La littérature sous caféine


mardi 9 janvier 2024

Débat chaud



Social-démocrate bon teint, mâtiné d'anarchiste (de droite ? de gauche ?), je me suis retrouvé cerné par les mélenchonistes sur le plateau de Paroles d'honneur - en coulisses, Houria Bouteldja. Je venais par ailleurs débattre d'un sujet controversé à droite comme à gauche, mal accepté, mal compris, mal assumé - la pauvreté blanche. Que je le veuille ou non, je représentais cette part de l'électorat qui peine à trouver sa place et qui s'attire tant d'animosité. La deuxième heure, je me suis tendu : on me faisait savoir que les participants du tchat s'énervaient contre moi. Heureusement, l'accueil sur le plateau est resté chaleureux. Mon voisin de gauche, Samir, m'a presque pris dans ses bras pour m'aider à passer ce mauvais moment. Tout d'un coup, j'ai mieux compris l'expression de "Blanc fragile". Et j'ai finalement apprécié de croiser la route de gens qui connaissent le prix de cette sorte de solidarité minimale, humaine, instinctive, entre citoyens parfois séparés par leurs idées mais soucieux de pouvoir en discuter et en rire.

mardi 9 mai 2023

Gilets jaunes, le whitelash à la française ?

En juillet 2022, j'intervenais dans l'émission "Là-bas si j'y suis" pour parler des petits Blancs, des Gilets jaunes, des banlieues, de Macron, avec Daniel Mermet et Rosa Moussaoui.

mardi 7 mars 2023

Province anesthésiée (Littérature des Gilets jaunes, 2)

La production romanesque enregistre toujours avec retard, mais avec fidélité, les secousses telluriques de la société française, et de même qu’il existe désormais une véritable « littérature d’attentats », de même il existe une « littérature des Gilets jaunes ». Avant le roman « Rond-Point » (…, 2023), Daniel Rondeau mettait ainsi en scène avec « Arrière-Pays » (Grasset, 2021) une Aube qu’il connaît bien pour habiter non loin, sur la Côte des Blancs, une Aube secouée par le meurtre d’un routier, sur fond de crise sociale. L’écriture est habile, l’histoire bien troussée, et le narrateur nous livre comme il se doit quelques éléments d’analyse sur une séquence que personne n’a su anticiper.

A ce propos, la page qui suit recoupe un élément que je relevais dans « La révolte des Gaulois » (Léo Scheer, 2020), le profond sentiment que les campagnes françaises, à la veille de la révolte, étaient assommées par le fatalisme, vieillissante et pessimiste – ma thèse étant qu’elle se sentait aussi à l’écart d’une certaine modernité du métissage.

« Il ne se souvient pas avoir jamais rencontré une pauvreté et surtout un sentiment d’abandon aussi généralisés. Avec les French doctors, il a croisé des estropiés, des mutilés, des gens broyés par la guerre, mais ceux-là hurlaient, criaient, ils se débattaient, ils voulaient vivre. Ceux qu’il rencontre tous les jours restent silencieux et tétanisés. » (p 165)

mercredi 1 février 2023

Se mettre en marche

Dans « La révolte des Gaulois » (Léo Scheer, 2020), j’avais parlé de la « protestation d’existence » des Gilets jaunes. Au-delà des revendications, il y avait surtout le désir d’être regardé, la volonté farouche de s’affirmer comme une force collective méritant davantage que l’ignorance ou le mépris.

Le roman « Rond-point » d'Olivier Sheibling (Rue Fromentin, janvier 2023), l’une des toutes premières fictions centrées sur le thème des Gilets jaunes, part d’une même analyse. Le protagoniste souffre d’une vie atone, en perte de sens. Il a le sentiment de se redresser et de se mettre en marche (n’en déplaise à notre président). Il éprouve ce que Simone Weil décrivait dans ses fameuses lettres compilées dans « La condition ouvrière », la joie de se mettre en mouvement dans les grèves et de desserrer l’étau du quotidien.

