La littérature sous caféine


mercredi 6 septembre 2023

Lavant au off

Quand j'habitais à Belleville, je croisais souvent Denis Lavant. J'étais intrigué par ce petit homme au visage chiffonné, toujours pressé, habillé comme un vagabond. Je me souvenais de certains de ses rôles au cinéma. M'intéressant davantage à lui, j'ai découvert la carrière merveilleuse d'un acteur intense et exigeant. Je le retrouve avec plaisir au Festival d'Avignon en compagnie de Samuel Mercer dans ce "Je ne suis pas de moi" tiré des "Carnets en marge" de Dubillard. Prenez Beckett, ajoutez du Sartre, saupoudrez de burlesque et de sexualité horrifique et vous obtenez ce dialogue foutraque et furieux. L'instant métaphysique de mon festival !

mardi 25 juillet 2023

Voyages

Quel meilleur poète que Baudelaire pour se préparer au Hellfest ? Mort, cimetières, apocalypse... En écoutant Iron Maiden, je me croirais dans le "Voyage" concluant Les Fleurs du Mal, cette longue bordée de fascination morbide... Le métal est vraiment cette famille du rock assumant la dimension funeste de l'existence - un penchant artistique que l'on trouvait déjà en germe chez notre cher Villon.

"Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l'ancre ! Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons ! Si le ciel et la mee sont noirs comme de l'encre, Nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons !"

mardi 6 juin 2023

Neil Young français

Jean-Louis Murat avait quelque chose d'un Neil Young français : guitares crépusculaires, thèmes forts et sombres, colère et mélancolie... La voix du premier était grave, celle du second très aiguë, mais les deux paraissaient chancelantes. Surtout, Murat me semblait avoir préservé une dimension du blues rock qui se perd la plupart du temps quand elle franchit l'Atlantique : une propension naturelle à chanter les mœurs locales et l'attachement à une certaine rusticité.

jeudi 27 avril 2023

Panache

Pour la deuxième fois d’affilée, les blockbusters investissent Paris. Après les massacres en délire de John Wick sur la place de l’Etoile, voici les duels, ruades et cavalcades des Trois Mousquetaires. Manifestement amoureuse de François Civil, une spectatrice derrière moi gloussait à toutes les répliques, mais je lui pardonnais car le panache de l’œuvre originale transparaissait à l’écran. Malgré les concessions à l’époque – un Porthos bisexuel, des références appuyées au multiculturalisme – la joie virile célébrée par Dumas fait plaisir à voir, enfin reprise en main par le cinéma français. Seuls regrets : l’absence d’un thème musical fort, une photo sombre et l’omission de la sublime lettre du père au début du roman :

« Vous êtes jeune, vous devez être brave pour deux raisons : la première, c’est que vous êtes Gascon, et la seconde, c’est que vous êtes mon fils. Ne craignez pas les occasions et cherchez les aventures. Je vous ai fait apprendre à manier l’épée ; vous avez un jarret de fer, un poignet d’acier ; battez-vous à tout propos ; battez-vous, d’autant plus que les duels sont défendus, et que, par conséquent, il y a deux fois du courage à se battre. »

mardi 11 avril 2023

Haro sur le Français

Dans "John wick 4" (la franchise d'action qui renouvelle le genre), c'est un Français qui incarne le méchant, et dans le sens le plus vil du terme : vicieux, lâche, ridicule... Avant de mourir sans gloire d'une balle dans la tête, il se fait traiter d'"arrogant asshole" par un Keanu Reeves qui vient de massacrer sans relâche une centaire de parisiens aux quatre coins de la capitale, sans parler du sbire se faisant pisser dans la bouche par un chien. Depuis Matrix, on n'avait pas vu de telle décharge anti française ! Mais il faut sans doute le prendre comme une sorte d'hommage : après tout, ce n'est pas rien d'avoir un rôle symbolique si fort à Hollywood !

mercredi 8 février 2023

Seuls en scène

Je suis très admiratif de ceux qui se produisent seuls en scène. Regardant Céline Hilbich jouer avec conviction le beau texte de Carole Fives, « Tenir jusqu’à l’aube » (Gallimard), au Lavoir moderne parisien, je me suis dit qu’il y avait quelque chose de radical dans le fait d’offrir aux regards une performance dense et travaillée, et que je tenterais bien l’expérience. Je me sens souvent des velléités d’incarner une version excessive de moi-même. Le métier de professeur en donne d’ailleurs un avant-goût.

jeudi 11 août 2022

Racine, indémodable

Je connais plutôt bien "Andromaque" de Racine pour l'avoir étudiée avec plusieurs classes, et je découvre au Festival Off d'Avignon la mise en scène limpide et gracieuse de Robin Renucci, et le jeu ensorcelant de Judith Daleazzo, Marilyne Fontaine, Julien Leonelli, Thomas Fitterer. Plusieurs personnes ont quitté la salle en cours de spectacle, sans doute parce qu'ils avaient sous estimé leur capacité à apprécier un texte du 17eme. Mais je serai toujours agréablement surpris par la persistance du succès de Racine à travers les siècles. Il est vraiment notre Shakespeare national, avec une densité de langue et de folie amoureuse proprement stupéfiante.

mercredi 10 août 2022

A quoi bon ?

Jean-Benoît Patricot est un cousin très éloigné. Après avoir écrit quelques romans, il s'est lancé dans le théâtre et je m'étais juré depuis longtemps d'aller voir sa pièce à succès "Darius", sans savoir quel était son sujet. Quelle surprise de découvrir qu'elle parlait de handicap ! Je n'aurais sans doute pas écrit "La Viveuse" si je l'avais su. Hasard des inspirations ? Improbable inconscient familial, même à des distances considérables ?

Au festival d'Avignon j'ai choisi d'aller voir son autre pièce à l'affiche, "L'aquoiboniste". Son titre, que j'aime beaucoup, semblait annoncer un personnage à la Oblomov, mais elle traite plutôt de deuil, de déni, d'amour absolu. L'écriture très dense sert une prestation physique, impeccable de justesse, de Betrand Skol. Une expérience intense, qui peut rappeler encore une fois le thème du corps empêché (un homme vit toujours alors que tout le monde le croit mort), mais libère en fait des énergies insoupçonnées.