La littérature sous caféine


mercredi 12 novembre 2008

Du happy end en littérature, et de son (éventuel) effet sur les femmes



Il y a quelques années maintenant, quelques personnes de ma famille m'avaient conseillé de mettre de l'humour dans ce que j'écrivais. Plus récemment, une amie m'a dit qu'elle n'avait pas aimé l'un de mes derniers manuscrits : la fin n'était pas joyeuse... Elle ne reprochait pas à la chute d'être mauvaise, ou maladroite, ou mal écrite, non, simplement ce n'était pas un happy end. Et cela semblait gâcher à ses yeux l'ensemble du texte.

Je n'avais pas relié jusqu'à maintenant ce problème avec celui de la différence des sexes, parce que j'aime plus trop faire de généralités dans ce domaine (même s'il est si tentant d'y revenir !). La vidéo de Houellebecq ci-dessus m'a précisément amusé pour cela : il s'étonne lui aussi qu'on soit déçu que ses textes soient pessimistes, car il trouve, lui, qu'il y a quelque chose de revigorant dans la noirceur en art (c'est assez vrai, je trouve, même si le phénomène reste assez curieux). Et il attribue ce goût du happy end notamment aux femmes (Ses statistiques personnelles sont peut-être cependant biaisées par le fait que les lecteurs de romans sont en grande majorité des lectrices...)

Quand bien même le goût des femmes pour la littérature joyeuse serait avéré, je ne me risquerais pas à des interprétations... D'autant plus que le même Houellebecq, dans son dernier livre, controversé, Ennemis Publics (Flammarion-Grasset, 2008), écrit de concert avec Bernard Henri-Lévy, (vigoureux échange de lettres sur lequel je reviendrai) nous offre une belle page sur l'évolution des goûts littéraires français depuis trente ans en matière de bonheur et de dépression, dépassant cette fois-ci la distinction des sexes pour distinguer plutôt les époques :

"Que la France (et pas seulement elle, l'Europe Occidentale tout entière) ait sombré dans la dépression après les Trente Glorieuses, cela me paraît absolument normal. L'optimisme était trop général, la croyance au progrès trop franche et trop naïve, les espérances trop partagées. Extension du domaine de la lutte était, je crois, un livre salutaire ; et je crois aussi qu'il ne pourrait plus être publié aujourd'hui. Parce que nos sociétés en sont maintenant arrivées à ce stade terminal où elles refusent de reconnaître leur mal-être, où elles demandent à la fiction de l'insouciance, du rêve ; elles n'ont simplement plus le courage de voir leur propre réalité en face. Car le mal-être n'a nullement diminué, il n'a fait que s'aggraver, il suffit de considérer comment aujourd'hui les jeunes boivent : brutalement, jusqu'au coma, pour s'abrutir. Ou bien ils fument une dizaine de joints à la file, jusqu'à ce que l'angoisse s'éteigne. Sans même parler du crack." (Extrait de Ennemis Publics, p69)

lundi 20 octobre 2008

Soeur Emmanuelle et marketing US, même combat



Décès de Soeur Emmanuelle, sacrée petite bonne femme au charisme stupéfiant.

Une anecdote : pendant l'hiver 93, je dînais avec mes camarades de Sainte-Geneviève (Ginette, pour les intimes), l'école préparatoire aux écoles de commerce, dans la sorte de crypte qui nous servait de cantine, chaque jour de cette interminable et morose année qui a suivi mon bac, losque Soeur Emmanuelle en personne a surgi d'on ne sait où, nous prenant à parti de manière particulièrement rude.

"Vous n'êtes que des égoïstes, nous a-t-elle dit en substance. Vous êtes ici pour vos petites personnes, vous ne pensez pas aux autres, vous vous empiffrez alors que des gens meurent de faim dans le monde ! Vous me faites honte !"

