La littérature sous caféine


mardi 12 novembre 2013

"J'aime les petits blancs, surtout à l'apéro"



Un beau billet - avec la pointe d'humour qui n'aurait effectivement pas été superflue dans le livre (quoi qu'elle y soit en pointillé...) - sur Le Blog du Castor : "Grandes réflexions sur les Petits Blancs" :

"J'aime les petits blancs, surtout à l'apéro. Bien fruités. Quelle déception de ne pas trouver une seule fois mention de ce type de boutade dans le livre d'Aymeric Patricot. Je plaisante, bien sûr, car une bouffée de rire libérateur est essentielle avant une plongée en panée dans un univers noir de noir. Chez les petits blancs. Ceux de la France d'en bas, dit le sous-titre en couverture.

J'avais lu du même auteur le très beau, car très juste, Autoportrait du professeur en territoire difficile, où l'auteur racontait sa vie de prof de lettres en ZEP. De prof de lettres blanc dans des classes très colorées. Une langue d'une justesse remarquable et un ton toujours distancié sans être froid. On retrouve ces qualités précieuses dans le nouvel opus.

On connaît la sentence de Camus, "Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde". Une exigence particulièrement nécessaire dans le cas des enquêtes portant sur les sujets sensibles des rapports sociaux. Rien de plus vomitif que la langue pleine de clichés d'un Rioufol ou d'un Zemmour qui perdent toute crédibilité avec une surenchère verbale et catastrophiste. Les quartiers populaires sont ainsi des "zones de non droits" ou "la mort rôde, tenus par des caïds" etc etc... Mais dans le même temps, les écrivains et autres artistes plein de bons sentiments qui encensent la pauvreté par mauvaise conscience de leur propre situation sont aussi ridicules et desservent la cause qu'ils défendent. Patricot, lui, dépeint la violence sociale et morale sans pathos ni mensonge enjoué.

Le livre est un OVNI scientifique. Ni édito libre, ni véritable étude sociologique, il se présente comme un recueil de fragments de vies, de vies brisées ou amères de ne pas être ce qu'elles pourraient être. Et où la couleur de peau joue un rôle dans cette amertume, en plus ou à côté de la condition sociale. A cause de ces péchés originels formels, le livre est attaqué par les scientifiques doctes qui ne voient pas d'échantillonage crédible. Il est évidemment accusé par les belles âmes de faire le jeu du Front National (cette expression...) et par les purs de chez purs de dévier le problème social qui, seul, explique tous les maux. Je ne me situe dans aucune de ces catégories. Je ne comprends pas les détracteurs d'un livre à la force tranquille, aussi douce que le sujet est âpre.

Patricot raconte des gueules cassées, humiliées parfois, mais pas haineuse. Personne n'appelle au meurtre des noirs et des arabes, mais hurle le fait de ne jamais être entendu. Les témoignages ruraux sont parmi les plus émouvants. Les jeunes ne sortent pas car il n'y a rien, pas d'offre culturelle ou de programme spéciaux quand il y en a beaucoup dans les quartiers populaires. Christophe Guilluy montre cela dans "Fractures françaises" sur les inégalités d'investissements folles. Une analyse corroborée par Laurent Davezies dans "la crise qui vient" où l'auteur montre que les quartiers périphériques bénéficient des investissements colossaux des métropoles. Même si cela reste insuffisant, impossible de dire qu'il n'y a rien. D'autres témoignages sont violents, non pour le malaise social, mais le gouffre culturel qui séparent ces petits blancs des autres. Ceux qui n'aiment pas le rap et font semblant, ce garçon fluet qui rêve d'aborder une fille black mais explique que ça ne marchera jamais car elles projettent toutes des envies de mecs musculeux comme dans les clips de rap. Ces deux écorchés vifs de la Beauce, qui voudraient être intellos mais n'ont pas passés leurs examens de sociologie car ils ne voyaient pas l'intérêt. Leur histoire m'a ému aux larmes. Ils vomissent leur haine des "bouseux" autour de chez eux et vont à Paris où ils ne maîtrisent pas les codes et s'aventurent vers les quartiers qu'ils imaginent pour eux, plus bohèmes. Ne pas être adoptés d'emblée, ne pas ressentir de fraternité artistique les irritent et ils font des conneries.