« Je n’avais pas encore mis en vente la maison de ma mère, celle où elle avait fini sa vie, et elle m’est d’emblée apparue comme le lieu idéal : aucun de mes amis ne connaissait ce village, tellement banal qu’il en devenait indiscernable, inaccessible, presque absent des cartes. Du reste, les vieux d’ici racontaient que personne n’avait jamais vu d’Allemands pendant la guerre, tellement le village était transparent, à l’écart des routes et en dehors du monde. Un non-lieu de rêve pour passer le reste d’une non-vie. Trouver un nouveau job fut une formalité : le chagrin n'avait pas aboli mes compétences, il avait en revanche anéanti toute forme d’amour-propre, toute revendication de statut et même toute exigence financière. J’étais un rêve pour DRH : ni ambition ni frustration, une efficacité de pilote automatique, je travaillais pour vivre et vivre exigeait peu. Mais me demandait beaucoup. »

lundi 12 septembre 2022

Spectre

En publiant « Les petits Blancs » (2013) puis « La Révolte des Gaulois » (2020), j’ai redouté d’être assimilé à l’extrême-droite puisque j’abordais des thèmes – la pauvreté blanche, la révolte culturelle des campagnes – qui pouvaient indiquer, aux yeux des certains, que je militais du mauvais côté de la barrière. Heureusement, ceux qui m’on lu ont bien compris qu’un auteur ne se confond pas avec son sujet, et qu’on peut s’intéresser à une situation sans prendre parti – même si, par la force des choses, dresser un constat, c’est œuvrer pour qu’il se répande.

Alors, bien sûr, je n’ai pas convaincu tout le monde et certains lecteurs m’ont témoigné leur désaccord, mais c’est le jeu des prises de parole et, surtout, les accueils positifs se sont répartis sur l’ensemble du spectre politique – Le Point, Le Figaro, L’Obs, La Croix… Pascal Bruckner m’a cité dans « Un coupable presque parfait », Paul Conge (de Marianne) s’est fendu d’une analyse dans « Les Grands remplacés », et cet été Daniel Mermet m’a fait l’amitié de me recevoir, ainsi que Rosa Moussaoui, pour une demi-heure d’interview sur le site de « Là-bas si j’y suis ». La crise du Covid avait enterré la crise des Gilets jaunes, quelque chose me dit que ces thèmes-là sont destinés à durer. Mieux, ils s’apprêtent à ressurgir…

lundi 4 juillet 2022

Je peaufine ma connaissance du régime en place

A l’âge de vingt ans, j’ai lancé un fanzine que j’avais intitulé, non sans malice, « Le journal de l’extrême-centre ». Je ne me doutais pas que, vingt-cinq ans plus tard, l’expression que je prenais pour une boutade – et qui disait malgré tout quelque chose de quelques intuitions politiques – deviendrait non seulement une expression consacrée, mais qu’elle servirait à de très sérieux analystes politiques pour décrire la force politique majoritaire du pays. Vieillir, c’est se laisser surprendre.

vendredi 11 février 2022

Les Gilets jaunes, deux ans après

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Mardi 22 février, je présenterai au cinéma CGR de Troyes le beau film d'Emmanuel Gras, "Un peuple", à l'issu duquel j'animerai un débat sur la question des Gilets jaunes, que j'avais abordée dans mon livre "La révolte des Gaulois". Après avoir remporté un prix à Cannes pour "Makala", qui suivait sans un mot le travail acharné d'un jeune Congolais qui produisait du charbon, Emmanuel Gras a posé ses caméras sur un rond-point pendant plusieurs semaines. Son film propose un regard sur les soubresauts de la crise, sans commentaire, mais il m'a semblé particulièrement juste et sensible.

jeudi 8 juillet 2021

Les livres sur les attentats (1)

C’est devenu un genre en soi, les livres sur les attentats – un genre nouveau. On en attend quelques passages obligés : la description des faits, le récit de la guérison, l’évocation du trauma, une réflexion politique, pourquoi pas philosophique, et, dans le cas d’auteurs étiquetés comme écrivains, une mise en abyme du travail d’écriture.

La plupart des rescapés de Charlie Hebdo étaient des artistes, on a donc eu droit à une flopée d’ouvrages éminemment littéraires. Dans le cas du Bataclan, seul le livre d’Erwan Larher à ma connaissance est celui d’un auteur en tant que tel – « Le livre que je ne voulais pas écrire », (Quidam Editeur, 2016). C’est pour cela que je l’ai lu en premier, d’autant que j’avais pu croiser Erwan ici ou là et que son titre était bon.

Quelle est la part de voyeurisme qui nous décide à ce genre de lecture ? Importante, bien sûr. Mais elle n’est pas la seule. Pour ma part, je guette vraiment les analyses politiques, ainsi que le regard porté sur la violence. J’ai toujours trouvé que les Américains se coltinaient facilement avec ce thème-là, en littérature comme au cinéma. La France s’est toujours montrée plus réticente, du moins depuis la IIème Guerre mondiale. D’une certaine manière, les attentats lui braquent la conscience vers de genre de phénomènes, et à cet égard la belle couverture de livre de Riss, « Une minute quarante-neuf secondes », est symptomatique – nous y reviendrons.

Le témoignage de Larher tient ses promesses quand il s’agit des faits. Dans un style énergique et vivant – un peu trop relâché à mon goût 😊 – il décrit avec une belle sincérité les moments de terreur, de souffrance et de honte qui ont émaillé les événements, de même qu’il évoque avec une émotion communicative la phase de reconstruction mentale et physique, y compris les problèmes d’érection. A vrai dire, ce sont les analyses politiques que je redoutais. J’avais peur de développements simplistes ou agaçants – pire, j’avais peur d’un refus d’analyser. Or, l’auteur se prête à l’exercice avec générosité. A plusieurs reprises il se lance dans des tentatives de compréhension qui virent certes au catalogue d’hypothèses et au déversoir de réflexions diverses – et contradictoires – sur l’époque, mais la profusion neutralise la simplicité de chaque argument. En fin de compte, ce sont des monologues intérieurs qui rendent bien compte des tempêtes morales. De toute façon, peut-on raisonnablement attendre d’un récit la même densité d’analyse que dans un essai de philosophie politique ?

A la fin du livre, le propos se précise. Larher parvient à ramasser sa pensée en quelques convictions bien senties – d’ailleurs, le style se densifie à ce moment-là. Au fond, l’auteur se dit rousseauiste, la méchanceté des hommes lui paraît provoquée par le malheur en société, il ne faut pas en vouloir aux agresseurs, il faut les plaindre et surtout œuvrer à éteindre les passions communautaires qui gangrènent le pays. On l’aura compris, le message ultime rejoint le fameux « Vous n’aurez pas ma haine » d’un autre livre (dont je parlerai aussi bientôt).

« « Tu leur en veux, aux terroristes » te demande ta cousine de vingt ans. Non. Tu en veux à Julia, qui t’a trahi autrefois ; tu en veux à François Hollande, qui a menti à ses électeurs ; tu en veux à la société, à l’organisation du monde, à l’oppression économique, à la misère intellectuelle – mais pas plus qu’avant. Tu n’en veux à personne pour cette balle dévirilisante. Tu ne sais pas qui sont tes assaillants. Tu ne connais pas leurs noms. Ils n’existent pas. Parce que si ça n’avait pas été eux, ç’aurait été d’autres. » (Page 225)

Précisons que je n’ai pas vécu les événements, et que je ne me sens donc pas le droit de juger le comportement des victimes. Mais je reste gêné que la colère ne s’exprime pas davantage. Je comprends qu’on veuille la surmonter, voire la combattre. Sans doute a-t-elle aussi quelque chose de honteux. Mais faire comme si elle n’existait pas me paraît relever à la fois du symptôme et de l’idéalisme un peu fou.

Malgré tout, le livre ménage tellement de passages sur les peurs, les doutes et les angoisses qu’il est difficile de reprocher à l’auteur son manque de sincérité. Disons que le livre fait le travail, que l’auteur mouille la chemise et que là est l’essentiel.

Le seul moment où perce une colère franche et limpide survient dans une page écrite par un ami anonyme :

« Après l’effroi et l’angoisse, c’est maintenant la colère qui me domine. Colère contre ces barbares – qu’est-ce qu’ils croient ? –, colère contre ma patrie incapable de protéger sa jeunesse – alors voilà, on peut débarquer à Paris avec des kalachnikovs et ouvrir le feu au hasard, ou pas forcément au hasard mais sur n’importe qui – et Dieu est dans n’importe qui –, colère contre Erwan qui sort sans téléphone portable – comme si ça pouvait changer quelque chose à ce moment-là – et colère à nouveau contre Erwan parce que je suis certain que, quand il va sortir de cet enfer, il ne va même pas leur en vouloir, il va continuer à regarder le monde avec sa tête de cyber ludion au charme en bandoulière – et c’est tant mieux. » (Page 61)

Ce passage pourtant simple me paraît essentiel – une sorte de préalable.

De manière ironique, c’est ainsi dans un texte annexe que sont posées quelques-unes des intuitions fondatrices. Et le dispositif littéraire – le livre alterne chapitres écrits par l’auteur et chapitres écrits par d’autres – prend alors son sens. Il valide le fait que nous avons bien affaire à un exercice littéraire et il permet, en variant les points de vue, d’offrir quelque chose comme un panel de tous les genres d’émotions provoquées par ce genre d’événement, au-delà des pudeurs, des principes et des crispations qui tiennent chacun de nous.