Puis elle a disparu aussi vite qu'elle était apparue. Nous n'avions pas été prévenus de son passage par les jésuites qui tenaient (et tiennent encore) les rênes de Sainte-Geneviève. J'avoue que, sur le coup, je ne l'ai pas trouvée très sympathique. Je me sentais mener une véritable vie de moine dans cet endroit retranché, sans jamais sortir le bout de mon nez de mes cahiers. Me faire traiter d'égoïste me paraissait complètement décalé. Maintenant je comprends mieux, bien sûr.

En tout cas son énergie redoutable me rappelle un livre dont le rapprochement avec le personnage qu'elle incarnait pourrait surprendre, au premier abord : Vous pouvez être ce que vous voulez être, de Paul Arden, petit livre composé de courtes techniques de travail destinées au publicitaires pour doper leur créativité, mais applicables à la vie de tout un chacun. Je me suis beaucoup amusé à le lire, le printemps dernier, même s'il est si représentatif d'une certaine combativité à l'américaine, dont la candeur peut paraître assez ridicule. Et je me suis surpris à retrouver une certaine foi dans mon acharnement à pondre des livres...

"ON A TORT D'AVOIR RAISON.

On estime avoir raison parce qu'on se réfère à un savoir et à une expérience. On peut souvent le prouver.
Le savoir vient du passé. C'est donc une valeur sûre. Mais périmée. C'est le contraire de l'originalité.
Quant à l'expérience, elle se bâtit sur des solutions apportées à des situations et à des problèmes du passé. Comme les situations d'hier étaient probablement différentes de celles d'aujourd'hui, on est obligé d'adapter les solutions d'hier (et elles peuvent s'avérer inadéquates) aux nouveaux problèmes. Si vous avez de l'expérience, vous serez sûrement tenté de vous en servir.
C'est de la paresse.
L'expérience est le contraire de la créativité.
Si vous pouvez prouver que vous avez raison, c'est que vous êtes sclérosé. Vous n'évoluerez pas avec votre époque ni avec les autres.
Avoir raison, c'est aussi être ennuyeux. Votre esprit est fermé. Vous n'êtes pas ouvert aux idées nouvelles
. (...)" (Extrait de Vous pouvez être ce que vous voulez être, chez Phaidon)

vendredi 17 octobre 2008

Suicide d'une belle jeune femme (Rue Levert, Paris 20)



Soirée particulière, hier soir. Certains la qualifieraient de sordide, d'autres d'étrange.

Il était 20h, je m'apprêtais à corriger des copies dans mon salon. De l'agitation dans la rue m'a tiré de ma concentration : j'entendais des exclamations, des bruits de course. Je suis allé à la fenêtre, pensant assister à des poursuites, une agression, de la baston...

J'ai clairement entendu quelqu'un s'exclamer "Reviens ! Reviens !" (sans que je sois sûr que ce soit les mots exacts...), et quand je me suis penché de mon cinquième étage vers la rue Levert, une rue tranquille sans beaucoup de passage, j'ai vu le corps de cette fille au sol, une fille splendide d'environ 25 ans, blonde et longiligne, tombée sur le dos, jambes sur le trottoir et buste sur le bitume, inanimée.

En scrutant les fenêtres qui la surplombaient, il était facile de comprendre qu'elle était tombée du 5ème étage. J'ai d'abord spontanément pensé à un meurtre, puis en repensant à ce que j'avais entendu, et au fait que je ne l'avais pas entendue crier, elle, j'en ai conclu qu'il s'agissait d'un suicide.

Les gens accouraient dans la rue, certaines femmes pleuraient, deux hommes ont approché la fille pour voir si elle vivait encore. Pendant dix longues minutes, voire un quart d'heure, les secours se sont fait attendre. Je suis descendu dans la rue, spontanément, et je me suis joint aux passants qui s'amassaient dans les environs. Je n'ai pas approché le corps, mais j'attendais comme tout le monde les secours, voyant les chances de survie de la fille (qui vivait peut-être encore) s'amenuiser de minute en minute.

