles soient identifiés, ce qui n’est pas le cas des romans publiés chez Flammarion. Je n’ai guère de doute sur l’issue du procès, s'il y en a un (j’imagine difficilement que Flammarion ne puisse gagner), mais je redeviens pessimiste vis-à-vis de l’avenir de la plupart des maisons d’édition françaises, sans parler des revenus des écrivains. A l’ère du tout numérique, comment empêcher que la plupart des textes ne circulent gratuitement ? Comment empêcher le même genre d’effondrement économique que celui de l’industrie du disque ? Je n’entends que des discours rassurants, mais je n’arrive pas à m’en laisser convaincre.

Un moment, je me disais que le chiffre d’affaire global du livre baisserait, mais que la part allouée aux auteurs augmenterait, dans le cas du livre numérique, dans la mesure où les intermédiaires (distributeurs, libraires) disparaîtraient en partie. Pour le dire plus crûment, la part qui reviendrait aux auteurs passerait, bon an mal an, d’une dizaine de pour-cent pour le « livre-papier » à une cinquantaine pour le livre numérique (ce qui s’est passé aux Etats-Unis).

Malgré sa logique et son bien-fondé, cette évolution reste en fait loin d’être acquise en France, comme en témoigne cet excellent article que je me permets de reproduire ici, signé par Paul Fournel, Cécile Guilbert, Hervé Le Tellier, Gérard Mordillat et Gilles Rozier dans l’édition du 2/12/2010 du Monde :

« Inéquitables droits du livre numérique

Nous tombons bien souvent d'accord, cher éditeur et ami, lorsque nous discutons littérature, mais je dois te parler ici d'une chose qui fâche : l'argent. En France, le sujet est tabou et le mot indécent dès qu'il ne s'agit pas d'un titre de Zola. C'est que je viens de recevoir ton "avenant au contrat" concernant les "droits numériques". Pour ceux qui viendraient à tomber sur notre échange (que je tiens à garder confidentiel), je précise que les droits numériques sont ceux que je perçois lorsque mon livre quitte le monde du papier pour celui de l'écran, et qu'il est lu sur un iPad ou un Kindle.

Interrogé, tu m'as répondu, rassurant, que ce marché est embryonnaire. C'est vrai. Mais qui peut présager de l'avenir ? Regarde l'univers du disque : il a laissé place en dix ans à celui, fort immatériel, de la musique. Bref, tu m'engages, en attendant d'y voir plus clair, à signer ce satané avenant où tu m'accordes 10 % du prix net du livre, comme sur le papier. Je vais donc devoir parler pourcentage. Pardonne-moi d'avance cette vulgarité.

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mardi 30 décembre 2008

Dé-bloguer



Il est temps je crois d'arrêter là ce blog - du moins de changer le rythme des billets : depuis plus de deux ans maintenant, je m'efforce de présenter deux ou trois billets par semaine, un oeil rivé sur les statistiques, et j'aimerais ne plus me soucier de délais. Je vais me contenter désormais de billets plus rares, seulement quand le désir m'en viendra, l'envie d'écrire sur un sujet précis.

J'ai envie de réfléchir, aussi, à un autre blog, anonyme celui-ci, pour me livrer à des expériences plus radicales (d'un point de vue artistique). Je vais me laisser quelques semaines pour aboutir à la forme qui conviendrait à mes envies de tâtonnement, dans un domaine qu'on pourrait définir comme "l'association poésie-photo".

Rapide bilan des deux années passées derrière cet écran : un début maladroit, à la fois trop théorique et parfois véhément (lié notamment au fait que je débutais en collège dans le 94, et que l'expérience m'a heurté). Cela m'a valu quelques solides inimitiés - fruit de malentendus, à mon humble avis : cela ne m'empêche pas de le regretter...

Puis une vitesse de croisière, qui s'est mise en place après la première année, et qui a atteint sa (modeste) apogée dans la première moitié de 2008, avec 250 visiteurs uniques quotidiens. J'ai beaucoup aimé pratiquer ce mélange de chroniques littéraires et de discrets billets d'humeur, ponctués de perles de mes cours de français. Je remercie au passage les quelques internautes qui auront régulièrement enrichi le site de leurs commentaires.

Il me reste à vous souhaiter une excellente année 2009, saturée d'expériences littéraires de toutes sortes !

