La littérature sous caféine


jeudi 28 avril 2011

Chronique d'Audrey Pulvar sur France Inter



Belle chronique d'Audrey Pulvar ce matin sur France Inter à propos de "Autoportrait du professeur en territoire difficile" (podcast sur la page de France Inter).

En fin de billet, j'apporte quelques précisions pour dissiper les malentendus auxquels pourrait donner lieu la lecture de l'article...

"Une fois de plus Aymeric Patricot nous parle de ce qu’il connaît bien : les collèges de ZEP, où il a travaillé pendant trois ans.

Mais cette fois, pas sous une forme romanesque. C’est bien d’un témoignage qu’il s’agit et j’avoue que le ton utilisé peut parfois mettre mal à l’aise. A moins, à moins qu’on n’accepte de lire ce livre à plusieurs degrés. Par exemple, on pourrait sourire devant la façon dont il évoque ces « jeunes femmes d’une vingtaine d’années… persévérantes, travailleuses, animées d’une foi véritable en l’enseignement, prête à se sacrifier pour les élèves » et semble-t-il lâchées parmi des fauves tendus vers un seul but, les lacérer -on s’attend presque à ce qu’il emploie l’expression « sexe faible ».

On pourrait aussi s’étonner que cet enseignant semble regretter l’interdiction faite au personnel scolaire de riposter physiquement aux agressions physiques perpétrées par des collégiens. Des profs qui se feraient justice eux-mêmes, en quelque sorte !

Il est vrai qu’à lire Aymeric Patricot, ils ne peuvent pas vraiment compter sur leur administration pour cela, même dans les cas très graves. On pourrait aussi tiquer sur ce qui semble être une justification des discriminations pratiquées à l’égard d’étrangers ou de Français de parents étrangers, lors d’un parallèle bizarre avec la propre expérience d’Aymeric Patricot au Japon, mais l’essentiel est ailleurs.

Dans la dénonciation intransigeante de la violence scolaire, quotidienne, répandue, presque érigée en dogme, au sein de ces établissements dits difficiles. Pas de transaction donc, avec l’inacceptable, au motif qu’il serait le fait d’élèves en grandes difficultés personnelles ou mis, injustement, au banc de la société. Patricot ne trouve pas d’excuse non plus, à une administration dont il pointe les lâchetés tout en reconnaissant qu’il est souvent bien difficile de compenser le manque de moyens et de personnel.

A quoi rime le métier d’enseignant, quand on n’obtient parfois pas une seule minute d’attention de sa classe sur toute une heure de cours ? Quand on ressort lessivé d’une journée passée à hurler, en vain, pour se faire obéir et que l’on chemine la peur au ventre jusqu’à son train ? Et quand surtout, on n’ose s’en plaindre ou partager ses angoisses, parce qu’un bon prof doit savoir en toutes circonstances « tenir sa classe » et se faire respecter ?

De victime, c’est donc le prof qui devient l’accusé, s’il ne parvient à discipliner trente adolescents rétifs à toute idée d’autorité. Et pendant ce temps, c’est bien l’école à deux vitesses qui s’installe. Celle des quartiers bourgeois et celle des quartiers pauvres, « relégués », c’est le mot à la mode.

Aymeric Patricot en veut aux politiques. Il accuse la droite de ne pas traiter la question, par manque d’intérêt pour des populations qu’elle accepte à peine et estime perdues. Il reproche à la gauche son « optimisme » devant une réalité, « moins docile qu’elle ne l’aurait souhaité ».

Patricot rêve, comme beaucoup, d’une société où les mots « égalité des chances » sonneraient moins creux, où il n’aurait pas une impression de les tromper, quand il essaie de convaincre ses élèves que non, l’origine ethnique ou sociale ne sont pas un frein à leurs ambitions.

Une France où, si le concept d’Identité nationale ne veut plus dire grand-chose, au moins pourrait-on essayer celui de « cohésion nationale » avec Baudelaire, Molière, Voltaire ou Corneille pour ciment ? Il a essayé, ça marche !

Allez, malgré la peur, l’épuisement, le désarroi, enseigner, nous dit-il, reste un métier exaltant. A La Courneuve, où il exerce aujourd’hui, il sait être en immersion dans ce qu’il nomme « la matière même de la France », le cœur d’une Nation qui se prépare. Il y a pire, comme horizon !"


A propos de cette chronique, quelques précisions :

- Certes, j'ironise sur le contraste entre le dévouement de certains jeunes professeurs et la dureté des conditions de travail. Mais loin de moi l'idée d'un "sexe faible" mal armé pour un tel contexte ! Je suis au contraire très admiratif de la persévérance et de la force morale de la plupart de mes collègues - et je le dis dans le livre.

- Loin de moi aussi l'idée de justifier le principe de la discrimination (même d'un point de vue "philosophique", comme a pu le faire Eric Zemmour). J'évoque simplement dans le livre une série de petits événements vécus sur le thème du racisme, et quelques pointes de mépris dont j'ai pu être victime au Japon. J'explique comprendre, au fond, certains mouvements de xénophobie japonaise, mais je n'en tire bien sûr aucune conclusion sur la nécessité de la discrimination. J'explique ne pas avoir été blessé par ces marques de mépris, tout en comprenant parfaitement qu'on puisse l'être, dans d'autres contextes.

- Quant à l'autodéfense, il va de soi qu'elle est à proscrire... Je me contente de décrire la détresse qui peut être celle de professeurs dont personne ne garantit la sécurité.

Ces quelques précisions faites, merci à Audrey Pulvar pour sa chronique, qui fait un relevé judicieux des quelques thèmes abordés par le livre.

mercredi 13 avril 2011

Sortie aujourd'hui en librairie d'"Autoportrait du professeur en territoire difficile" (Gallimard)



Le livre sort aujourd'hui.

J'en profite pour évoquer le choix des exergues, exercice à la fois délicat et plutôt plaisant.

Pour Azima la rouge, j'avais choisi deux citations, l'une de James Ellroy ("Mes cauchemars possédaient une force brute d'une pureté absolue"), l'autre de Ryû Murakami ("Le danger, c'étaient les types psychologiquement fragiles"). Je me sentais proche de ces deux auteurs, à la fois pour leur univers (très contemporains, très sexués et brutaux) et pour leur sens de la formule (Azima était écrit dans un style très concentré, avec phrases courtes et sonores).

Pour Suicide Girls, j'ai choisi une phrase de Poppy Z. Brite ("Une douleur exquise, occultant la moindre pensée, le moindre souvenir, la moindre notion d'identité..."). Je trouvais qu'il y avait des parentés entre mon roman et ceux de Poppy, par le choix d'un univers sombre mais romanesque, racheté par l'espoir et l'énergie (une forme de "littérature punk", d'une certaine manière).

Pour Autoportrait du professeur en territoire difficile, j'ai quitté le genre romanesque pour lorgner vers le récit, et je devais trouver une citation qui traduise le sentiment général du livre. J'ai voulu puiser dans l'abondante sociologie française qui traite du thème des banlieues et j'ai choisi un extrait de l'ouvrage qui reste mon préféré en la matière, Ghetto Urbain (Didier Lapeyronnie) : "Avec l'école, comme avec d'autres institutions de la République, à l'évidence, une cassure s'est opérée pour les classes populaires." Mon livre s'achève sur une note plus optimiste que ce que cette phrase laisse entendre, mais je trouvais qu'elle condensait beaucoup de problématiques et résumait assez bien la situation générale...