Les secours sont arrivés, ont tenté de la réanimer. Une demi-heure plus tard le corps était couvert, et un étrange ballet de police a duré près de quatre heures. La rue a été bloquée, un type manifestement bouleversé est entré dans un fourgon pour se faire interroger (le petit ami de la fille ?), une vingtaine de policiers se présentant sur place en attendant diverses équipes qui allaient et venaient.

De petits groupes se formaient dans la foule pour discuter de ce qui venait de se passer, et des informations qui circulaient dans le quartier. J'ai ainsi appris qu'un homme s'est suicidé au même endroit il y a quelques mois, qu'une femme enceinte de 8 mois s'est jetée du 18eme étage d'une tour de la Place des Fêtes il y a dix jours, et qu'il y a trois mois, une femme d'origine asiatique, tenant à la main son petit garçon, s'est fait assassiner de 17 coups de couteau parce qu'elle refusait de donner son portable à un groupe de 5 adolescents. Bien que la discussion ait été charmante, j'ai rebroussé chemin vers mon appartement, frigorifié, et j'ai continué à observer le ballet du haut de mon balcon.

Vers 22 heures l'autopsie a commencé : ils ont tendu un grand drap blanc tout autour de la victime, pour que la foule ne voie pas, ont déshabillé la fille, ont étudié son corps et relevé des empruntes. J'ai eu le temps de glisser un oeil discret, jusqu'à ce qu'un policier, armé d'une lampe torche, se mette à balayer les façades environnantes pour rappeler à l'ordre les curieux, et leur demander de rentrer chez eux - entendez : faire disparaître des façades leurs faces hébétées.

Puis ils ont définitivement couvert la fille, avant qu'un corbillard ne l'emmène. Vers minuit et demi, deux types en tenue verte et blanche, désormais seuls dans une rue qui s'était vidée, sont sortis de leur camionnette de nettoyage pour passer au kärcher les traînées de sang qu'avait laissées la fille - une rigole rejoignant le caniveau, d'autres traces au niveau du crâne. Puis tout s'est éteint dans la rue.

J'ai mauvaise conscience à parler de toutes ces choses, prenant le risque de passer pour un voyeur, ou pour un complaisant morbide. Pourtant la tenue de ce blog perdrait un peu de son sens si je n'évoquais parfois ce genre de scène très frappante. Je parle peu de moi sur ce site, ou je ne le fais qu'à travers des compte-rendus de lectures ou d'impressions esthétiques : ce soir, pour une fois, j'inverse le processus, et je pars d'un morceau de vécu particulièrement brutal.

Evidemment, je précise que mon intérêt pour ce genre de scènes dépend d'une histoire personnelle que je garderai secrète ici.

Je suppose aussi qu'il n'est pas mauvais d'en parler, d'une manière ou d'autre autre.

Pendant les deux heures que j'ai passées dans mon appartement, quasiment en présence du cadavre, puisque j'allais y jeter un oeil toutes les cinq minutes, j'ai cherché dans ma bibliothèque des livres qui pourraient évoquer des choses proches de ce que je venais de voir. J'ai pensé au Feu Follet, le roman de Drieu La Rochelle dont Louis Malle a tiré son excellent film. Mais je ne l'avais pas en rayon, aussi j'ai feuilleté Malone meurt, de Samuel Beckett, étrange et beau livre funèbre :

Extrait de Malone Meurt :

"Je mourrais aujourd'hui même, si je voulais, rien qu'en poussant un peu, si je pouvais vouloir, si je voulais pousser. Mais autant me laisser mourir, sans brusquer les choses. Il doit y avoir quelque chose de changé. Je ne veux plus peser sur la balance, ni d'un côté ni de l'autre. Je serai neutre et inerte. Cela me sera facile. Il importe seulement de faire attention aux sursauts. Du reste je sursaute moins depuis que je suis ici. J'ai évidemment encore des mouvements d'impatience de temps en temps." (Minuit, p 8)

