La littérature sous caféine


mardi 11 octobre 2016

Les Oiseaux crèvent l'écran

Quand je demande à mes étudiants ce qu'ils savent d'Hitchcock, tout de suite ils me répondent en choeur : "Les Oiseaux" ! Ca m'étonne beaucoup parce que je trouve qu'il ne s'agit vraiment pas de son meilleur film. Peut-être ce titre se retient-il plus facilement que les autres ? Que son "pitch" a quelque chose d'élémentaire ? Ou alors, serait-ce que la charge d'épouvante fait lorgner le film vers l'horreur, genre éminemment plus moderne que le thriller d'espionnage ?

lundi 13 juin 2016

L'homme à la hache plus fort que l'homme à la crête

Bilan d'une première année de ciné-club en classe préparatoire - cinq films projetés tout au long de l'année, devant un public d'une cinquantaine d'étudiants en moyenne. Je leur ai demandé de noter chacun des films sur une échelle de 1 à 5.

Sans surprise, le thriller horrifique de Stanley Kubrick, "Shining" (1980), est arrivé en tête avec près de 4 de moyenne. Beaucoup l'avaient déjà vus, et le film semble avoir peu vieilli à leurs yeux - du moins, cela ne remet pas en cause l'interprétation sidérante de Jack Nicholson.

Suit d'assez près le fabuleux "Excalibur" (1981) de John Boorman, que j'étais bien obligé de projeter puisque nous étudions au lycée Chrestien de Troyes et que la geste arthurienne doit beaucoup à cet auteur. Puis le "Lost Highway" (1997) de David Lynch, sans doute le plus clivant puisqu'il a suscité tour à tour l'enthousiasme et l'exaspération, et le "Manhattan" (1979) de Woody Allen, dont certains ont apprécié l'humour et d'autre ont détesté l'inaction - aucun ne le trouvant émouvant, à ma grande surprise.

Enfin, bon dernier, le "Taxi Driver" (1976) de Martin Scorsese (avec une note moyenne de 3,3), dont on m'a dit que je l'avais "survendu": il n'a pas été à leurs yeux le chef-d'oeuvre hallucinant que j'avais annoncé. Est-ce un hasard si c'est aussi le plus ancien des cinq ?

jeudi 5 mai 2016

Prince, le monstre pop (2)

- Prince a réalisé un certain nombre d'albums maudits, méprisés par la critique et boudés par le public. Certains, à juste titre - je pense à "New Power Soul" (98), dont on ne peut raisonnablement sauver qu'un seul titre. Mais pour les autres, il s'agit de véritables injustices. "The Vault" (99), critiqué pour n'être qu'une série de fonds de tiroirs, est un merveilleux ensemble de balades jazz-pop parfaitement rôdées, et même particulièrement émouvantes. Quant à "Come" (94), qui signe son divorce avec le public, il propose une étonnante série d'électro-funk à la fois glaciale et sensuelle, et souvent brillante.

- Le véritable rival de Prince n'aura pas été Michael Jackson, qui a par ailleurs largement gagné le duel commercial en oeuvrant dans un genre comparable, mais David Bowie qui, par l'amplitude de sa carrière, son talent, sa créativité multiforme, a toujours représenté pour moi comme son frère jumeau. L'un dans le funk, l'autre dans le rock, ils ont multiplié les formules, les albums et les visages, et s'ils ne se sont jamais croisés, je les ai toujours mis sur un pied d'égalité. Leurs morts à quelques semaines d'intervalle signent d'ailleurs véritablement la fin d'une époque.

- L'une des choses qui me frappe à chaque écoute, c'est que les titres de Prince ont quelque chose de très net. Les mélodies sont franches, les arrangements distincts, les chansons parfaitement reconnaissables. On est loin de la sorte de brouillard dans lequel tombent bien des groupes de pop-rock avec leurs albums qui ont l'air de se fondre les uns dans les autres. Même dans ses pires compromissions, Prince savait proposer des œuvres propres. Il n'y a qu'au plus fort de sa créativité des années 80, lorsque son funk atteignait un niveau d'énergie proprement délirant, que certains titres devenaient brouillons. Mais on lui pardonnait, parce qu'il avait l'air ici de créer un genre.