Il y a encore ce témoignage d'une fille qui dit que sa famille a toujours refusé les HLM auxquels ils avaient le droit "car être logé par l'Etat c'est pire que tout. C'est bon pour les bougnoules". Gloups. Il y a ce jeune homme à la licence de marketing qui préfère vivre de RSA plutôt que de bosser. Même plus amer "on peut vivre ici. Pas dans les zincs mais avec de l'alcool low cost où on finit à poil. Le corps exulte. Si on fait un coma et qu'on a tout oublié, c'est parfait, ça veut dire qu'on s'est vraiment lâché". Re gloups.

On referme le livre en ayant envie d'écraser un parpaing sur le prochain politique qui vient vanter le "vivre-ensemble" en méprisant toute une culture populaire traditionnelle, celle de ces petits blancs à qui personne ne parle et qui se sentent humiliés. L'une des personnes qui a bien voulu répondre à Patricot dit cela aussi. Elle n'a plus de haine, mais veut aller en Australie. Là où on ne la jugera pas. Merci à ce livre d'avoir donné la parole à ceux que personne n'écoute, mais qui disent si bien le besoin d'égalité réelle
."

dimanche 10 novembre 2013

"Le FN a-t-il le monopole des "petits Blancs" ?"

Un billet de ma part à propos de la réception des "Petits Blancs", dans le Huffington Post :

Avant même la publication des Petits Blancs (Plein Jour, 2013), l'annonce du titre suscitait la réaction suivante : "Vous allez parler du Front national ?" Mes interlocuteurs ne pouvaient s'empêcher d'établir un rapport entre Blancs pauvres, situés tout en bas de l'échelle sociale, et un parti considéré comme raciste. Or je m'emploie précisément à montrer dans mon livre que ce penchant raciste est un cliché : les "petits Blancs" ne sont pas plus racistes que la moyenne et c'est précisément un des aspects de leur condition que de subir ce genre d'a priori.

M'apprêtant à publier Les Petits Blancs, je craignais donc que ses thèses soient purement et simplement assimilées à celles de l'extrême-droite. Soit que celle-ci se les approprie comme elle a pu le faire avec La France Orange Mécanique (un pamphlet, genre dont ne relève pas mon livre), soit que des journalistes, n'appréciant pas que j'aborde ce thème, à savoir l'émergence d'une conscience blanche parmi les classes défavorisées, me rejettent dans ce camp.

Quelques jours après la publication, je suis rassuré. La plupart des libraires se montrent intéressés. Le Huffington Post, France Culture, Marianne ont fait des comptes-rendus équilibrés, voire enthousiastes, et m'ont semblé pointer une certaine urgence à rendre compte du phénomène. Leurs articles comprennent la nature du projet, sans y voir malice : éclairer l'existence, longuement occultée dans le paysage médiatique français, d'une frange de la population qui prend conscience, depuis quelques dizaines d'années, du fait d'être à la fois pauvre et blanche, ce qui génère un éventail de dilemmes, de questionnements, voire de cristallisations culturelles. J'ai notamment été amené à parler de petits Blancs sur le territoire français parce que, grand consommateur de culture américaine, je constatais combien la figure du white trash (ce "Blanc dégénéré", cordialement méprisé) hantait les arts aux Etats-Unis. Je trouvais étonnant qu'elle soit ignorée de ce côté-ci de l'Atlantique, et je suis parti à sa recherche.

Du côté des lecteurs, fébrilité plus marquée. Les réactions sont immédiatement visibles sur le net où la diffusion des articles suscite une flopée de commentaires. Ils ont l'avantage d'être francs. En quelques jours, j'ai pu cerner les grandes lignes de discorde que suscitait le livre - tout au moins, que suscitaient les articles rendant compte du livre, les réactions au livre lui-même se faisant encore assez rares.

Une bonne partie des commentaires exprime du soulagement à l'idée que la question soit enfin soulevée. Parlons de la pauvreté, disent-ils ; parlons de la prise de conscience d'être blanc, parlons de ces détresses que les classes bourgeoises refusent de considérer, parlons du sujets sur lesquels le Front national ne devrait pas avoir de monopole. Ou bien de la curiosité, mêlée d'inquiétude : Pourquoi donc parler de ces choses-là ? Qu'est-ce que le white trash ? N'y a-t-il pas du mépris à utiliser ce genre de mots ?

Parmi les critiques, deux fronts.

Sur ma gauche, les détracteurs considèrent qu'il est insupportable d'évoquer des questions ethniques, surtout quand il s'agit de Blancs. Les problèmes sont d'ordre social, tous les pauvres se ressemblent. Quel intérêt de mettre les gens dans des cases, des cases dans lesquelles eux-mêmes ne se reconnaissent pas ? Un argument que je comprends, bien sûr. Rappelons simplement que le livre constate, à côté de questions sociales, la réémergence de questions raciales. Et celles-ci viennent singulièrement compliquer le jeu. Il serait absurde de ne pas les étudier - surtout lorsqu'on se targue, comme certains commentateurs, d'incarner l'avant-garde de l'antiracisme.

Sur ma droite, on me reproche principalement deux choses. Tout d'abord ma position bourgeoise, surplombante, tenue pour méprisante. Je ne serais qu'un bobo, passé par les Grandes Ecoles, parfaitement condescendant avec des classes populaires auxquelles je me mêlerais le temps d'un livre. Pire, je ne serais qu'un "journaleux", l'un de ceux qui auraient soigneusement caché les réalités françaises pendant des décennies. Les avis changeront-ils quand le livre sera lu ? J'y parle précisément de ma posture de petit bourgeois, mais aussi de la révolte que j'éprouve lorsque l'on méprise les plus pauvres et même de mon sentiment de fraternité - voire du vertige qui peut être le mien à me sentir si proche des plus démunis. Les commentaires deviennent par ailleurs comiques lorsqu'ils supposent que je gagne grassement ma vie avec ce genre d'écrit. Rirait-on si l'on connaissait le montant des à-valoir ?

Ensuite, on me reproche de ne pas critiquer l'immigration elle-même, ou l'islamisation supposée de la France. Il est vrai que je m'attache à décrire certains effets du métissage sans émettre de doutes sur l'opportunité d'une telle immigration. Mais ce n'est pas le sujet du livre. Et je fais l'hypothèse, de toute manière, que rien ne pourra remettre en cause les récents mouvements de population. L'émergence d'une conscience blanche (surtout parmi les pauvres) me semble acquise. J'ai reçu quelques lettres anonymes me reprochant amèrement cette absence de critique de l'immigration : j'aurais aimé leur répondre qu'elles me paraissaient, concernant mon livre, en partie hors sujet.

En fin de compte, j'ai été relativement surpris par la teneur prérévolutionnaire de nombreux commentaires - qu'ils me soient adressés ou qu'ils expriment une colère proprement stupéfiante vis-à-vis des élites. Mais ils confirment après tout la faille constatée dans le livre entre classes populaires blanches et bourgeoisie blanche, une faille si profonde qu'elle présente tous les stigmates d'une véritable différence raciale, certains bourgeois ne se privant pas d'animaliser ceux qu'ils estiment indignes. "Le jour où ça chauffera, je prendrai les armes." "Je suis un petit Blanc, je me sens méprisé. Quand il y aura révolte, j'en tuerai quelques-uns." "Qu'on les pende !" Le nombre de ces appels à la violence me semble justifier à lui seul qu'on soulève des questions si brûlantes.

Plusieurs journalistes m'ont demandé si ce livre ne faisait pas le jeu du Front National. Je ne le crois pas. Tout d'abord parce que j'y montre une population loin d'être entièrement acquise aux discours nationalistes ou racialistes. Ensuite parce que je montre combien tous les autres partis, à l'image de ce qui se passe aux Etats-Unis, devraient précisément s'intéresser à cet électorat-là sous peine de perdre bien des suffrages mais surtout de laisser se dessiner une véritable ethnicisation du vote. Celui-ci, faisant suite à l'ethnicisation partielle des rapports sociaux, nous en voyons d'ores et déjà les prémices. J'aimerais précisément contribuer à crever certains abcès... Lutter contre les risques de conflits ethniques, ce n'est sûrement pas nier qu'ils puissent exister.

jeudi 7 novembre 2013

Rencontre au Rideau Rouge

Vendredi 8 novembre, rencontre-débat à la Librairie Le Rideau Rouge, autour des livres "Les Petits Blancs" et "Avant de disparaître" publiés par les éditions Plein Jour.

mardi 5 novembre 2013

Florent Georgesco présente les éditions Plein Jour

La librairie Mollat donne la parole à Florent Georgesco pour qu'il nous présente les éditions Plein Jour, tout juste créées :

dimanche 3 novembre 2013

Quelques extraits des "Petits Blancs" sur Atlantico.fr - et leur lot de commentaires véhéments

La toute première page de la préface à lire ICI.

Un extrait d'un chapitre consacré à la pauvreté des campagnes à lire LA.

vendredi 1 novembre 2013

Aude Lancelin parle des "Petits Blancs" (Marianne, 26/10/2013)



Belle analyse d'Aude Lancelin dans le Marianne du 26 Octobre à propos des Petits Blancs :

Ne tirez pas sur le « petit Blanc »

On ne parle plus que de lui en France depuis quelques années, sans jamais oser vraiment le nommer. Le « petit Blanc », équivalent du white trash américain popularisé par le rappeur Eminem, c’est le Blanc pauvre de la Courneuve, relégué socialement et isolé ethniquement. C’est aussi la femme seule de la banlieue d’Amiens qui hait les « putes blondasses qui se font sauter par des Nègres ». C’est le vieux garçon qui n’ose pas mettre les pieds au havre, aussi bien dans le centre bourgeois que dans les HLM métissés, où il redoute les mêmes regards moqueurs. Le romancier Aymeric Patricot, 39 ans, est allé à leur rencontre et en a tiré un livre : Les Petits Blancs. Un voyage dans la France d’en bas (Plein Jour).

A ces « gueules cassées de la misère », il a posé toutes les questions qui ne se posent pas. Image de soi, perceptions raciales, fantasmes sexuels, envie sociale, rêves enfuis. Il l’a fait et il a eu raison de le faire, car peu d’études permettent à ce point de sortir de la terrible bataille rangée des clichés en train de se mettre en place dans le pays. Un face-à-face insoluble opposant une partie de la gauche, de plus en plus terrifiée par ces classes populaires qu’elle n’arrive plus à envisager autrement que comme du gibier frontiste, des ploucs racistes et menaçants, à une droite hypocrite qui, profitant de l’absence d’un grand parti plébéien populaire autre qu’extrémiste, depuis l’effondrement du PC, a fait de ces anciens « prolétaires » ses nouveaux héros, ses enfants chéris.

Car telle est bien l’alternative perverse en train de se mettre en place dans le pays. Ou vous glorifiez niaisement ce peuple redécouvert, comme le firent les communistes des années 50, et décrétez qu’il faut le justifier jusque dans son ressentiment le plus suicidaire, le vote FN par exemple. Ou vous le décidez irrécupérable, comme le fit en 2011 la fondation Terra Nova, et considérez que tels les rednecks, les culs-terreux mis en scène dans Massacre à la tronçonneuse, il ne saurait avoir d’autre sentiment profond face à une France en train de changer que celui de Meursault chez Camus : « tirer sur un Arabe ».

Le livre d’Aymeric Patricot montre le non-sens d’un tel clivage. Il décrit la complexité des situations sociales, l’ambivalence des sentiments aussi, entre Noirs – ou Maghrébins – et petits Blancs paupérisés, qui peuvent facilement passer de la défiance à l’identification. Extrêmement dure ici est la parole raciste quand elle s’exprime, mais superficielle en définitive, dès que la discussion s’approfondit. On referme au contraire le livre avec le sentiment que c’est décidément par la tête que le poisson aura pourri en France, où les socialistes, exécuteurs des basses œuvres du capitalisme à partir des années 80, auront livré le peuple à toutes sortes d’idéologues aux buts très éloignés de ceux des smicards qu’ils prétendre défendre.