Je me suis souvenu aussi de I.G.H., le roman méconnu de J.G. Ballard, génial auteur britannique de Crash (adapté par Cronenberg au cinéma) et spécialiste des ambiances urbaines apocalyptiques. Je me rappelais de la scène d'ouverture, où le protagoniste vivant dans un gigantesque ensemble de tours constatait qu'une bouteille était venue s'écraser sur son balcon. Le rapport est lointain, sans doute, avec ce que j'ai vécu hier soir, mais relire le passage m'a tout de même donné des frissons, allez savoir pourquoi :

Extrait de I.G.H. :

"Mais curieusement, malgré les efforts prodigués par Laing pour rester à l'écart de ses deux mille voisins et de l'ordinaire de querelles futiles ou de sautes d'humeur qui constituait la seule forme de vie communautaire, c'était ici, à n'en pas douter, qu'avait pris place le premier incident significatif - sur ce même balcon où il se tenait à présent, accroupi devant un feu allumé à l'aide d'un annuaire, avec son cuissot de berger alsacien rôti, avant d'aller donner son cours à la faculté de médecine." (Denoël, 3 romans de J.G. Ballard, p 360)

lundi 29 septembre 2008

Dans mon sillage, la catastrophe tranquille (Edouard Glissant à Tokyo)



Samedi, Libération consacrait son portrait de 4eme de couv au grand Edouard Glissant (par la taille, par l'oeuvre et par l'âge), réputé pour ses puissants livres de poésie-philosophie-roman, mêlant réflexions sur la "créolisation du monde", descriptions baroques de paysages à la Pablo Neruda ou à la Saint-John Perse, et références à des concepts comme celui de "rhizome" théorisé par Deleuze...

Inlassablement, et s'appuyant par exemple sur l'histoire des Caraïbes, il a fait l'éloge de ce qu'il appelle les "identités-relations" par rapport aux "identités-racines", s'opposant à la fois à une certaine idée de la France telle qu'elle peut avoir cours en ce moment, et à d'autres concepts pourtant moins contestés comme celui de la "Négritude" cher à Césaire.

L'article m'a replongé dans de lointains souvenirs... Effectivement, j'ai rencontré cet écrivain lorsque j'officiais à Tokyo, il y a plus de huit ans, en tant que CSN au Service Culturel de l'Ambassade de France. On me chargeait alors d'organiser pour quelques représentants de la littérature française des séries de conférence dans les universités japonaises. A l'époque je ne savais pas trop que faire de ma vie, et cela devait se ressentir dans mon comportement : d'une part je n'arrivais pas à m'acquitter de mon travail avec un minimum de sérieux, d'autre part il m'arrivait de me planter dans les rendez-vous, et d'organiser avec maladresse les rencontres entre universitaires et grandes figures de la culture.

Un autre grand écrivain, dont je ne citerai pas le nom, m'avait d'ailleurs sorti, de la manière la plus sèche qui soit : "Vous êtes sympathique, jeune homme, mais on ne sait vraiment pas sur quelle planète vous vivez !"

Edouard Glissant s'était montré beaucoup plus diplomate et chaleureux : il s'était contenté de me dire, après vingt-quatre heures que j'avais passées avec lui, sa femme et son fils, et d'un air détaché, très inspiré, que "Patricot, c'était la catastrophe tranquille..." Il avait l'air de trouver ça presque agréable, et d'ailleurs je garde un excellent souvenir de ces huits jours avec sa famille, et son très jeune fils dont j'avais l'impression de devenir l'ami. Tous les trois n'avaient sans doute pas été dupes de mes talents d'attaché culturel (du moins, d'assistant d'attaché culturel), mais ils avaient pris le parti d'en rire.

