La littérature sous caféine


mercredi 23 juin 2021

Gilets jaunes en roman-photo

Je n’avais jamais lu de roman-photo, c’est chose faite avec le saisissant « Les racines de la colère » (Vincent Jarousseau, Les arènes, 2019). Pas de sentimentalité ici, mais la réalité brute de ces familles ouvrières brisées par la désindustrialisation. Pour ceux qui douteraient encore de la cohérence et de la sincérité du mouvement des Gilets jaunes, voici l’exacte illustration des colères qui bouillonnaient depuis des années et que la politique de Macron a fait cristalliser. En quelques images, en quelques paroles, on comprend tout mieux que dans n’importe quel essai de Todd ou de Guilluy.

mardi 29 septembre 2020

Non, les tueurs de Charlie ne se sont pas trompés de cible

Depuis plusieurs semaines maintenant j’achète Charlie Hebdo pour suivre le compte-rendu du procès. L’humeur n’y est pas à l’humour, c’est le moins qu’on puisse dire… Ce n’est plus un journal satirique mais un journal tragique, coulé dans un bain glacial, avec quelques blagues pour le principe mais auxquelles plus personne ne croit. Il faut dire qu’on perdrait l’envie de plaisanter pour moins que ça…

Evidemment, le curieux titre de la double-page d’ouverture du numéro du 16 septembre sonne comme une épouvantable antiphrase : « L’autre survivant du 7 janvier : le rire ». Yannick Haenel se charge avec talent du compte-rendu du procès. Il décrit bien la misère morale des complices et le pathétique du témoignage des victimes, au point qu’on a désormais l’impression de lire une sorte de Nouveau détective version NRF.

Il m’arrive cependant d’être frappé par ce que j’estime être de véritables erreurs d’interprétation – bien que je reste éloigné des événements – comme dans le paragraphe suivant publié le 16 septembre :

« Honoré dessinait pour dénoncer les conditions de vie en prison. Tignous dessinait pour dénoncer les injustices sociales. Les dessins de Charlie Hebdo donnent la parole à ceux qui n’ont pas la parole. Et c’est eux, les dessinateurs de Charlie, qui sont tués. Ils sont tués par des gens que leurs dessins, politiquement et socialement, défendent : des enfants des banlieues que leur frustration sociale aveugle, et que le fanatisme religieux capture et rend monstrueux. Franchement, on n’appelle pas ça se tromper de cible ? A l’abjection du meurtre s’ajoute la bêtise consternante, et l’on sait que la bêtise conduit au crime, la preuve. »

Je pense que Yannick Haenel se trompe. Les assassins connaissaient ceux qu’ils visaient. Ils agissaient non pas en victimes de la pauvreté mais en fanatiques religieux. Toujours réduire la dimension culturelle à ses causes sociales conduit à de sacrés aveuglements. La question des identités, des croyances et des traditions n’est décidément pas soluble dans la question des salaires et des sujétions économiques – comme nous l’a d’ailleurs récemment rappelé Jean Birnbaum avec son « Silence religieux – la gauche face au djihadisme ». Elle existe en soi, distincte de la question sociale, à laquelle elle se mêle parfois pour compliquer la donne.

En somme, Yannick Haenel oublie que le Français d’origine immigré n’est pas défini par sa seule pauvreté. Quand on prend sa défense en tant que pauvre, il ne nous aimera pas forcément en tant que croyant. Et s’il peut avoir tendance à voter à gauche pour des raisons d’ordre économique – et même historique – il pourra penser à droite quand il s’agit de questions sociétales. Est-il utile de rappeler que l’opposition au mariage pour tous n’était pas l’apanage des seuls catholiques ?

Il est assez curieux que cette naïveté se perpétue dans les pages d’un journal qui en a déjà payé le prix du sang. Cette naïveté que je relevais précisément dans « La révolte des Gaulois » chez un célèbre écrivain américain, Russel Banks, qui déclarait eu substance dans un entretien publié par la revue America dirigée par François Busnel que les Démocrates avaient intérêt à favoriser l’immigration dans la mesure où celle-ci gonflerait mécaniquement les réserves de voix de la gauche. Quel calcul de court terme ! Il est fréquent que les populations immigrées proviennent de pays plus structurellement conservateurs. Il n’est que de penser à la population d’origine mexicaine, beaucoup moins portée à voter démocrate que les Afro-américains.