Toute la bourgeoisie intellectuelle qui feint aujourd’hui de s’émouvoir du sort des « petits Blancs » devrait pourtant se le rappeler : quand le pays était ethniquement plus homogène, les oppositions de classes étaient beaucoup plus apparentes et dangereuses pour elle qu’aujourd’hui. Il n’est pas interdit d’y voir la véritable raison de sa passion nouvelle pour les problèmes de voisinage du Blanc pauvre, son ancien ennemi héréditaire.

mercredi 30 octobre 2013

Belle lecture des "Petits Blancs" par Sébastien Le Fol (France Culture, Le Point.fr)

« Aymeric Patricot fait œuvre utile, il met des paroles sur un fantasme et par là même il le dégonfle. Tous les politiques devraient lire son livre. » Sébastien Le Fol consacre sa chronique des « Matins » de France Culture, mercredi 30 octobre, aux Petits Blancs.


"Les Petits Blancs" d'Aymeric Patricot (France... par monsieurping2

Sébastien Le Fol a par ailleurs adapté sa chronique pour le site du Point.fr, dans un article abondamment commenté, intitulé "La France des "petits Blancs"" :

Qu'est-ce qu'un petit Blanc ? Dans les chansons du rappeur Eminem, ce sont les "white trash" (littéralement "déchet blanc", NDLR). Mais en France ? Sur toutes les lèvres, le sujet est tabou. "Un Blanc pauvre prenant conscience de sa couleur dans un contexte de métissage et se découvrant aussi misérable que les minorités tenues pour être, a priori, moins bien traitées que lui." Ainsi le définit l'écrivain Aymeric Patricot, 39 ans, dans le passionnant livre qu'il consacre au sujet, aux éditions Plein Jour.

L'expression "Petits Blancs" charrie tellement de fantasmes - elle est utilisée par certains pour ethniciser les problèmes sociaux -, que l'on peut hésiter avant de se plonger dans son ouvrage. Aymeric Patricot, qui se présente comme social-démocrate, n'est pas suspect de sympathies sulfureuses. Sans bonne conscience ni condescendance, il est allé à la rencontre de ces Français déclassés. Il en rapporte une saisissante galerie de portraits, un ouvrage d'atmosphère qui en dit long sur l'état de la France.

De la défiance à l'identification

Le petit Blanc n'est pas un groupe homogène, comme certains essaient de le faire croire. Il prend plusieurs visages. C'est Estelle, professeur vacataire d'anglais à Amiens, qui a "la haine de l'Arabe". C'est Agnès qui déclare : "On nous oblige à accepter l'immigration sous un prétexte moral, et ça m'angoisse." Mais c'est aussi Laurent, l'étudiant timide de la banlieue parisienne, qui, traversant les beaux quartiers, se dit : "Je suis terne, ma vie ne me plaît pas."

C'est Damien, le paysan pauvre filmé par l'émission Strip-Tease, qui "recherche désespérément une bergère". Et c'est encore Irène, secrétaire, mère d'un garçon de 7 ans, qui a besoin de temps en temps de "mettre une racaille dans son lit", de préférence "black". Les sentiments des petits Blancs oscillent entre amour, indifférence, rancoeur et fraternité. Vis-à-vis des Français d'origine maghrébine ou subsaharienne, ils passent de la défiance à l'identification.

"Population rancie"

La classe politique est désarçonnée par ces "gueules cassées de la misère". La droite inspirée par Buisson court après en les idéalisant de manière ridicule. Quant à la gauche, elle s'est depuis longtemps détournée d'eux. Ces "culs terreux" font tache dans les salons bobos. "Tout ce qui est terroir, béret, bourrées, binious, bref "franchouillard" ou cocardier, nous est étranger, voire odieux", proclamait le magazine Globe, dès son premier numéro, en 1985. En 2013, Jean-Luc Mélenchon renchérissait : "Je ne peux pas survivre quand il n'y a que des blonds aux yeux bleus. C'est au-delà de mes forces."

Aymeric Patricot décrit avec force ce qu'il appelle "la mise à l'index d'une population rancie". Il va même jusqu'à parler d'"animalisation d'une partie de la population". Selon lui, "ces Blancs déchus ont le mérite de donner bonne conscience à ceux qui les rejettent : ces derniers donnent en effet des gages de leur éminente hauteur de vue. Ils prouvent même leur absence de racisme." Ce faisant, ils suscitent cependant une nouvelle forme de racisme dans la mesure où ce Blanc misérable, figé dans son archaïsme, est si distinct d'eux que sa nature n'a plus rien à voir avec la leur." Avec son livre, Aymeric Patricot fait oeuvre utile. Il met des paroles sur un fantasme et par là même le dégonfle. "Il dissipe la gêne en éclairant les fantômes", comme il dit. Tous les politiques devraient lire son livre.


jeudi 24 octobre 2013

""On ne se sent plus chez nous" : comment traiter cette angoisse française entre fantasme et réalité ?"