Quelques années plus tard, les choses ont bien changé. J'ai remis les pieds sur terre (du moins, me semble-t-il), je fonce dans une voie précisément identifiée, et j'arrive même à mener la barque, et avec plaisir, dans les eaux parfois turbulentes des classes du 93... Mais j'ai gardé le souvenir de cette belle expression, "catatrophe tranquille", en me demandant parfois si la terrible lucidité de l'écrivain ne déjouera pas toutes mes tentatives pour émerger de la débandade alors qu'était ma vie...

vendredi 6 juin 2008

Il ne nous reste qu'à prier Dieu

J'emmenais hier des élèves voir la pièce de Musset, Les Caprices de Mariane, dans une toute petite salle (au théâtre de l'Epouvantail) avec des acteurs plutôt doués. Certains élèves ont failli se faire virer, les premières minutes, à force de rigoler. Puis le silence s'est installé. Tout le monde s'est laissé guider par le joli morceau de littérature.

Un moment, le séducteur de la pièce, Octave, lance à la belle Mariane, pour achever de la convaincre (elle est supposée avoir 19 ans) :

"Vous avez donc encore cinq ou six ans pour être aimée, huit ou dix pour aimer vous-même, et le reste pour prier Dieu." (I, 2)

A cette réplique, un spectateur plus âgé s'est mis à rire, de manière très sonore. Certains élèves se sont tournés vers lui, très étonnés, presque indignés qu'on puisse rire à ce genre de tirade. Sans doute dans quelques années pourront-ils mieux sentir la cruauté, la noirceur désinvolte de ce genre de phrase... Ils sont beaux, parfois, ceux qui ne perçoivent même pas le cynisme !

mercredi 4 juin 2008

Voir les choses comme Bergman ou comme Allen ?

Dans les périodes troublées de sa vie, plusieurs manières de voir les choses : soit on penche vers la tragédie froide, implacable, humaine en même temps, que nous présente Bergman (des dialogues tendus, denses, noirs, hantés par la mort)...



... soit on bascule vers le swing de Woody Allen, sa mélancolie, ses drames qui s'achèvent en pirouettes, ses tragédies qui se concluent par un bon mot, ses engueulades rattrapées par l'humour...



Le paradoxe étant qu'il faut être en pleine forme pour apprécier les films de Bergman. Un couple qui regarde Scènes de la vie conjugale sans immédiatement se séparer peut vraiment croire en son avenir !

Le besoin d'humour est-il vraiment bon signe ?

Hier soir je me suis plongé avec délices dans le très bon Steak (cf vidéo) avec Eric et Ramzy, que je pensais pourtant catalogué navet sidéral. J'ai hâte de pouvoir me replonger sereinement dans Bergman, ou même goûter l'humour racé de Woody, sa mélancolie jazzy...



mercredi 21 mai 2008

La beauté vous écrase ou vous foudroie (+ clip de la semaine)

Balade agréable, dimanche, sous un prudent soleil, dans le quartier de Belleville qui ouvrait au public ses dizaines d’ateliers, semés dans une bonne quinzaine de rues (cf ICI). Beaucoup de croûtes au menu, comme de saisissants chefs-d’œuvre, d’autant plus étincelants qu’on ne s’attend pas forcément à les voir ici.

A plusieurs reprises j’ai laissé diffuser en moi de délicieux frissons, quelques minutes après être tombé sur telle ou telle toile. La beauté me fait souvent un effet très particulier. C’est une émotion qui progresse lentement, qui me saisit d’abord, et paraît exploser dans mon corps, avant de m’emporter complètement, comme le grand reflux d’une marée qui s’empare d’un homme sans jambe.

En fait, j’ai la sensation d’être anéanti. Littéralement écrasé par l’évidence de cette chose. Je me fais l’impression de n’être plus rien. C’est à la fois le comble de la vie, et le comble de l’inexistence – je n’ose pas parler de la mort. J’ai toujours envie de pleurer, quand la beauté s’empare de moi. Et même envie de mourir. Elle me tombe dessus, pour me ridiculiser.

