jeudi 21 juin 2007
La sensualité grasse (Proust et Colette passent le bac)
Par admin, jeudi 21 juin 2007 à 18:25 :: Perles des cours de français / Perles de rue
J’écoute les candidats au bac me lire leurs commentaires (souvent brefs), et je me surprends à trouver certaines phrases des textes que j’ai sous les yeux particulièrement belles. Parfois je résiste difficilement à l’envie de poser aux élèves des questions du genre : « Trouvez-vous cette phrase réussie ? Vous émeut-elle ? D’où vient sa beauté ?... »
Je me retiens pourtant et je cherche en moi-même la réponse, par exemple avec cette expression de Marcel Proust, dans le fameux texte de la madeleine :
« Les formes – et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel sous son plissage sévère et dévot – s’étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d’expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. »
Ou bien ce bout de phrase de Colette, extrait des Vrilles de la Vigne :
« Nous avons galopé, aboyé, happé la neige au vol, goûté sa suavité de sorbet vanillé et poussiéreux… »
Qu’est-ce qui peut expliquer, d’ailleurs, qu’une même exigence stylistique, chez deux auteurs, ait terriblement vieilli chez l’un, et merveilleusement passé l’épreuve du temps chez l’autre ?
Si je relis les phrases citées de Proust et de Colette, je trouve que le premier n’a pas pris une ride, et je trouve à la seconde un côté définitivement désuet (bien que je sois un grand admirateur de sa prose chargée). Pourquoi donc le « grassement sensuel » de Proust passe-t-il mieux que « la suavité de sorbet vanillé et poussiéreux » de Colette ? Peut-être Colette en fait-elle en fait un peu trop…