- Les derniers concerts de Prince m'ont ennuyé. Devenu une institution, il attirait surtout un public qui le connaissait mal et attendait donc surtout les classiques des années 80. Cela décevait forcément les fans authentiques, guettant les dernières perles de sa discographie. "You don't know the new songs", se plaignait-il au micro, sourire aux lèvres, avant d'enchaîner des medleys que je trouvais indigestes. Il y a deux ans, j'étais ressorti de son concert à la Villette en me promettant de ne plus venir l'écouter... Aujourd'hui, j'en entends regretter de ne l'avoir jamais vu, mais ils n'auraient fait que gonfler les rangs de ces amateurs de la dernière heure, contribuant à transformer l'icône en momie.

mardi 26 avril 2016

Prince, le monstre pop (1)

Quelques notations sur Prince dont j’ai toujours été un admirateur féroce et que je considère, dans le domaine de la pop, comme le plus grand

- Je l’ai découvert avec « Diamonds and Pearls » (1991) et je n’ai plus cessé d’acheter ses nouveaux albums tout en mettant la main sur les anciens – j’organisais mon exploration selon deux flèches temporelles divergentes.

- J’ai d’abord été fan de cette période 90’s, sans comprendre qu’elle soit aussi décriée : je trouvais ses années 80 assez kitsch alors que ses production 90’s, aux contours plus nets, colorées de Hip-Hop, me transportaient. J’adorais d’ailleurs le groupe NPG qui l’accompagnait et je n’étais pas d’accord avec ceux qui ironisaient à son propos.

- Très vite, j’ai compris que je serais toujours partagé entre deux sentiments : la déception devant certaines facilités de Prince, l’indulgence pour ceux qui le trouvaient factice ; et une sidération devant la puissance et la variété de sa créativité. Pour moi, il a toujours représenté l’archétype du génie créatif et j’ai du mal à me faire à l’idée que la plupart des auditeurs, malgré tout, restent insensibles à ses fulgurances.

- Peu à peu, j’ai pris goût à ses années 70 et 80 et j’ai compris pourquoi cette période-là restait considérée comme sa meilleure : fraîcheur quand les 90’s viraient à la virtuosité ; chaleur quand les 90’s devenaient métalliques ; délire ébouriffé quand les 90’s basculaient dans la mégalomanie.

- A propos de mégalomanie, l’album « Love symbol» (1992) est une sorte de monstrueuse anomalie musicale, géniale dans son délire boursouflé, étouffante par sa volonté de prouver. Cet album concept ouvre sans doute l’inexorable période de désamour entre Prince et son public.

- Je ne suis pas un inconditionnel de son tube « Purple Rain » (tous les autres titres de l’album me paraissent plus brillants). J’ai toujours préféré Prince dans le funk torride plutôt que dans le slow sirupeux (quoi que le bien nommé « Sometimes it snows in april » soit superbe) ou dans le rock désuet et sautillant, qui me hérisse un peu. Quel dommage que ce titre éclipse souvent le reste ! Pourquoi donc Prince y revenait-il toujours ? Les fins de concerts sous les pluies de paillettes me laissaient insensibles, et Prince me faisait alors l’effet d’un pantin.

- Trois tubes se détachent sans doute aux yeux du grand public : Purple Rain, Kiss et Cream, seul le second me paraissant vraiment passer la barre des années. Bien souvent, il y a dans la musique de Prince un élément de bizarrerie, de baroque, de fantaisie assez datée qui lui interdit de franchir le cap du large assentiment public – l’inverse de Michaël Jackson, en fait. Je me suis toujours demandé s’il recherchait cet effet d’étrangeté, s’il le revendiquait, ou s’il l’apercevait à peine, emporté par son obsession créatrice.

mercredi 13 janvier 2016

L'énergie de Bowie dans les années 80

La période de Bowie que j'ai le plus de plaisir à écouter est une période pourtant relativement décriée: celle des années 80, certes moins créative, moins subtile, moins touchante que celle des années 70, mais dont j'aime l'énergie sauvage, la sorte de naïveté adolescente. On daube d'ailleurs pas mal, en général, sur les arrangements des années 80, mais je les aime de plus en plus - et Roxy Music par exemple brille de plus en plus fort dans mon panthéon personnel.

jeudi 22 octobre 2015

Le jour où plus personne ne connaîtra le nom de Woody Allen

La cinéphilie va-t-elle disparaître ? Je lance un ciné-club dans le cadre de mes classes préparatoires et, en dépit de la belle affluence, je me demande si le goût pour les classiques, les films singuliers, les chefs-d’œuvre, n’est pas en train de se raréfier. Sur cent élèves, à peine deux ou trois ont déjà vu un Woody Allen ou un Scorsese – et la plupart ne connaissent même pas ces noms-là. Résultat de l’omniprésence des séries ? Accélération du temps, de la consommation, de la valse perpétuelle des références ? Ou bien simple vieillissement, et donc éclipse partielle, des quelques artistes qui forment mon panthéon ?

mercredi 5 juin 2013

Tarantino invente le "Politiquement correct trash"



Des femmes vengeresses achèvent un macho dans un duel de voitures (Boulevard de la mort). Un groupuscule juif scalpe des nazis puis massacre des collabos dans un cinéma parisien (Inglorious Basterds). Un Noir libéré de ses chaînes règle son compte à un esclavagiste pervers et fait un carton parmi les petits Blancs qui lui servaient de sbires (Django unchained).

Dans chacun de ses trois derniers films, Tarantino semble appliquer la même recette : choisir un personnage honni de la morale contemporaine (le macho, le nazi, le raciste) et, profitant du blanc-seing que lui confère la doxa, laisser libre cours à ses appétits de violence. Pas de pitié pour les figures répulsives de l’époque, pas d’hésitation même à les massacrer – du moins, à l’écran. C’est une catharsis autorisée, l’accomplissement d’une pulsion destructrice que la morale, pour une fois, approuve, et tout cela dans une sorte de grand rire libérateur.

Au-delà de la qualité de ces films (sens du dialogue, visuels puissants, scenario léché), comment ne pas ressentir une certaine stupeur ?

Certes, les débauches finales de violence, comme il en existe souvent dans le cinéma américain, peuvent également susciter le malaise : que l’on pense aux vigilant movies, ces films mettant en scène la vengeance de citoyens à qui la police ne vient plus en aide et qui décident de se faire justice eux-mêmes, massacrant les voyous dans un accès de rage qui, le plus souvent, les perdra. Chez le spectateur il y a le plaisir d’imaginer dézinguer de purs méchants, mais aussi la tristesse de voir le protagoniste seul dans sa quête, perdu par la colère qui le dévore, et la mélancolie consistant à se dire que la vengeance personnelle reste un pis-aller, moralement, politiquement condamnable.

Dans Scarface, le héros massacre à tour de bras les mafieux venu le déloger parce qu’il aura été trop loin dans son appétit de puissance. Si l’on jouit de son incroyable résistance, en revanche on le sait condamné. On comprend sa défaite en dépit de la sympathie qu’il nous inspire. C’est un massacre qui ne débouche sur rien, sinon la disparition d’un homme et de l’univers qu’il portait en lui. Il avait ses raisons, mais il avait choisi la mauvaise voix. Catharsis à vide, rage contre le destin, violence tout azimut et sans avenir.

Dans les films d’horreur, même logique : l’homme sage qui, ne supportant plus la cruauté des agresseurs, se met à les massacrer (La colline a des yeux) ; la fille mal dans sa peau qui, parce qu’elle doit survivre, démembre et réduit en poussière les forces maléfiques (Evil Dead). Mais il s’agit de repousser des monstres, des poupées dégoulinantes. Les agresseurs sont des cauchemars. Quand on achève des zombies, on ne fait que réduire en bouillie des marionnettes spécialement crées pour l’occasion, désignées comme le support idéal à fantasmes d’agression – des marionnettes sans visage, sans épaisseur, sans correspondance bien établie avec le monde réel.

Tarantino reprend cette logique, mais en l’inscrivant dans l’Histoire : le cinéma vous offre, en toute bonne conscience, la jouissance de laisser libre cours à votre agressivité, et Tarantino dirige celle-ci vers les figures archétypiques du « méchant idéologique ». Un peu comme si James Bond, du temps de sa splendeur, ne s’était pas contenté de lutter contre les communistes, mais s’était employé à les torturer puis à les éliminer de la surface du globe par quelques bombes H bien ciblées.