Je me rappelle le fameux poème de Baudelaire, A une passante, dans lequel le poète exprime le même genre de sentiment devant une femme qui passe, si ce n’est qu’elle le foudroie, littéralement, et qu’il retourne dans la nuit quand elle disparaît. Baudelaire est brûlé vif par la beauté, je me sens davantage écrasé par elle…

« Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son œil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair… puis la nuit ! Fugitive beauté…
»

(Même sentiment de sublime devant cette chanson méconnue de Curtis Mayfield, Right on for the Darkness, chanson parfaite, extraite de l’album Back to the World : sensibilité tendue, swing précis, colère rentrée s’écoulant dans un lyrisme noir, délicieux…

mardi 4 mars 2008

Paisible Manhattan (+ clip de la semaine)



(Photo : une rue de Chelsea, un quartier de Manhattan, la nuit)

Reprise en main tout en douceur de ce blog, après la parenthèse new-yorkaise. Quelques impressions du voyage, en vrac, et quelques anecdotes :

1) Beaucoup moins d’obèses que ce à quoi je m’attendais (sans doute est-ce propre à New York).

2) Tellement plus de taxis qu’à Paris (2/3 des voitures à Manhattan ?)

3) Tellement de calme dans les rues : peu de trafic, très peu de klaxons, beaucoup de voies désertes… Même les avenues les plus trépidantes sont plus reposantes qu’à Paris.

4) Relative vétusté des équipements publics (métro vieillot, chaussées parfois défoncées…), alors que je m’attendais, un peu naïvement sans doute, à du Hi-Tech. En revanche, extrême propreté des trottoirs (même dans les quartiers périphériques, me semble-t-il).

5) Politesse et calme des habitants, même dans les quartiers plus pauvres comme le Bronx ou Harlem. Peu d’altercations (même si je les trouve plus sonores qu’à Paris), peu de nervosité. Quand vous sortez votre guide, le premier venu se penche vers vous : « Need any help ? » Les gens ne parlent pas fort dans le métro, et n’écoutent pas de musique sur leur portable. Pas du tout l’excitation parisienne. Je n’avais connu ça qu’à Tokyo…

6) Etonnant comme les communautés sont territorialisées : dans le Queens, par exemple, il y a des coins 100 % chinois, 100 % jamaïcains, 100 % afro-américains…

7) Une anecdote : je me baladais dans le Bronx (dans les 70’s, Nixon tenait ce quartier pour le plus dangereux des USA), et je prenais des photos le plus discrètement possible, de peur d’avoir l’air de m’extasier de ces longues rues sévères d’habitations de briques rouges (sombres), plutôt pauvres, et majoritairement noires.

Juste après mon dernier cliché, je me suis éloigné rapidement et j’ai entendu plusieurs fois : « Mister ! Hey, mister ! » J’ai fini par me retourner : un grand Black assez baraqué, capuche et Timberlands, me demandait d’une voix autoritaire ce que j’avais pris en photo : « Euh… You know… I’m just a tourist… - I want to see your picture ! – I only took buildings, you know... I’m just a tourist... I took cars, streets... – I want to see your picture !”

Les mains tremblantes, j’ai sorti mon appareil et j’ai montré la prise de vue (ratée, d’ailleurs, une perspective parfaitement plate). Il m’a répondu : « Lovely picture ! », avant de s'éloigner. Je ne saurai jamais si j’ai eu affaire à un type qui m’aurait demandé d’effacer la photo s’il était apparu dessus, de peur que je sois de la police, ou à un simple esthète.

(Quoi de plus circonstancié, pour la BO de ce billet, que le dernier clip de Busta Ryhmes, l'excellent New York Shit, extrait de son dernier album The Big Bang: