La littérature sous caféine


lundi 15 mai 2023

Métal bandant

Je me prépare avec enthousiasme à mon premier Hellfest, hurlant dans la voiture aux riffs accélérés de Metallica, puisant dans mes placards tout ce qu'ils contiennent de noir et de têtes de mort, et voilà que je tombe sur une délicieuse satire du métal sous la plume du redoutable Patrice Jean, dans son dernier roman "Louis le magnifique" (Le Cherche-midi, 2022).Tout à coup, j'hésite... Commettrais-je une erreur à vouloir régresser ?

"Selon l'ex-chanteur des Belzébuth, rien n'était plus "métal bandant" que ces tables entourées de buveurs de bière, ou bien ces hommes urinant, hilares, face au soleil couchant, en rang d'oignons, ou ces fesses périodiquement dénudées et présentées aux regards des festivaliers en signe d'amitié. La liberté poussait à une louable émulation, chacun cherchant à imiter son voisin pour lui faire plaisir. Si l'un d'entre eux disait : "Crions", ils criaient tous; si un autre disait : "Rotons", ils rotaient tous; (...) si un chanteur invoquait les puissances du Mal, tous célébraient la grandeur de Satan."

vendredi 28 avril 2023

Retour aux pays de l'enfance

Quelques jours, je reviens en pays catalan, dans les Pyrénées orientales, où j'ai passé tant de mes vacances. Je vais y guetter ce qui a changé en trente ans, mais surtout ce qui a changé dans mon regard- on ne vit pas les mêmes choses quand on mâche des malabars en lisant Spirou et quand, père de famille, on est devenu sensible à la nature et aux vieilles pierres. Les temps de pause, je relis quelques-uns des livres qui m'ont fait rêver, adolescent, notamment ces Trois mousquetaires revenus à la mode. Le Béarnais D'artagnan n'a rien à voir avec le Roussillon, mais je suis sûr que Porthos aurait aimé les vins de Collioure et les marinades d'enchois.

"Porthos était couché, et faisait une partie de lansquenet avec Mousqueton, pour s'entretenir la main, tandis qu'une broche chargée de perdrix tournait devant le feu, et qu'à chaque coin d'une grande cheminée bouillaient sur deux réchauds deux casseroles, d'où s'exhalait une double odeur de gibelotte et de matelote qui réjouissait l'odorat. En outre, le haut d'un secrétaire et le marbre d'une commode étaient couverts de bouteilles vides."

mercredi 5 janvier 2022

Porno chic is dead

Dans son livre « Le goût du moche », Alice Pfeiffer réserve quelques pages savoureuses à une tendance des années 2000 qui nous paraît bien lointaine : le porno chic, et plus généralement l’hypersexualisation de la mode et de la vie glamour. Il semblerait qu’aujourd’hui la vague MeeToo, le néo-féminisme et le néo-puritanisme aient eu raison de cette sorte d’excitation perpétuelle. A l’heure où James Bond cesse de vouloir séduire et où Néo cède son pouvoir à une Trinity quinquagénaire et bagarreuse, ne serait-il pas demandé aux acteurs et scénaristes de ranger au placard tout attribut sexuel trop marqué, trop provocant, trop genré ?

« Ce débordement sexuel fut le style choisi par toute une génération. Sharon Stone déculottée dans Basic Instinct, les strass lubriques du film Show girls, les décolletés et les Wonderbras de American Pic, les minijupes de Paris Hilton dans The Simple Life, les tenues d’écolières ou en vinyle rouge évoquant (accidentellement) le BDSM de Britney Spears, les pantalons taille utra-basse de Christina Aguilera dans son clip Naughty : une armée de jeunes femmes portait à bras-le-corps ce que les générations précédentes associaient à un dévergondage, et ne s’en portaient que mieux. » (page 101)

lundi 28 juin 2021

Nature et désespoir

Il est une raison qu’on avance peu quand il s’agit de motiver son amour de la nature : le désespoir ! Mais elle me paraît assez tangible. Un ami me dit s’être passionné pour les insectes au lendemain de son divorce. Jean-Paul Kauffmann, journaliste-écrivain longtemps détenu en tant qu’otage, s’est mis à l’écriture de récits de voyages comme « Remonter la Marne », qui fait la part belle à l’évocation du fleuve. Maurice Genevoix, tout juste panthéonisé pour ses terribles récits de la Première Guerre mondiale, s’est tourné vers l’évocation, puissante et belle, des animaux de la forêt. Il a même signé plusieurs bestiaires, tout en humour et poésie. Curieusement, ces auteurs n’établissent pas de rapport explicite entre ce traumatisme et leur refuge parmi les paysages, comme s’ils en avaient honte, comme si cela ternissait la splendeur de la nature elle-même.

mercredi 16 juin 2021

Verticale

Cela fait cinq ans maintenant que j’habite à Epernay. Naturellement, mon goût pour le champagne s’affine, et je m’amuse à organiser de petites dégustations de plus en plus pointues. Cette fois-ci, projet d’une dégustation verticale – on remonte les millésimes d’un même domaine... En l’occurrence, semi-verticale, puisque les millésimes 2011 et 2012 de la maison Legras & Haas feront suite au Brut, certes plus récent, mais qu’on ne peut pas associer à une année en particulier. Le champagne est une affaire sérieuse !

mardi 16 mars 2021

Evelyne Pisier, ou l'épouvante-réalité



Par voyeurisme, j’ai prolongé ma lecture de « La familia grande » de Camille Kouchner (2021) par le roman que sa mère, Evelyne Pisier, avait publié quelques années plus tôt, bien avant les aveux de son fils violé par Olivier Duhamel. « Une question d’âge » (Stock, 2005) est un roman terrifiant sur le thème de l’adoption ratée. Rien que pour ça, le livre m’a arraché des frissons d’horreur : quelles souffrances, de part et d’autre… C’en est presque invraisemblable. Mais on décrypte aussi dans le texte le drame de l’inceste à venir. Très vite, on comprend que le roman n’est qu’une autobiographie déguisée. On se prend au jeu des indices. Alors j’ai ressenti la même chose qu’avec un roman de Stephen King : de l’épouvante, littéralement, devant les refus de voir l’évidence et le gouffre de désespoir dans lequel s’enfonce cette femme.

Au fond, le plus pathétique n’est pas son alcoolisme, ni le recours à des passe-droits, ni la violence des rapports entre enfant et parents, mais l’incompréhension du mal-être de la fille adoptive alors même que tant d’indices nous sautent aux yeux. On dirait que la narratrice s’acharne à ne pas comprendre des signes toujours plus nombreux. Et, refermant le livre, on trouve difficile de ne pas en tirer la conclusion qu’Olivier Duhamel a pu faire d’autres victimes que le fameux Victor. L’auteure devient une sorte de monstre romanesque, tout entier dans la douleur et le déni. L’épouvante-réalité, voilà ce qui pourrait définir un genre nouveau !

« Nicole Réglisse [la directrice de la DDASS] nous prend un flagrant délit d’erreur. Nous avons oublié de fournir les témoignages de bonnes mœurs. La loi exige deux témoignages écrits. Une formalité essentielle. « Mais la DDASS ne les lira pas. Compte tenu de votre « situation sociale », vous ferez dire n’importe quoi à vos amis. » La remarque n’est pas fausse, pas très aimable non plus. Elle déplaît à Thierry [le nouveau mari]. Il n’aime pas que l’on se moque ni de lui ni des lois. De plus en plus nerveux il prend Nicole Réglisse en grippe. »

mardi 9 mars 2021

20 choses vues dans le Morvan

Les toits de tuiles brunes, rousses, noires ou moussues donnent le ton de la région – même si vers le sud, c’est l’ardoise qui domine / Les bocages, les pommiers, les façades à pans de bois soufflent aux paysages un petit air de Normandie / La basse montagne évoque le Massif central ; les prairies verdoyantes l’Irlande ; le granit la Bretagne / Je n’ai jamais vu tant de rivières, de ruisseaux, de marais ; la plupart des champs sont creusés de rigoles pour faciliter l’écoulement / J’ai croisé des chevreuils, des écureuils, des aigrettes, des sangliers, des hiboux / Je trouve que les charolaises ont du charisme / J’ai bêtement écouté le titre Sirupeux de Roxy Music, Avalon, en allant voir Avallon, de même que je me suis rendu à Poil puisque je suis velu / Un peu partout poussent en rangs serrés les Nordmann qui porteront bientôt les guirlandes dans nos salons / Une ville moyenne comme Autun, autrefois prospère d’un point de vue industriel, ne vit plus que des revenus du tourisme… J’imagine la pauvreté qui s’installe / La moitié des commerces des petites villes ont le rideau fermé / La présence beaucoup plus marquée de vieilles pierres qu’en Champagne me rappelle que celle-ci a décidément beaucoup souffert des guerres / Cependant les monuments aux morts dans les moindres villages du Morvan rendent sensible la saignée qu’a représentée malgré tout la guerre de 14 / La politique de préservation de l’habitat épargne aux visiteurs la présence de ces lotissements si fades que l’on voit essaimer partout ailleurs / Les odeurs de sous-bois, d’étables et de pommes fermentée surgissent un peu partout / Le joli maillage d’églises, de châteaux, de ruines romaines et de vestiges gaulois donne l’impression d’une terre saupoudrée par l’Histoire / Les parcelles de Chablis sont sèches et blanches, ce qui me paraît indiquer le moindre développement du bio qu’en Champagne où les parcelles enherbées sont nombreuses / La faible notoriété du Morvan semble offrir aux habitants l’occasion de jouir en toute impunité de ses beautés secrètes / Cette vie de basse montagne, avec ses habitants sympathiques hors des modes, m’a curieusement fait penser au Twin Peaks de David Lynch / Dans ce genre d’atmosphère, la musique appropriée me paraît être le blues rock et la country de Creedence Clearwater Revival.

mardi 9 février 2021

Se cultiver

Je réalise qu’une culture solide, à défaut d’une vaste culture – je ne prétends pas en avoir une, mais j’en ai le fantasme – n’apporte pas de soulagement ni de consolation. Mais elle présente l’avantage d’éteindre les regrets : en fréquentant les chefs-d’œuvre, on se dit qu’on ne passe pas à côté des grandes interrogations du genre humain. Si l’on ne connaît pas plus de réponses, au moins connaît-on les questions – et celle-ci peuvent avoir été posées de façon splendide, ce qui procure au moins du plaisir.