Le cri du cœur de Yannick Haenel a ceci de pathétique qu’il est assez candide, en même temps qu’il témoigne de la fracture qui partage désormais la gauche française, entre une gauche dite universaliste, estimant que le droit de caricaturer et le devoir d’accepter de l’être valent quelle que soit son origine ethnique et sociale, et une gauche plus radicale estimant que l’humiliation sociale vaut un certain passe-droit en la matière : il devient interdit de se moquer de la culture d’une personne si celle-ci fait partie des humiliés du capitalisme moderne.

Les tueurs de Charlie ne se sont donc pas trompés de cible : c’est Charlie qui persiste – en partie, car dans l’équipe on trouve notamment Riss, qui se montre lucide et combatif à ce sujet – à se tromper d’ennemi, refusant de voir qu’il existe des réactionnaires dans toutes les parties du monde et dans toutes les couches de la société, et des complices de ces derniers dans les rangs de gens qui prétendent les combattre.

lundi 3 août 2020

"Faiblesse de la posture républicaine"

Tribune publiée par Le Monde le 1er août 2020, originellement intitulée "Faiblesse de la posture républicaine", rebaptisée "Nous sommes entrés dans l'âge du libéralisme identitaire".

"Deux camps s’affrontent aujourd’hui sur le thème des discriminations : certains dénoncent la persistance de dérives au sein du monde occidental, allant parfois jusqu’à pointer du doigt l’existence d’un système raciste ; d’autres, qui se réclament du républicanisme, persistent à considérer qu’il ne faut pas « racialiser les rapports sociaux » et qu’il existe des valeurs universelles.

Le problème est que ces républicains doivent se sentir bien seuls en ce moment. La lame de fond de l’affaire Floyd, réveillant un antiracisme légitime, n’est pas seule en cause : elle ne fait que mettre un point d’orgue à l’incroyable pression contre l’idée même de droits individuels. Ces derniers fondent la notion de mérite, mais on les accuse de masquer des phénomènes délétères plus profonds.

La première de ces pressions, celle qu’on dénonce le plus volontiers, est exercée par la culture (musique, cinéma…), dont le tropisme est flagrant : les plateformes sont américaines, la force des images est américaine. Or, cette culture est marquée par la question raciale. C’est de cette culture qu’émanent les slogans nous familiarisant avec l’idée que les logiques de groupes sont décisives. En somme, l’actualité force le peuple français à ouvrir les yeux sur les réalités raciales, lui dont le surmoi républicain exige pourtant qu’il reste colorblind.

La deuxième pression se fait plus discrète, mais pas moins efficace : elle vient du monde économique dont la grande éthique, outre l’écologie, se rapporte à la fameuse diversité, dont la logique vient concurrencer celle du mérite. Qu’on ne s’y trompe pas : les entreprises ne peuvent être foncièrement morales. Si elles singent les principes du moment, c’est avant tout parce qu’il leur est nécessaire de s’adapter au contexte. On sait que le libéralisme s’accommode très bien des valeurs multiculturelles et transnationales. La troisième, c’est le monde politique, tout d’abord en France, en partie désireux de s’inscrire dans la tendance de l’époque. Soulignons que la fracture ne partage pas la droite et la gauche, mais traverse chacun des partis, de même qu’elle recoupe souvent un fossé générationnel, comme en témoigne la récente anicroche entre Marion Maréchal et Marine Le Pen.

Ensuite, à l’échelle du continent. L’Union européenne se dit acquise à l’idée d’un espace axiologiquement neutre, ouvert à toutes les différences. Pour s’en convaincre, il suffit de lire Jürgen Habermas, philosophe célébré comme penseur de la construction européenne. Dans « L’intégration républicaine » (1996), il appelle l’Europe à définir ce qui pourrait être une « nouvelle conscience politique », fondée sur le principe d’une « entente non impériale avec d’autres cultures. » Le vent du multiculturalisme ne souffle donc pas que d’un côté de l’Atlantique.

Assaillie, la posture républicaine souffre par ailleurs d’une faiblesse intrinsèque : elle se pare des vertus des droits de l’homme mais son histoire est marquée par des ambiguïtés qui minent son aura morale. Il suffit de se souvenir des empoignades rhétoriques à la fin du XIXe entre Jules Ferry désireux d’accomplir la « mission civilisatrice » de la France et Clémenceau se méfiant de l’idée qu’une civilisation puisse être « supérieure ».

Bien sûr, il faut refuser l’amalgame entre droits de l’homme et crimes commis en son nom. Mais Francis Fukuyama comme Christopher Lasch, deux universitaires précurseurs en matière de dénonciation des menaces pensant sur l’universalisme, se plaignaient déjà de ce qu’un nombre grandissant d’intellectuels versaient dans le relativisme au prétexte que les critères universels de jugement seraient occidentaux. Il faut craindre que la tendance ne se renforce.