Le site Atlantico.fr m'a interrogé, ainsi qu'un autre auteur, sur un thème d'actualité. Beaucoup de commentaires sur la page en question, ainsi qu'après l'article tel qu'il a été repris (et tronçonné) sur le site Fdesouche.com, habituellement classé à l'extrême-droite - commentaires d'ailleurs assez agressifs, comme je le montrerai dans un prochain billet consacré aux réactions suscitées par le livre.

"Atlantico : La "rumeur du 9-3", selon laquelle des maires recevraient des subventions pour faire venir des populations de Seine-Saint-Denis, semble traduire une peur des grands mouvements de population et des transformations des modes de vie qui y sont liés. Aux terrasses des cafés ou dans les réunions de famille revient de plus en plus souvent cette phrase : "On ne se sent plus chez nous." Comment faire la part des choses entre les fantasmes et la réalité que revêt cette préoccupation ?

Guillaume Bernard : Certains territoires de la République ont démographiquement basculé avec le changement de nature de l’immigration entre la fin des années 1970 et le début des années 1980 : de travail, elle est devenue familiale. L’INED a pu établir qu’entre 1968 et 2005, les jeunes d’origine étrangère étaient passés, par exemple, de 19 à 57 % en Seine-Saint-Denis, de 22 à 76 % à Clichy-sous-Bois ou de 20 à 66 % à Sarcelles.

Ce changement radical d’environnement social a créé, pour les autochtones, une insécurité culturelle qui les a poussé, pour ceux qui en avaient les moyens, à quitter ces quartiers et, pour d’autres, à mettre en place des stratégies d’évitement (par exemple pour l’inscription de leurs enfants dans les établissements scolaires). Il est raisonnable de penser que des Français vivant dans des lieux qui ne sont pas encore concernés par ce bouleversement démographique et culturel le craigne.

Aymeric Patricot : Ces rumeurs traduisent une grande peur, fondée sur un fantasme, celle de voir débarquer en province les populations d’origine africaine que l’on croyait cantonnée, jusqu’à maintenant, à certaines villes et à certaines régions – notamment Marseille, Lyon, l’Ile de France. Elles traduisent un décalage, appelé à se réduire, entre des régions fortement métissées (la population blanche est devenue minoritaire, par exemple, en Seine-Saint-Denis) et une province, notamment à l’Ouest, encore à l’écart, bien souvent, de ce phénomène de brassage.

La peur est à la fois suscitée par ce que l’on voit à la télévision – émeutes, échos de la délinquance, présence de l’islam – et par la rapidité des phénomènes. Il suffit de quelques années pour que le métissage change le visage d’une ville. La nouveauté, c’est que ces changements sont plus visibles que lors de métissages intra-européens : Italiens, Polonais, Espagnols, certes discriminés en leur temps, pouvaient espérer « se fondre dans la masse » en deux générations. La couleur de peau rend les choses plus complexes : un Français d’origine africaine aura le sentiment d’être regardé de travers en dépit de sa carte d’identité française et de sa bonne maîtrise de la langue ; de même, les populations blanches de province auront du mal à s’ôter de l’idée qu’un noir, qu’un arabe sont arrivés récemment sur le territoire.

Quoi qu’il en soit, ces mouvements de population bousculent le quotidien des populations concernées, qu’elles se déplacent ou qu’elles observent les mouvements. Comme le dit Claude Askolovitch, qui s’exprime beaucoup en ce moment sur la mésestime dont souffrent les musulmans : « Il faut être le dernier des bisounours pour croire qu’une société peut devenir multiculturelle sans heurt. » La plupart des journalistes le reconnaissent aujourd’hui : la société multiculturelle, multiethnique peut certes représenter un idéal, il n’en faut pas moins admettre qu’elle suscite des tensions. Et le meilleur moyen de lutter contre elles, c’est d’abord de les reconnaître, d’apprendre à en parler. L’affaire actuelle des rumeurs est l’un des visages de ces heurts.

La suite à lire ici :

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