Ainsi Tarantino semble-t-il bien avoir trouvé, dans ses trois derniers films, une formule inédite : le « trash politiquement correct », ou « politiquement correct trash ». Une formule qui fait mouche, tout au moins quand on a son talent. Une formule que l’on accusera d’attiser les rancœurs, voire la violence, entre groupes qu’opposent les idéaux de l’époque, ou bien à laquelle on attribuera le mérite de la catharsis – Django Unchained viderait le sac des haines raciales, éviterait à quelques Noirs de tuer des Blancs parce qu’ils auraient purgé leurs pulsions dans les salles obscures.

Quoi qu’il en soit, il est permis de se demander quelle nouvelle déclinaison nous prépare Tarantino s’il compte poursuivre sur cette voie : des gays massacrant des couples hétéros ? Des petits garçons tuant par dizaines des pédophiles ? Des Sud-Africains noirs éliminant les Blancs de leur territoire ? Des Irakiens débarquant aux Etats-Unis pour réduire en cendres des villes entières ?

A moins que la prochaine étape ne soit, logiquement, l’inversion de cette tendance : le politiquement INcorrect trash… Mais on n’ose imaginer l’horreur que cela pourrait donner.

mercredi 4 janvier 2012

Cinéma : Top ten 2011


Teaser pour La Piel que Habito de Pedro Almodóvar par blog-Cineaddict

1) Black Swan – le pendant féminin de The Wrestler a beau ne pas réserver de surprise majeure, il reste ébouriffant de tension dramatique. Du grand Hollywood noir, hanté.

2) Une séparation – cette fois-ci, le cauchemar se passe en Iran. Atmosphère étouffante pour ce drame social parfaitement maîtrisé, au dénouement subtil.

3) La Piel que habito – plus étrange, plus tordue que les précédents Almodovar, cette cuvée 2011 est peut-être moins réjouissante que la cuvée 2010, mais son atroce histoire d’échange de sexes est l’une des plus marquantes du maître espagnol.

4) Shame – un message final assez convenu (ne refoulons pas notre sentimentalité) pour un intense portrait d’homme moderne subissant sa propre sexualité.

5) Drive – polar minimaliste et trendy, truffé de scènes d’ores-et-déjà mythiques.

6) Hugo Cabret : bijou visuel pour ce film à deux doigts d’être ennuyeux, mais qui emporte la mise par la chaleur et la beauté de son hommage à Méliès.

7) Le complexe du Castor : mise en scène et propos très classiques pour ce drame de l’alcoolisme et de la folie cependant parfaitement tenu.

8) Contagion : Soderbergh réalise le premier film catastrophe ultra-réaliste, aussi sérieux qu’un documentaire de France-Télévision. On s’y amuse moins que dans 2012, mais l’exercice est brillant.

9) Neds : le désespoir de jeunes délinquants dans l’Angleterre miséreuse, filmé avec style et avec énergie.

10) Le Stratège : Je n’ai pas de goût particulier pour la fiction sur le sport, mais ce film, dans le genre « le héros a raison contre tous malgré ses stratégies bizarres », est tout simplement parfait. Brad Pitt continue son impeccable filmographie.

Bonne année cependant, à l’exception de déceptions parmi les œuvres de mes cinéastes préférés : déception pour le dernier Cronenberg (qu’a-t-il voulu dire exactement avec A dangerous Method ?), le dernier Woody Allen (agréable, mais sans le mordant des films précédents), le dernier Coen (je ne vois pas ce que True Grit apporte de nouveau dans leur œuvre, ni dans le genre du western, à part un premier quart d’heure brillantissime), le dernier Lars Von Triers (sublime, visuellement, mais souvent à la limite du grotesque) - et même le dernier Soderbergh, très bon, mais un cran au-dessous de ses grands chefs-d’œuvre comme Traffic ou Sexe, Mensonges et Vidéo. Quant à la Palme d’Or, Tree of Life, je n’ai pas vraiment été déçu car je n’ai jamais été fan de Terence Malick, mais il a signé là un film contemplatif au contenu très maigre, et au final involontairement comique (une balade sur la plage au paradis).