(En vidéo, la bande-annonce du meilleur film de 2008 à mon goût, parmi les 70 environ que je suis allé voir : No Country For Old Men, des Frères Coen)

lundi 15 décembre 2008

L'art de la décharge explosive et continue (Prince / Easton Ellis)





J'aime établir des équivalences entre musique et littérature : y a-t-il par exemple un écrivain qui parvienne à donner sur papier la même sensation de folie millimétrée que Prince sur scène ? Ce qui est incroyable avec ce type (du moins dans la première partie de sa carrière...), c'est l'explosion d'énergie, de radicale démesure, dans chacune des minutes qu'il passe en concert... Les corps se contorsionnent, les mélodies fusent, les saxos gueulent, les cris ponctuent les solos de guitare, les danseuses se démênent dans ce qui ressemble fort à des bacchanales, des carnavals furieux où tous les codes sociaux volent en éclat...

C'est assez frappant dans la vidéo ci-dessus : la version live du tube Housequake, issu de son chef-d'oeuvre Sign'O The Times.

Faut-il chercher l'équivalent en littérature dans la catégorie des auteurs délirants, comme Palahniuk que nous avons récemment évoqué ? Je pense en fait plutôt à Bret Easton Ellis, quand il écrit des nouvelles... J'ai relu cet été son recueil Zombies (10/18), que j'avais pris sous le bras pour mon petit tour en Californie (toutes ces nouvelles se passent à Los Angeles), et j'ai été frappé par la force constante qui se dégage de chacune de ses pages, beaucoup plus que dans les oeuvres longues d'Easton Ellis d'ailleurs, comme le fameux American Psycho.

Tous les personnages de Zombies se droguent, se tuent, baisent, tombent en dépression, s'achètent des fringues, changent de bagnole, changent de pays, trimbalent partout leur mal-être. Easton Ellis en fait-il trop dans la déglingue ? Ce n'est pas trop grave : disons qu'il fait dans la métaphore... Je n'ai à peu près jamais connu d'autre auteur procurant cette sensation d'absolue vie, de recherche quasi-constante de ce que la vie peut offrir de plus excitant et de plus glacial à la fois...

"Bruce m'explique que tout est allé de travers depuis que Robert a quitté l'appartement qu'ils partageaient à l'intersection de la 56e Rue et de Park Avenue, pour aller descendre le Colorado en raft avec son beau-père, laissant son amie Lauren, qui vit aussi dans l'appart, en tête à tête avec Bruce mais je sais bien par quel genre de fille est séduit par Robert, des filles superbes et capables de faire semblant d'ignorer que Robert, à vingt-deux ans, pèse à peu près trois cents millions de dollars ; je m'imagine cette fille, Lauren, allongée sur le futon de Robert, la tête renversée en arrière, et Bruce, les yeux obstinément fermés, qui s'agite doucement au-dessus d'elle." (Extrait de Zombies, p 10, 10/18)

mercredi 10 décembre 2008

Courneuvication / Les déboires de l'écrivain sont-ils cools ?





Je dévore sur dailymotion et youtube tous les documents qu'on pourrait regrouper sous le terme générique de "faits de société" - documentaires, interviews, scènes filmées... La violence est omniprésente, évidemment, parce que c'est elle qui focalise l'attention de la plupart des internautes.

Dans le genre on trouve beaucoup d'interventions policières filmées (provenant de la télévision américaine) ainsi qu'un nombre assez remarquable de bavures policières (souvent françaises, cette fois-ci).

(Frappant d'ailleurs de constater comme le côté "cow-boy" de la police américaine, dont beaucoup de citoyens paraissent là-bas très fiers, est beaucoup moins accentué dans ce qu'on nous présente du travail de la police française. Peut-être parce qu'en France on aurait honte d'exposer cet aspect-là du métier...)

La vidéo ci-dessus a beaucoup circulé sur le net : on y voit des policiers tabasser un adolescent à La Courneuve, et je viens de me rendre compte qu'elle se passait exactement là où, chaque matin, me dépose le tram non loin de mon lycée.

Je me suis habitué au lieu, mais il faut reconnaître que la première fois que je suis arrivé dans le coin, j'ai été saisi par son côté sordide - que rend à merveille la terrible vidéo. Le travail au quotidien dans mon lycée n'est pas aussi déprimant, heureusement, mais j'aime compenser le caractère anxiogène de ces bouts de films par d'autres qui stylisent quelque peu nos galères quotidiennes.

Et quel meilleur bain de jouvence que l'excellente série Californication ? (La première saison est un chef-d'oeuvre, sauf peut-être la fin, truffée d'invraisemblances...) On y voit David Duchovny dans la peau d'un écrivain que sa femme vient de quitter, perdant l'inspiration, noyant ses chagrins dans l'alcool et le sexe... Le tout sur fond de soleil californien, truffé de répliques dignes des meilleurs Woody Allen, et mâtiné de noirceur et de cynisme à la Bukowski...

J'ai été très surpris qu'un écrivain puisse devenir une incarnation de la cool attitude dans une série américaine, et que cela nous donne, qui plus est, un résultat si réjouissant (Duchovny s'appelle d'ailleurs Hank Moody, dans la série : clin d'oeil au très bon Rick Moody, l'auteur de Ice Storm ?) Je vais regarder d'un autre oeil, à partir de maintenant, mes petits états d'âme d'écrivain qui se cherche...

vendredi 14 novembre 2008

Les écrivains sont des gens bien / On n'est pas là pour caresser les chats !



(Clip de la semaine : sublime chanson que ce I love you golden blue, titre crépusculaire pour le groupe Sonic Youth, qui signait avec cet avant-dernier album, Sonic Nurse, son album le plus mélodique et le plus délicieusement mélancolique... Le son Sonic Youth, on le retrouve quasiment à l'identique sur chaque album, mais il est tellement efficace...)

Hier matin, conversation échevelée près de la photocopieuse : une collègue de mon lycée de la Courneuve, par ailleurs poétesse émérite (je connaissais son nom, j'avais d'ailleurs plusieurs volumes d'elle dans le rayon que je consacre à la poésie), publiée chez P.O.L, m'a remonté le moral après le coup dur qui m'était arrivé la veille. Extrait :

- Je m'en sors pas ! Depuis deux ans, tout ce que j'entreprends est un échec ! Hier, ce renvoi d'un boulot qui me tenait à coeur, comme un malpropre... Et puis tous ces manuscrits qu'on me refuse, encore et toujours, mois après mois... Et puis mon couple, qui s'est pété la gueule, et puis... Comment tu fais, toi, pour tenir le coup ? Franchement, cette manie d'écrire, j'ai l'impression qu'elle me bouffe la vie, et qu'il n'en reste pas grand chose... C'est dingue les sacrifices que ça implique !

- C'est sûr ! Moi je tiens parce qu'on est tout un petit groupe de poètes, chez P.O.L., une dizaine, et qu'on se sert les coudes à toute occasion ! Notre éditeur nous apporte un soutien considérable ! Il m'a souvent dit : "Je prendrai tout ce que vous m'apportez, ma chère ! Je veux tout de vous !"

- Tu as de la chance... Je suppose que tu ne gagnes pas grand chose ?

- Tu penses bien ! Rien du tout ! Mais ça me permet de voyager, malgré tout... C'est un grand bonheur, ça, les voyages pour faire des conférences ! A tel point que je n'imagine presque plus voyager si ce n'est pas dans ce cadre...

- J'imagine ! J'ai un autre problème, tu sais : le dernier manuscrit que j'ai écrit, c'est encore quelque chose de très sombre... J'ai peur d'être catalogué ! Il y a pas mal de lecteurs qui trouvent ce que j'écris trop pessimiste...

- Tu les emmerdes ! C'est pas eux qui vont te dicter ce que tu dois faire ! Même un éditeur, il ne doit pas s'immiscer dans ton travail ! Ca doit venir de toi ! Tu suis ton chemin, sans te préoccuper de ce qu'on te dit ! Jamais écouter les autres, c'est la base ! Ils ne comprennent rien ! C'est incroyable, ça, de dire à quelqu'un que ce qu'il fait est trop pessimiste... Merde, on est en littérature ! On n'est pas là... comment dire... On n'est pas là pour caresser les chats !

- Ah ah ! Tu as raison !

- Moi je fonctionne de la façon suivante : toujours présenter un travail nickel... Quitte à patienter six mois, un an, avant de présenter un livre. Je ne fais jamais lire à personne avant de donner le manuscrit à l'éditeur ! Mais quand je le donne, je sais qu'il n'y a rien à retoucher ! Et jamais mon éditeur ne m'a demandé la moindre correction !

- Tu as sans doute raison... J'ai le défaut d'être impatient... Il faut que je souffle un peu, que je ralentisse le rythme...

- Et surtout, je le répète, ne jamais faire lire quand le travail n'est pas achevé... C'est le meilleur moyen pour que le lecteur s'engouffre dans le livre, tu vois, un peu comme pour se l'approprier, et foutre tout ton travail en l'air... On ne sait plus où l'on en est, après, on ne sait plus pour qui on travaille ! Pour le lecteur ? Pour soi ?

- Bon, ça me requinque, cette conversation... Je vais arrêter de vouloir caresser les chats, en tout cas...