D’autant que le camp adverse jouit d’un argument très fort, énoncé par Charles Taylor dans les années 90, constituant le fond théorique des conceptions multiculturelles : l’individu ne se construit pas seul, il peut pâtir de l’image de sa communauté. Par conséquent, un régime soucieux de l’épanouissement des individus se montrera vigilant à ce que certains groupes ne soient pas stigmatisés. Cette forme particulière de libéralisme consistera donc à garantir à chacun le droit d’entretenir une culture qui ne soit pas exactement celle de la nation.

Pour sortir de ce conflit, il faudra parvenir à trouver un compromis. Le camp antiraciste devra bien accepter l’idée qu’il agit au nom de valeurs universelles, certes nées en Occident mais que cette origine ne résume pas ; de même, le camp républicain devra reconnaître l’existence d’appartenances culturelles et même leur caractère vital pour la construction de l’individu.

A cet égard, il devient problématique de balayer d’un revers de main la question raciale. N’est-il pas manifeste qu’elle existe à côté de la question sociale, et qu’elles ne sont pas réductibles l’une à l’autre ? Le camp républicain, dont j’estime faire partie, sous-estime les raisons de s’inquiéter : il espère que quelques articles bien sentis pourront contenir la vague de revendications culturelles. Or, celle-ci déferle déjà sur le continent.

Précisons au passage que cette question des races ne concerne pas qu’une ou deux minorités. La grille d’analyse identitaire est beaucoup plus mobile et variée, et c’est cette myopie qui a, me semble-t-il, empêché beaucoup d’analystes de comprendre par exemple la profondeur de la Révolte des Gilets jaunes, comme j’ai tenté de la montrer dans « La révolte des Gaulois ». Chaque jour, la majorité blanche prend davantage conscience d’elle-même en dépit des paradoxes que cela peut susciter.

Ensuite, il faudra parvenir à nommer le régime que nous traversons, qui n’est plus vraiment la république au sens abstrait du terme ni l’âge identitaire, mais un équilibre entre les deux, équilibre que nous pourrions nommer libéralisme identitaire : un régime qui maintient les libertés individuelles, notamment celle qui consiste à refuser toute assignation, mais qui accorde la liberté symétrique de revendiquer une appartenance. Nous sommes en réalité déjà entrés dans cet âge, il ne nous reste plus qu’à l’assumer."

mardi 7 juillet 2020

Champagne !

Il y aura du champagne à la Belle Hortense, le jeudi 9 juillet à 20h, pour fêter (à retardement) la sortie contrariée de "La révolte des Gaulois"

vendredi 3 juillet 2020

"Affaires Floyd et Traoré : La menace d'un contrecoup" (Marianne, 16/06/2020)

Tribune publiée sur le site de Marianne, le 16 juin 2020.

" Lorsque Donald Trump s’est fait élire, un présentateur afro-américain n’a pu retenir son émotion : il s’agissait d’un « whitelash », que l’on pourrait traduit par « contrecoup blanc ». En d’autres termes, il reprochait aux Blancs d’avoir majoritairement voté pour Trump afin de se venger d’Obama, et de la trop grande importance symbolique accordée aux minorités.

Quand les Gilets jaunes se sont soulevés en 2018, il m’a semblé que nous assistions à un équivalent français au phénomène du whitelash. Dans « La Révolte des Gaulois » (mars 2020), j’explique ainsi que la cécité de la plupart des sociologues et des hommes politiques à la question culturelle, sous des prétextes républicains nobles mais insuffisants, les avaient rendus souvent incapables de comprendre la profondeur de la révolte, qui ne consistait pas simplement en un ras-le-bol fiscal, mais en un soulèvement contre le mépris.

Emmanuel Macron lui-même y avait joué un rôle de premier ordre : il avait systématiquement opéré une distinction entre deux France, une France des banlieues parées de tous les atouts, et une France des « Gaulois réfractaires » dont il ne fallait pas attendre grand-chose. Il est d’ailleurs ironique qu’il se plaigne aujourd’hui de ce qu’on appelle la « racialisation des rapports sociaux »… S’est-il seulement rendu compte qu’il maniait des symboles de cet ordre-là, à peu près d’ailleurs comme l’ensemble de la classe politique ?

La répression contre les Gilets jaunes s’est ensuite révélée féroce. A cette occasion, on a cru découvrir un nouveau visage de la police : pour une fois, ce n’était pas contre les populations de banlieue qu’elle avait la main lourde, mais contre des populations moins métissées, pour ne pas dire à forte majorité blanche – tout le monde ou presque l’a reconnu. Un nouveau front paraissait s’ouvrir : le pouvoir central ne se considérait plus en lutte symbolique contre les « quartiers », mais également contre les « territoires » – que d’euphémismes ! A cet égard, banlieues et France périphériques, voire rurales, se découvraient un adversaire commun. Certes, elles restaient distinctes mais certains se sont pris à rêver d’une « convergence des luttes » contre un gouvernement considéré comme méprisant.

Curieusement, l’affaire Floyd suivie de la relance de l’affaire Traore ont remis au goût du jour l’idée d’une police essentiellement tournée contre la banlieue. La leçon des Gilets jaunes semble oubliée : la matraque de la police aurait une fâcheuse tendance à tomber sur le crâne de ceux qu’on appelle désormais les « racisés », c’est-à-dire ceux qui souffrent d’être perçus sous le prisme de la race. Le débat fait désormais rage : la police, et plus généralement l’ordre républicain, trahissent-ils des réflexes racistes ? Tout cela ne relève-t-il pas surtout de la question sociale, puisque les victimes de la police sont avant tout des pauvres ? N’y a-t-il pas danger à souffler sur les braises d’une improbable guerre des races ?

Quoi qu’il en soit, il est curieux de voir le gouvernement retomber dans la même partition symbolique qui a déjà causé tant de remous, quoi qu’il s’en défende. On ne l’a pas vu faiblir quand il s’est agi de réprimer les provinces débarquant à Paris, en revanche il se montre compréhensif – au moins dans les paroles – vis-à-vis de la douleur des victimes de la police en banlieue, suscitant d’ailleurs une colère singulière dans les rangs des gardiens de l’ordre. Voudrait-il relancer un nouveau whitelash qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Aux Etats-Unis, Trump est en train de rejouer la carte qui lui a déjà tellement servi, celle d’une majorité blanche qui souhaite qu’on l’entende… Le meilleur moyen de s’en sortir pour un parti libéral et démocrate comme se présente LREM n’est sûrement pas de faire appel aux mêmes réflexes que ceux de Trump ou de Biden, qui jouent de manière trop caricaturale un camp contre l’autre – Biden estimant qu’un Noir ne votant pas pour lui n’est pas vraiment noir. N’est-il pas temps de savoir s’adresser à chaque partie de la France sans paraître toujours préférer l’une ou l’autre ? N’est-il pas temps de proposer un projet commun ? N’est-il pas temps, par ailleurs, de faire toute sa place à la question raciale, puisqu’elle existe et qu’elle n’est pas réductible à la question sociale, mais de définir un juste milieu entre le rapport obsessionnel à la race et sa dénégation dans l’espace républicain ?

jeudi 2 juillet 2020

"Après le coronavirus, la convergence des luttes ?" (Marianne, 2/06/2020)

Tribune parue sur le site de Marianne, le 02/06/2020

"En 2005, les banlieues se soulevaient pour protester contre l’humiliation dont elles s’estimaient victimes. En 2018, ce sont les provinces modestes qui se sont révoltées, réclamant qu’on cesse enfin de les tenir pour insignifiantes. A chaque fois, les secousses politiques ont été fortes. Faut-il craindre que ces insurrections, pour l’instant distinctes dans le temps, ne se réveillent de concert à l’occasion de l’orage social qui s’annonce après la crise du Covid 19 ?

Dans « La Révolte des Gaulois », j’ai fait l’hypothèse d’une tripartition de l’espace culturel français (banlieues, provinces modestes, élites urbaines), hypothèse qui me paraissait pouvoir compléter les analyses sociales, économiques et politiques qui avaient cours. Sans cette grille culturelle, il me paraît difficile d’expliquer la radicalité de l’insurrection des Gilets jaunes. Selon moi, ces derniers n’ont pas simplement protesté contre la baisse de leur pouvoir d’achat, mais contre le mépris d’une certaine élite parisienne. De ce point de vue, ils se sont placés en concurrence implicite avec la banlieue, s’affichant non pas comme ses adversaires directs mais comme ses concurrents. A l’occasion de la crise du Covid, ce genre de tensions culturelles se manifeste à nouveau, sans qu’on ose toujours le souligner.

Tout d’abord, des voix s’élèvent en banlieue pour affirmer qu’il ne s’agit après tout que d’une « maladie de Blancs ». Cette racialisation somme toute agressive s’est curieusement vue relayer par certaines figures du journalisme français comme Eric Le Boucher, déplorant qu’on fasse autant souffrir l’économie pour « de vieux Blancs malades ». Pourtant, d’autres discours affirment au contraire que les minorités souffrent davantage : les morts seraient plus nombreux chez les Afro-Américains que chez les Blancs, de même que la banlieue pâtirait d’une couverture médicale moindre, signe d’un racisme structurel. Cette contradiction ne fait que rendre plus manifeste la défiance décidément durable des minorités, dans la plupart des pays occidentaux, envers l’Etat d’une part, envers la majorité perçue comme blanche de l’autre.

Ensuite, dans les campagnes, on jalouse parfois ces banlieues auxquelles la classe politique semble accorder des passe-droits, sous prétexte qu’elles seraient plus denses et déjà sur la défensive. Par ailleurs, on a pu percevoir comme une gêne le débarquement de ces parisiens qui faisaient fi des règles de prudence, eux pourtant si prompts en temps ordinaires à se moquer de ces territoires jugés passéistes.

Enfin, quand il s’agit du troisième pôle, celui des élites politiques, on retrouve une certaine tentation du mensonge et de l’infantilisation. On a décidément le sentiment que la démocratie française peine à atteindre le stade de maturité véritable qui consisterait à regarder les citoyens non pas comme une menace mais comme des individus rationnels, capables de juger de la compétence et de la moralité des classes dirigeantes.

Le problème est que les banlieues bouillonnent comme en 2005 – sentiment de stigmatisation, pauvreté qui s’approfondit. Et que les campagnes et petites villes couvent une fièvre comparable à celle de 2018 – difficultés qui s’annoncent très dures chez les artisans, commerçants, petits entrepreneurs ; colère contre l’incompétence de la classe dirigeante. Il est fort probable que les remous se conjuguent cette fois-ci pour diriger leur énergie contre l’ennemi commun, c’est-à-dire le pouvoir en place.

Le problème est qu’aucune force politique ne paraît à même de s’adresser conjointement à ces deux pans de la société. Soit on les regroupe sous des catégories sociales trop vagues, qui peinent à identifier ce qui fâche vraiment – la plupart des analystes écartent la question culturelle, tout au moins quand ça les arrange, comme Emmanuel Todd. Soit on les oppose sans parvenir à définir un discours réconciliateur : la gauche sociale ne sait faire des œillades qu’aux banlieues, la droite dure qu’aux « classes populaires traditionnelles », comme dirait Christophe Guilluy avec son sens habituel de l’euphémisme.

Emmanuel Macron a bien tenté de solliciter un « sursaut national » à l’occasion de la crise, mais comment ne pas s’agacer qu’il cherche à mobiliser une nation dont il s’est jusqu’à maintenant surtout contenté de souligner les faiblesses et les crimes ? N’en déplaise à Kant, Habermas et tous les thuriféraires d’une citoyenneté universelle et mondialisée, celle-ci n’est pas encore advenue, sinon de manière balbutiante sur quelques sujets comme la question environnementale. Quant à la citoyenneté européenne, elle peine à s’incarner et à se faire aimer.

En attendant, sans doute faudra-t-il redonner à l’échelon national ses lettres de noblesse, ces lettres qu’il n’aurait pas dû perdre puisqu’elles sont gravées dans les heures glorieuses de la Révolution. Si ce n’est la nation, tout au moins faudra-t-il définir un idéal englobant. L’avenir politique appartient sûrement à ceux qui trouveront la formule d’un projet qui sache tenir compte des intérêts particuliers. Rappelons-nous de la première campagne d’Obama : il avait su donner de l’espoir aux minorités sans ignorer les revendications de ceux qui n’en faisaient pas partie. Cette campagne pourrait nous inspirer pour définir un juste milieu, donc, entre républicanisme abstrait et éparpillement identitaire."

mercredi 1 juillet 2020

L'âge du libéralisme identitaire

Entretien paru le 22 mai 2020 dans l'hebdomadaire Marianne, avec le journaliste Kevin Boucaud-Victoire.

Ou comment un hebdomadaire républicain admet quelques éléments d'analyse culturelle tout en prenant des pincettes.



vendredi 26 juin 2020

"Les questions raciales sont devant nous" (Famille chrétienne, juin 2020)

Dans cet entretien accordé à "Famille chrétienne" (juin 2020), il est question des affaires Floyd et Traoré, et des questions épineuses de racisme systémique et de privilège blanc